Le
livre de Dyzan
( Stéphan Lewis )
Extrait de l'histoire :
CHAPITRE I
13 Août 1999 ... 21 h 20 ...
Montségur ... Petite
bourgade située dans l'Ariège, région Midi-Pyrénées du sud-ouest de la France.
Le parc de la villa du professeur Joseph Winter est soudainement sujet à un
phénomène des plus insolites ... Un brouillard flou semble en effet se
manifester dans les airs, à une dizaine de mètres au-dessus des imposants
massifs fleuris qui se sont mis à frissonner. Un "bang" sonore, faisant songer à
un coup de canon, a retenti, faisant trembler un court instant les grandes baies
vitrées de la propriété. Une forme discoïdale, d'apparence imprécise et
vaporeuse, dont les contours sont encore irréguliers et indistincts, se
matérialise peu à peu dans un sifflement strident.
Un disque argenté aux
reflets rutilants, d'un diamètre de plus de dix mètres sur trois d'épaisseur, se
stabilise progressivement à quelques mètres du sol, avant de se poser sur les
pelouses en douceur, presque mollement.
Un vaisseau galactique
de la Patrouille Temporelle des Lunariens vient d'émerger du continuum
espace-temps.
Deux hommes se tiennent
immobiles, à quelques pas seulement de cette étrange et insolite apparition.
Le plus âgé, qui frise
la soixantaine, a le front partiellement dégarni. Il porte de petites lunettes
cerclées d’acier sur le bout du nez et le col de sa chemise est orné d’un nœud
papillon des plus volumineux.Il s’agit en l’occurrence du professeur Joseph
Winter, éminent archéologue britannique. Il a échangé un sourire complice avec
le solide gaillard d’une quarantaine d’années bâti en athlète qui se tient à ses
côtés.
Doté d’un physique
élancé, dont les cheveux noirs taillés en courte brosse couronnent un visage
énergique aux yeux verts, ce dernier répond au nom de Dany Ballantine. Ingénieur
en électronique de son état, il est le compatriote et l’ami inséparable du
professeur. Ni l'un ni l'autre ne semblent s'émouvoir de l'incident, paraissant
même s'attendre à cette visite au demeurant des plus singulières.
Le disque repose à
présent sur ses trois trépieds. Son centre est bombé et surmonté d’un dôme
lumineux garni de hublots. Le sas d'accès a glissé d’un mouvement lent,
découvrant la rampe d’un escalier télescopique qui a touché silencieusement le
sol. Trois hommes, dont deux sont revêtus d'une combinaison bleue, empruntent
les degrés. Le troisième porte une combinaison orangée. Tous ont le sigle TP
imprimé sur la poitrine.
Ballantine et Winter se
sont aussitôt portés à leur rencontre et un sourire illumine leurs visages.
- Comment va commandant
? Heureux de vous revoir... lance Ballantine en échangeant une chaleureuse
poignée de main avec cet étrange visiteur.
- Hello Dany !... hello
professeur !... enchaîne l'homme à la combinaison orange, qui n'est autre que le
commandant Boivant, le responsable de la Patrouille Temporelle des Lunariens.
- Nous commencions à
nous impatienter... sourit Winter en serrant à son tour et avec empressement la
main qui lui est tendue.
- Bien que nous
maîtrisions le temps, je n'arrive jamais à être à l'heure... plaisante le
commandant en braquant un curieux instrument en direction de la soucoupe, qui
s’est aussitôt effacée du paysage. Placée en état d'invisibilité derrière son
écran anti-optique, elle s’est ainsi soustraite à la curiosité des habitants du
village, ces derniers n'étant assurément pas habitués à ce genre d'incident.
Les Lunariens ont
aussitôt emboîté le pas aux deux Terriens, pour se diriger vers l'arrière de la
villa. Ils ne sont plus qu'à quelques pas de la grande véranda, où deux
silhouettes se tiennent discrètementdans l'encadrement de la grandeporte à
glissière. Boivant a immédiatement reconnu Alexander, le majordome du
professeur, ainsi que Peluche, un robot des plus perfectionnés. Ce dernier ayant
l'apparence d'un grand anthropoïde frise les 2 m 50. Il a été confié à
Ballantine par les Lunariens, en reconnaissance de la réussite des précédentes
missions qu’ils lui avaient confiées. Sa dénomination exacte est Z 24, mais
Ballantine l’a affublé de ce sobriquet en raison de sa physionomie.
Alexander s'est avancé
pour saluer les Lunariens, dont les visites maintenant fréquentes ne sont plus
pour l'émouvoir. Les révélations que lui avaient faites Ballantine et Winter à
leur sujet quelques mois plus tôt, l’avaient pourtant laissé pantois. Il lui
avait fallu du temps pour admettre cette surprenante réalité. Il sait à présent
que la patrouille temporelle vient du futur. De l’an 2210 exactement. Les
Lunariens sont originaires de la Terre, du continent américain. Leurs
prédécesseurs, choisis parmi les scientifiques les plus éminents par leur
gouvernement d'alors, se sont établis dans le plus grand secret sur la face
cachée de l'astre lunaire en 2010. Grâce à leurs possibilités à voyager à
travers l'espace-temps, la Patrouille a été créée il y a seulement quelques
années de leur temps à eux, les Lunariens. Ses membres sont en mesure de
remonter le temps et de visiter le passé comme le futur, dans toute la galaxie.
Ils ne sont toutefois pas autorisés à intervenir directement sur les faits qui
se sont produits ou se produiront. Leurs lois les en interdisent, contrairement
à Ballantine et au professeur Winter, qui ne sont pas tenus par ces obligations.
C'est la raison pour laquelle la Patrouille a souvent recours à leurs services.
Tous sont bientôt
réunis dans la spacieuse bibliothèque du professeur, confortablement installés
au creux des grands fauteuils de style anglais, tandis que le majordome se
presse de leur servir à boire. Mais le commandant en vient rapidement à la
raison de sa présence en ces lieux...
- Bien que je sois ravi
de me trouver ici en votre compagnie, ma visite est comme toujours intéressée.
Nous avons, une nouvelle fois, un besoin urgent de votre aide… déclare-t-il sur
un ton empressé, en donnant une tape amicale sur l’épaule de Ballantine.
- Nos préoccupations
sont en rapport direct avec la fin de votre millénaire… poursuit-il avec une
moue d’ennui… Sachez qu’en l'an 2000 de votre ère, l'équilibre économique de
votre planète sera mis en péril.
Winter et Ballantine
ont échangé des regards circonspects.
- Cette période sera en
effet sujette à un immense bouleversement économique et à un krach boursier sans
précédent... poursuit Boivant... Une crise mondiale entraînera toutes les
nations dans une situation inextricable, qui se soldera par une guerre mondiale.
- A qui en incombera la
responsabilité ?... s'enquiert fébrilement Ballantine.
- A une secte
mystérieuse que nous avons réussi à identifier, sans avoir toutefois découvert à
ce jour les véritables tenants et aboutissants. Ses membres, conduits par un
gourou fanatique du nom de docteur Nam, ont mis sur pied des moyens ahurissants.
Mais nous connaissons néanmoins l'objet de leur convoitise, ayant un lien direct
avec leur présence dans l'espace... précise Boivant avec un soupir haché.
- Dans l'espace ! Que
pourraient-ils aller faire dans l'espace pour que leurs agissements vous
inquiètent à ce point et risquent de perturber l'économie mondiale ?... relève
le professeur.
- Les moyens colossaux
dont disposeront bientôt ces gens n'ont rien à envier, ne serait-ce qu'à la
NASA... confie Boivant avec une grimace mal réprimée... L'une de nos patrouilles
qui a dernièrement remonté le temps, a pu observer les agissements de la secte
en toute discrétion.
- Qu'ont-ils découvert
?... s’enquiert impatiemment Ballantine.
- Nous sommes à présent
assurés qu'ils s'intéressent à la grande ceinture d'astéroïdes. Ce vaste anneau,
comme vous le savez, est situé entre les orbites de Mars et de Jupiter, à
environ trois cents millions de kilomètres de la Terre.
- Quelle en est la
raison ?... s’en étonne Winter, les sourcils en accents circonflexes.
- La raison en est
simple et ma foi judicieuse professeur... indique le commandant... Sachez tout
d'abord que cette secte a entre les mains la technologie nécessaire à la capture
de ces astéroïdes. Même à cette distance considérable.
- Vous insinuez qu'ils
auraient l’intention de s'emparer de ces météores !... sourcille Ballantine...
Pourquoi accorder une telle importance à ces gros cailloux ?Quel en est
l'intérêt ? Et comment se pourrait-il que l'économie mondiale ait à en souffrir
à un tel point dans un proche avenir ?
- Ces gros cailloux
représentent en fait une véritable fortune en minerais divers... souligne
Winter... A bien des égards, ce sont d'énormes coffres à trésor en orbite autour
de la Terre attendant d'être exploités, mais aussi inaccessibles pour l'instant
que bien d'autres trésors légendaires.
- Bien vu professeur...
acquiesce Boivant en reportant son regard sur Ballantine... Comme vient de vous
le préciser si justement votre ami, ces gens visent en fait l'exploitation des
ressources minières du système solaire.
- Du système
solaire!... s'effare Ballantine... Et vous pensez qu'ils seraient actuellement
en mesure d'y parvenir ?
- Il n'y a rien
d'extraordinaire à cela Dany… indique Winter… N'oublions pas que la sonde
spatiale Pioneer 10 lancée à la fin des années 70, a déjà dépassé les frontières
de notre système planétaire. Il est même d'ores et déjà prévu d'envoyer des
astronautes sur Mars d'ici à une vingtaine d'années.
- Vous avez une
nouvelle fois raison professeur... sourit le commandant... Mais ce que visent en
fait ces gens dans un premier temps, c'est la capture de 1986 DA, un astéroïde
au nom un peu barbare d'une dizaine de kilomètres de diamètre.
- A ce propos, il a été
dit que ce cher 1986 DA à la forme patatoïde contiendrait du minerai en grande
quantité... souligne Winter en allumant le brûle-gueule qu'il vient de préparer
et dont il tire deux ou trois bouffées furtives avec une évidente satisfaction.
- Il recèlerait entre
autres 500 tonnes de platine, 600 tonnes d'or, et tenez-vous bien, à peu près
1000 millions de tonnes de nickel... complète le commandant.
- Aux cours actuels et
si je ne m’abuse, cette masse d'or à elle seule atteindrait le montant
faramineux de … voyons … 65 milliards de dollars !... souligne Ballantine avec
une moue ébahie après un calcul rapide.
- Et le nickel ne
pèserait pas moins de 500 milliards de ces mêmes dollars... complète Boivant.
- Un loto spatial à la
cagnotte plus que coquette... relève Ballantine... Mais quelle méthode ces gens
comptent-ils employer ?
- Ils vont s'yprendre
d'une manière des plus habiles... indique le commandant... Grâce aux moyens dont
ils disposent pour parcourir en un temps record des distances démesurées, ils
vont faire débarquer un équipage réduit sur 1986 DA. Ensuite, ils s'emploieront
à fixer des petites fusées sur le météore en question. Puis, moyennant des mises
à feu savamment ajustées, ils le dirigeront enfin vers une destination proche de
la Terre. D'ailleurs, je vous rappelle qu'une pareille technique fut utilisée
pour la manœuvre du vaisseau spatial Apollo. Elle est encore employée de vos
jours pour les vols de la navette spatiale. De plus, la tâche est facilitée par
l'absence d'atmosphère et donc de friction dans l'espace. Une fois l'astéroïde
lancé dans le grand vide interstellaire, il ne changera plus de direction et
plus rien alors ne pourra arrêter sa course. Ou tout du moins tant qu'aucune
autre force ne lui aura été opposée.
- Vous dites qu'ils
dirigeront cet astéroïde vers une destination proche de la Terre… réalise
Ballantine…Ils auraient donc une base spatiale à leur disposition !...
imagine-t-il aussitôt, sourcils froncés.
- En effet ... confirme
Boivant... Cette station orbitale géante qu'ils ont baptisée Bêta 33, héberge
déjà plusieurs centaines de leurs fanatiques qu'ils ravitaillent à l'aide de
navettes.
- Mais … observe
Ballantine, la mine réfléchie… même si ces gens disposent d'une telle
technologie, et si cet astéroïde se trouve à plus de trois cents millions de
kilomètres de la Terre, comment pourraient-ils le récupérer dans leur base
spatiale aussi rapidement, en n'utilisant que des fusées ?
- Ils le peuvent. Vous
pouvez m’en croire. Comme je vous l'indiquais il y a un instant, ils sont en
mesure de se déplacer à des vitesses fantastiques à travers l'espace. Ils
peuvent couvrir, en un temps record, des distances considérables.
- Nous ne doutons pas
un seul instant de vos affirmations... légitime aussitôt Winter... Ce que Dany
veut certainement dire, c'est que si 1986 DA est uniquement équipé de fusées de
guidage, il est certain qu'il ne pourra pas couvrir une telle distance en moins
de plusieurs années !
- J'allais y venir
professeur... se presse d’indiquer Boivant... En fait, ils déplaceront 1986 DA
en utilisant le même procédé que pour les déplacements de leurs vaisseaux.
Le commandant a
immédiatement remarqué les mines interloquées de ses deux amis.
- Un voyage vers
l'étoile la plus proche de votre Terre en se déplaçant dans la Voie Lactée,
prendrait en effet plusieurs années à un vaisseau qui se déplacerait même à la
vitesse de la lumière. Soit pour être précis, 1000 millions de kilomètres à
l'heure... précise-t-il ... Dans ces conditions, et même pour la secte du
docteur Nam, je vous concède que ramener 1986 DA en moins de plusieurs années
s'avérerait totalement inconcevable. En outre, cette secte est certainement
encore très loin d'être en mesure de concevoir, puis de pouvoir fabriquer et
enfin d'utiliser un moteur capable de les propulser à la vitesse de la lumière.
- Mais alors, comment
comptent-ils s'y prendre ?... s’étonne Ballantine.
- Ils emprunteront tout
simplement des raccourcis, comme ils le font déjà avec leurs astronefs...
indique Boivant le plus naturellement du monde, s'attendant naturellement à une
réaction des plus justifiées de la part des deux autres.
- Ils voyagent comme
vous dans le temps... soupçonne aussitôt Winter.
- C'est à peu près la
méthode qu'ils utilisent. Mais ils ne maîtrisent pas comme nous, les Lunariens,
le temps comme vous pourriez l'imaginer… nuance Boivant… En fait, ils ne font
qu'en raccourcir la durée en empruntant pour ce faire un passage privé de temps,
reliant deux régions différentes de l'univers.
- Ne me dites pas
qu'ils auraient réussi à mettre en pratique la théorie du pont "Einstein-Rosen"
!... anticipe déjà Ballantine, les sourcils en accents circonflexes.
- Dans le mille Dany...
acquiesce Boivant en souriant... Ils utilisent en effet ce qu'on appelle « un
trou noir ». Comme vous le savez, ce pont "Einstein-Rosen", en théorie, est une
véritable machine à remonter le temps. Figurez-vous qu’ils ont réussi à passer
de ce concept abstrait à la pratique.
- Mais ... le « trou
noir » le plus proche, d'après les astronomes, se trouverait dans la
constellation du Cygne ! A 6000 années-lumière de la Terre ! Soit à plus de 58
milliards de kilomètres !... souligne Winter, pour le moins aussi sceptique
qu'interloqué.
- A priori vous allez
certainement prétendre qu'il est impensable que l'on puisse concevoir de
franchir une telle distance en si peu de temps, et vous auriez parfaitement
raison professeur...concède Boivant.
- Mais alors !... le
prie Ballantine, parvenant difficilement à contenir son impatience.
- Vous n'ignorez pas,
l'un comme l'autre, que lors de la mort d'une étoile, son noyau central implose.
Il s'effondre brutalement sur lui-même. L'implosion s'arrête lorsque le résidu
n'a plus qu'environ un mile de diamètre (soit approximativement 1600 m). Mais la
densité de ce résidu est extrême. Des milliards de tonnes par centimètre cube.
La masse de cent paquebots comme le Norway dans un grain de riz. La matière qui
s'approche des trous noirs s'y engouffre inexorablement, du fait de la force de
gravité invraisemblable qui y règne pour disparaître, littéralement projetée
hors du temps et de l'espace. C'est ce que l'on pourrait qualifier de tunnel
inter dimensionnel de communication de l'espace-temps, tournant sur son axe
comme une toupie. Une véritable Porte des Etoiles, comme l'ont d'ailleurs
baptisé ces fanatiques, et qui leur permet d'accéder à des régions fort
éloignées de notre univers. C'est donc en quelque sorte un raccourci, reliant
entre elles des failles dans l'espace-temps, grâce auxquelles il est possible de
voyager à des vitesses dépassant la célérité de la lumière.
Pour l'exemple, un
objet qui disparaîtrait dans un trou noir, ressortirait instantanément dans une
autre région de l'Univers. Même distante de plusieurs milliards de kilomètres.
Mais le problème qui se poserait, serait bien évidemment celui de trouver la
solution, afin de pouvoir atteindre le trou le plus proche en un minimum de
temps. Or, ce docteur Nam a la réponse à cette question... indique Boivant... Il
a pour cela réussi à construire un trou noir artificiel proche de sa base
orbitale. A moins de 30.000 km de celle-ci, pour être précis. Nous tenons ces
renseignements de la patrouille qui s'y est engagée discrètement à la suite d'un
de leurs vaisseaux et qui a bien failli ne pas en revenir.
- Incroyable !...
souffle le professeur en rajustant machinalement ses binocles sur le bout de son
nez.
- Il est évident qu'en
utilisant un pareil procédé, cela réduit fantastiquement les distances...
murmure pensivement Ballantine.
- Je dirais même que,
dans ce cas, le mot distance perd toute sa signification... souligne le
commandant... En franchissant un trou noir, on se déplace en avant dans l'espace
pour reculer simultanément dans le temps. Le voyage est alors instantané.
- Construire des trous
noirs pour forcer l'entrée d'autres univers a toujours été l'un des plus
formidables défis des années à venir… fantasme Ballantine, le regard absent… Ce
projet fou, s’il se concrétisait un jour, assurerait à l'humanité la possibilité
réelle de pouvoir voyager dans l'espace et de conquérir d'autres horizons...
puis, semblant soudainement perplexe, sa formation d'ingénieur en électronique
reprenant le dessus, d’ajouter avec une moue dubitative ... Il est pourtant
affirmé que la construction d'un trou noir nécessiterait beaucoup plus d'énergie
qu'aucune société humaine ne pourra jamais en produire à l'heure actuelle, y
compris je pense ce docteur Nam commandant ! Comment ces gens comptent-ils s’y
prendre pour réunir un tel potentiel ?
- Comme je viens de
vous le dire, ils ont résolu le problème. La solution a été mise en pratique
depuis leur première base d'opération dont nous venons d’avoir connaissance.
L'une de nos patrouilles l’a repérée il y a moins de deux semaines.
- Depuis leur première
base ?… s’effare une nouvelle fois Ballantine, imité en cela par le professeur…
Ils auraient donc une seconde base dans l'espace à leur disposition !
- En fait, Bêta 33
comme je vous l'ai précisé, est une base orbitale ; tandis que la seconde,
qu'ils désignent sous le nom d'Alpha 30, n'a pas été construite dans l'espace.
D'après ce que nous en savons, elle se trouverait sur une mini planète de forme
sphérique répertoriée par vos astronomes sous le nom de Ceres.
Devant les regards
ébahis des deux hommes, le commandant poursuit …
- Cette mini-planète
que vos astronomes ont donc baptisée Ceres, située entre Mars et Jupiter, fait
justement partie de ce cordon d'astéroïdes en question. Ainsi, parmi cette
ceinture de météores existe un anneau de minuscules planètes à laquelle
appartient Ceres. Parmi ces quelques dizaines de fragments qui composent la
ceinture, certains ont des tailles qui varient de quelques kilomètres comme 1986
DA, à plusieurs centaines de kilomètres comme la planète en question, qui a en
outre un diamètre de 700 km. Elle abrite la base Alpha 30 à partir de laquelle
sont organisés des va-et-vient vers leur seconde base orbitale Bêta 33 en un
temps record, justement via leur trou noir artificiel, qui les relie en
permanence. Le docteur Nam a utilisé la poussière cosmique, que l'on sait
essentiellement composée de particules de fer et de nickel de certains de ces
fragments orbitaux. Ils lui ont servi en quelque sorte de ramjets magnétiques.
D'aspirateurs spatiaux si vous préférez. Ces engins ont assurément fait office
de bulldozer pour la construction de cette Porte des Etoiles.
- Il a donc imaginé le
fait de dérober de l'énergie naturelle en utilisant la matière interstellaire
pour en assurer la construction... réalise Ballantine, bien malgré lui en proie
à l'admiration la plus totale envers ce mystérieux docteur Nam.
- Exactement Dany … Et
ce qui est surprenant ... complète le commandant... c'est qu'il ait réussi à le
faire en un laps de temps très court. Jusqu'à ces jours derniers, nos
patrouilles n'avaient pas encore décelé l'existence de cette secte dans
l'espace. Je dois toutefois reconnaître que quelque chose nous échappe dans
cette affaire.
- Et où en sont-ils à
l'heure actuelle ?... s'enquiert encore Ballantine, le mentonpris entre le pouce
et l’index.
- En les situant dans
votre présent, ils viennent de terminer l'aménagement de Bêta 33. C'est la
raison pour laquelle il nous faut intervenir sans tarder. Ou plutôt, qu'il va
vous falloir intervenir Dany... rectifie le commandant avec une moue
d'embarras... Notre patrouille, en remontant le futur, nous a confirmé que dans
moins de trente jours de votre temps, ils réussiront à ramener 1986 DA vers leur
station orbitale. En poussant plus en avant leurs investigations dans votre
avenir, la patrouille a précisé que l'économie mondiale connaîtrait ses
premières difficultés avant la fin du millenium. Car cette secte n'en restera
pas là. Elle s'emparera par la suite d'astéroïdes de plus en plus importants.
Il va sans dire que
nous, les Lunariens, étant originaires de la Terre, souhaitons la préserver d'un
gigantesque krach boursier et d’une faillite mondiale catastrophique sans
précédent qui s'en suivrait. En outre, je ne vous cacherai pas plus longtemps
que notre nouvelle nation est elle-même concernée et menacée dans votre futur.
N'oubliez pas que nos ancêtres terriens ne coloniseront la Lune qu'en 2010, et
cela dans le plus grand secret, en y expédiant plusieurs de leurs hommes de
science triés sur le volet (la Citadelle de Barka - de S.Lewis). Mais si nous ne
tentions pas d'endiguer cette menace, notre existence serait une nouvelle fois
remise en cause.
- Evidemment... réalise
Ballantine... Je présume que suite à une faillite interplanétaire, vos ancêtres
ne pourraient plus alors disposer des crédits nécessaires à leur conquête de
l'astre lunaire.
- Tout à fait Dany ...
Et les Lunariens n'existeraient donc pas aujourd'hui. Ce qui signifie que la
Patrouille Temporelle ne verrait donc jamais le jour... soupire Boivant, la mine
préoccupée.
- Leur manège ne peut
pourtant pas passer inaperçu !... souligne Winter en rajustant une nouvelle fois
ses petites lunettes.
- Détrompez-vous
professeur !... objecte Boivant ... Je vous disais que leur technologie n'avait
rien à envier à la NASA et pour cause !… Leur base spatiale sera opérationnelle
d'ici quelques jours et les stations radars de votre planète n'ont toujours pas
détecté sa présence dans l'espace. C'est donc en toute impunité et sans crainte
de la moindre menace que cette secte va pouvoir agir à sa guise.
- Quelle sera notre
mission commandant ?... anticipe déjà Ballantine en se passant une main ouverte
dans sa courte brosse.
- J'allais justement y
venir Dany, car nous savions comme toujours pouvoir compter sur votre aide et
sur celle du professeur... sourit Boivant, l'esprit certainement soulagé...
Comme vous vous en doutez, les autorités terriennes ne doivent en aucun cas
avoir vent de tout cela. Elles ignorent toujours notre existence et seraient de
toute manière dans la totale incapacité de contrecarrer les plans et les projets
du docteur Nam. Mais en ce qui nous concerne, nous devons et pouvons agir. Nos
vaisseaux sont allés en mission de contrôle dans le futur et si nous
n'intervenions pas, les marchés boursiers seraient, dans un avenir très proche,
inondés de contre-valeurs en minerais les plus précieux. Cette situation
incontrôlable ferait du même coup chuter, puis s'effondrer les cours. Les plus
grands consortiums monétaires internationaux de la planète seraient vite mis en
difficulté, voire même en faillite, provoquant de cause à effet une banqueroute
de la Banque Mondiale.
- Qui est exactement ce
docteur Nam et qu'aura-t-il à gagner dans tout cela ?.. s’enquiert encore
Ballantine.
Boivant semble
embarrassé. Il remue la tête avec un évident soupçon de contrariété.
- C'est là le hic Dany.
Mis à part le nom que je vous ai donné, nous ne possédons malheureusement aucune
indication. Nous manquons de renseignements complémentaires sur cet énigmatique
personnage. Malgré tous ses efforts, la patrouille n'a pu en apprendre davantage
… Nous comptons sur vous pour nous renseigner à ce sujet… ajoute-t-il
timidement, la mine défaite, après avoir marqué un bref instant d'hésitation.
- Bon … Comment
allons-nous devoir procéder ?… enchaîne Ballantine sans plus insister, avec une
moue de perplexité, tandis que Winter tente vainement de rallumer sa pipe, tout
en continuant de suivre la conversation.
La pilule semblant être
avalée, le commandant semble subitement plus détendu et beaucoup plus à l'aise.
Aussi se presse-t-il d'entrer dans le vif du sujet, visiblement soulagé...
- Cette secte
dangereuse et surarmée a son refuge au Népal. Dans la vallée de Lang Tang. Au
sud de l'Himalaya, pourêtre précis. Mais c'est en fait une véritable citadelle.
- Si j'ai bien saisi,
il ne nous reste qu'à mettre une expédition sur pied... anticipe Ballantine.
D'un geste qui se veut
rassurant, Boivant l'a aussitôt interrompu.
- Ce ne sera pas
nécessaire Dany, car vous perdriez du temps. D'ailleurs, ni vous ni le
professeur n'êtes entraînés à faire de l'alpinisme. En outre, il vous faudrait
nécessairement vous assurer les services d'un guide. Or, vous vous doutez que
cette perspective est irréalisable. Personne ne doit être mis dans la
confidence.
- Il me reste à parier
que vous allez encore nous confier l'un de vos taxis !... présume Ballantine
avec un sourire en coin.
- Il vous sera en effet
plus aisé de vous rendre à cet endroit avec l’aide d’un vaisseau... acquiesce le
commandant en vidant son verre de cognac d'un trait, imité en cela par les deux
hommes qui l'accompagnent.
L'un d'eux vient
d’ouvrir une serviette de cuir. Il en extirpe plusieurs documents barrés d’un
coup de tampon à l’encre rouge, les taxant de confidentialité, et qu'il remet
aussitôt à son supérieur.
- Ce sont des photos
aériennes... indique ce dernier en les soumettant à Ballantine et Winter...
Elles ont été prises hier. Voici l'endroit exact où se situe la base du docteur
Nam... mentionne-t-il en posant son index sur l'une d'elles, où est porté un
repère signalant une zone inférieure du versant méridional de la chaîne
montagneuse… C’est une véritable forteresse qui s’étend profondément sous terre…
signale-t-il encore.
Après avoir examiné les
prises de vues aériennes photographiées sous des angles différents, mais portant
toutes le point trigonométrique XV à un endroit bien précis, les deux intéressés
semblent perplexes. Boivant a immédiatement remarqué leur mine indécise.
- Vous ne vous
attendiez tout de même pas à ce que leur base soit repérable du ciel ! Il est
évident qu'ils l'ont camouflée de telle sorte qu'elle passe totalement
inaperçue... ajoute-t-il en affichant un air surpris.
- Ce n'est pas là le
problème commandant... nuance Ballantine en esquissant un sourire de
complaisance... Mais ... Comment allons-nous pénétrer dans les lieux ?
- Je m’attendais à
cette question. Soyez rassurés. La patrouille qui alocalisé la base a réussi à
leur subtiliser une télécommande permettant l'ouverture d'une entrée secondaire
située à cet endroit... et Boivant de leur indiquer en même temps un cercle
rouge tracé sur les photos, tandis que l'un des Lunariens leur remet un petit
boîtier de métal noir.
- Voici la télécommande
en question… indique Boivant… Lorsque vous serez rendus sur place, il vous
suffira de presser ce contacteur et une ouverture se dévoilera dans la roche.
- Une fois que nous
serons à l'intérieur, en quoi consistera exactement notre mission ?...
s'enquiert à présent Ballantine, la mine réfléchie, tandis que le professeur
s'est saisi de l’instrument pour le déposer sur le grand bureau de la
bibliothèque.
- Une fois à
l'intérieur la base, votre mission consistera à vous emparer du docteur Nam.
Nous supposons qu'il y demeure en permanence... déclare Boivant d'un ton plutôt
mal assuré et d'autant moins convaincant.
- Et si par manque de
chance il ne s'y trouvait pas !... appréhende Ballantine, qui a tout de suite
remarqué le ton hésitant du commandant.
- D'après les rapports
de la patrouille qui a surveillé et espionné les lieux, il ne quitterait jamais
son poste. Mais je ne puis hélas vous en apporter une preuve formelle et vous en
donner l'assurance... avoue-t-il d'un air navré et embarrassé.
- Bon ... Et vous
n'avez bien entendu aucune idée de ce à quoi ressemble ce personnage ?... risque
encore Ballantine.
Boivant s’est contenté
de remuer la tête de droite et de gauche, en une attitude accroissant son
embarras.
- Maintenant et si vous
êtes toujours d'accord, malgré le peu de renseignements que nous ayons en notre
possession, nous vous enverrons un vaisseau en pénétration automatique dès
demain matin à 6 heures précises. Espérons que cette fois encore vous réussirez
dans votre mission.
Puis, après s’être
confondu en remerciements, le commandant a aussitôt pris congé de ses
partenaires.
CHAPITRE II
Montségur ... Le lendemain … 5 h 45 du matin ...
Le soleil inonde déjà
de ses rayons bienfaisants l'immense parc de la villa. Ballantine et Winter,
revêtus de la tenue bleue des voyageurs du temps, surveillent les environs d’un
œil impatient. Ils attendent la matérialisation du vaisseau annoncé par le
commandant Boivant, qui devrait maintenant émerger de l'espace-temps d'un
instant à l'autre. Z 24 se tient à leurs côtés, faisant comme toujours partie de
l'expédition. Sa présence leur sera certainement encore d'un grand secours,
voire même indispensable.
- Ce ne sera pas du
gâteau... murmure nonchalamment Ballantine en promenant un regard distrait aux
alentours.
- En supposant que nous
ne nous fassions pas repérer une fois à l'intérieur de la base, je me demande
comment nous allons procéder… marmonne Winter… Nous n'avons aucune idée de ce à
quoi ressemble ce docteur Nam. Et à savoir si nous pourrons le kidnapper au nez
et à la barbe de ses sbires... poursuit-il sur le même ton, semblant envisager
avec un certain scepticisme le déroulement de leur future expédition.
Mais l'androïde vient
de les interrompre. Il leur désigne un brouillard flou qui se manifeste à une
dizaine de mètres dans les airs, tandis que retentit le "bang" caractéristique
du brusque transfert de dimension temporelle. Un disque métallisé, semblable à
celui de la veille, finit par se matérialiser au milieu d’un sifflement
strident, avant de se poser délicatement sur les pelouses du parc.
Le sas d’entrée s’est
ouvert automatiquement, invitant les trois passagers à embarquer.
L'intérieur de l’engin,
où d'immenses cylindres à l'aspect nickelés ronronnent, est percé de larges
hublots et éclairé par électroluminescence d'une douce lueur bleutée. Ballantine,
dont le pilotage n’a maintenant plus aucun secret pour lui, s'est aussitôt
installé aux commandes. D’un œil averti, il passe en revue les principales
fonctions du pupitre de l'énorme tabulateur de l'ordinateur central. Le tableau,
extrêmement complexe, étincelle de tous ses cadrans et boutons lumineux. Il est
surmonté d'une succession d'écrans en verre dépoli légèrement bombés.
Ses compagnons se sont
sanglés sur les sièges coquilles pivotants, d’un confort poussé à l’extrême. Ils
ont eu le soin de boucler leur harnais à connexion magnétique qui s’est réglé
automatiquement à leur taille. L’androïde fait face au gigantesque écran
panoramique de contrôle visuel et de visibilité extérieure du télévisionneur
tridimensionnel qui vient de s'illuminer dans un relief saisissant. Il procède
aux réglages du pupitre auxiliaire qui abrite les organes de transmission de la
console ondionique du transmetteur temporel. Le professeur quant à lui gardera
un œil sur les écrans violets des sidéroradars.
Le curseur des
commandes de translations temporelles du tempomètre qui programme l'époque de
résurgence choisie a été positionné sur le présent. Les boutons crantés du
compteur temporel affichent la date et l'heure à laquelle ils vont quitter
Montségur. Le computer de l'ordinateur directionnel a enregistré et programmé
les coordonnées du point choisi, avant de calculer l'angle d'émergence avec
toute la précision souhaitable.
Ballantine a lancé la
procédure de décollage … Les quatre réacteurs nucléaires qui utilisent la
fantastique énergie dégagée par la fusion thermonucléaire ont immédiatement
répondu à son attente. Un ronronnement sourd, qui va en s'amplifiant vers les
aigus, emplit soudainement l'air. Le mastodonte métallique s'élève
majestueusement à la verticale, telle une plume portée par le vent, soutenu par
ses générateurs gravitomagnétiques tout en rentrant doucement son train
d'atterrissage. Puis, il se redresse progressivement pour prendre la tangente.
L’espace environnant
s’est subitement mis à onduler, puis à trembloter, perdant peu à peu de son
relief, jusqu'à devenir complètement flou. Tout le voisinage finit par
s'estomper, tandis que l’engin augmente graduellement sa vitesse ascensionnelle.
Le claquement sec du "bang" de dématérialisation a retenti, le soustrayant
instantanément à la vue d'un éventuel observateur.
Au terme de quelques
secondes, et tandis que résonne pour la seconde fois le craquement
caractéristique du changement de dimension temporelle, tout est redevenu
parfaitement net et calme aux alentours. Le vaisseau s'est rematérialisé en
plein ciel au-dessus de l'Himalaya, la plus grandiose de toutes les chaînes
montagneuses.
La soucoupe survole
maintenant à basse altitude le point trigonométrique XV, dissimulée derrière son
écran d’invisibilité. Le dispositif anti-optique a été activé, afin d’éviter son
repérage par les radars du docteur Nam.
Après quelques passages
de plus en plus rapprochés, Ballantine a immobilisé le vaisseau en sustentation
dans les airs, à moins de trois cents mètres d'altitude au-dessus du lieu de
repérage. Les puissantes caméras vidéo sont aussitôt entrées en action. La
vallée de Lang Tang qui serpente à travers la chaîne montagneuse s'étend à
présent sous leurs yeux. Cette étrange contrée est enserrée entre la jungle
tropicale et des cimes de 8000 mètres. C'est un énorme plan incliné de 800 km de
long qui descend des sommets de l'Himalaya vers la plaine indienne. Des forêts
épaisses en couvrent les pentes, tandis que plus haut poussent seulement des
arbustes et plus haut encore, des lichens et des mousses.
L'entrée de la base du
docteur Nam est censée se trouver dans une cavité qui s'enfonce à flanc de
montagne. Aussi, les deux hommes, tout en poursuivant leur conversation, ne
perdent-ils pas de vue l'écran vidéo qui leur renvoie l'image du point
trigonométrique XV.
22 h 20 ...
Ils menacent de perdre
patience. Malgré une attention soutenue de tous les instants, l'endroit est
resté désert. Aucune présence ne s'est encore manifestée, lorsque Z 24 attire
brusquement leur attention...
- Les détecteurs nous
signalent un objet volant en approche... signale-t-il de sa voix froide et
métallique, ne reflétant pas la moindre émotion.
Ballantine a bondi et
le professeur a failli s'étrangler avec la cuisse de poulet qu'il grignotait ...
Le balayage continu du radar révèle bientôt un point lumineux qui,
progressivement, semble perdre de l'altitude.
- L'objet sera visible
dans moins d'une minute… indique l’androïde… Il semble se diriger dans notre
direction... précise-t-il encore.
Winter, après s’être
tamponné les lèvres du revers de la main, a rejoint son ami qui se tient à
présent près des hublots, occupé à scruter le ciel avec insistance.
Au terme de quelques
secondes de patience, ils distinguent un point lumineux grossissant rapidement
et à présent devenu perceptible à l'œil nu. Il se rapproche à grande vitesse de
l'endroit où leur vaisseau est immobilisé en état d'invisibilité. Mais leur
attention a été attirée par le flanc de la montagne qui est en train de
basculer, démasquant une ouverture circulaire d'une trentaine de mètres de
diamètre dans la roche.
Un bruit de réacteurs
est maintenant audible et le point lumineux qui s'est encore rapproché, freinant
progressivement sa vitesse, se révèle bientôt être une navette spatiale. Avec un
vrombissement assourdissant, elle s'est engouffrée dans le passage qui s’est
aussitôt refermé derrière elle.
Les deux hommes,
ébahis, ont échangé des regards empreints de stupéfaction.
- Le commandant avait
donc raison... balbutie ce dernier d'une voix chevrotante.
- Ne me dites pas que
vous en doutiez professeur !... ironise Ballantine, en adoptant volontairement
un ton de reproche.
- Non, mais ...
maintenant nous sommes au moins assurés qu'il y a effectivement à cet endroit
des agissements pour le moins suspects... se reprend timidement Winter.
- Bon ... Je crois
qu'il est temps que nous nous préparions... estime Ballantine en reprenant sa
place aux commandes de la soucoupe... Nous allons rendre une petite visite de
courtoisie à ce docteur Nam. Nous laisserons le vaisseau sous la protection de
son dispositif anti-optique derrière les premiers arbres de la forêt.
La jungle tropicale est
en effet visible à moins de deux kilomètres de l'endroit où est établie la base.
Le vaisseau a tôt fait de se poser sous le couvert de la végétation. Après
s'être armés de leurs pistolets atomiques, les deux hommes, renforcés par la
présence de Z 24, se dirigent vers le refuge du docteur Nam. L’androïde les
précède, car l'obscurité a fait son apparition. Le robot s'oriente sans la
moindre difficulté grâce aux infrarouges dont il est pourvu. Ballantine a entre
les mains le boîtier de commande qui déclenchera l'ouverture d'une porte
secondaire, mais dont ils ne connaissent toutefois pas l'exacte localisation.
Ils marchent depuis
moins d'une dizaine de minutes, lorsque l'androïde, d'un geste de la main, leur
signifie de stopper leur progression. Pourvu d'un système de vision nocturne
ultra perfectionné, il a sans aucun doute détecté une présence suspecte. Aussi
se sont-ils accroupis dans les hautes herbes, tandis que des bruits de moteurs,
cependant encore éloignés, leur parviennent.
Au terme de quelques
secondes de réflexion, ils décident de se rapprocher en se faufilant
silencieusement.
Grâce au clair de lune,
ils distinguent à présent plusieurs formes mouvantes qui, de toute évidence,
sont des silhouettes humaines. Elles se tiennent à une vingtaine de mètres de
l'endroit où a pénétré la navette. Elles portent un uniforme argenté et leurs
visages sont masqués. Quelques-unes d'entre elles sont armées. Toutes paraissent
agitées, échangeant de temps à autre quelques brèves paroles dans un langage
inconnu, tandis que les bruits de moteurs semblent s'éloigner. Les deux hommes
et l’androïde distinguent toutefois le reflet des projecteurs dont les véhicules
sont équipés et qui sont en action.
- Ces individus
appartiennent sans aucun doute à la secte en question... murmure Winter... Mais
pour quelle raison portent-ils un masque ?
- A moins qu'il ne
s'agisse tout simplement de touristes en habit de carnaval... raille Ballantine.
Tapis dans les fourrés
à moins d'une vingtaine de mètres, ils remarquent que l'entrée de la base par
laquelle s’est engoufrée la navette est de nouveau libre d’accès.
- Je serais prêt à
parier qu'ils sont à la poursuite de quelqu'un ou de quelque chose... chuchote
Ballantine.
- Pourvu qu'ils n'en
aient pas après nous !... appréhende déjà Winter.
- Cela m’étonnerait
professeur ... Voyez par vous-même … Ils se dirigent dans la direction opposée.
- Après qui peuvent-ils
bien en avoir ?
- A en juger par
l'agitation dont font preuve ces gens, il se passe apparemment quelque chose
d'anormal dans le secteur... présume ballantine.
Un effrayant
rugissement vient de retentir, les faisant sursauter et mettant du même coup un
terme à leurs propos. Presque aussitôt, plusieurs coups de feu répercutés par
l'écho répondent au sinistre cri, tandis que les silhouettes restées jusque là
en faction devant l'entrée du tunnel se sont précipitées.
- Vous avez entendu
?... balbutie Winter.
- Cela n'a rien
d'humain... relève Z 24 d'une voix calme et tranquille.
- Toujours est-il que
nous sommes au moins assurés que ces individus en ont après cette chose...
souligne Ballantine... L'accès à la base est ouvert, profitons-en !... se
presse-t-il d'ajouter.
Ils se sont aussitôt
approchés du long tunnel au diamètre impressionnant, dont les parois vitrifiées
semblables à du verre poli ont été taillées à même le roc. Des spots fixés de
part et d’autre des parois y diffusent une clarté laiteuse. Un second couloir
aux dimensions beaucoup plus modestes, est séparé du premier tronçon qu'ils
viennent d'emprunter par un mur de roche aménagé en parallèle. Ce dégagement
assure certainement les va-et-vient de véhicules, tandis que le grand tunnel
n'est assurément utilisé que pour le passage des navettes spatiales, comme ils
ont pu le constater.
- Si nous nous
aventurons là-dedans, nous risquons de nous retrouver nez à nez avec une
patrouille ou d'être pris en sandwich... souffle Winter en désignant le corridor
secondaire.
- Nous allons continuer
dans le tunnel réservé aux navettes... rétorque Ballantine en invitant ses
compagnons à obtempérer.
- Le danger n'en sera
pas moins conséquent... se presse de signaler l'androïde... Nous risquons d'être
carbonisés si le passage est emprunté par un vaisseau une fois que nous serons à
l'intérieur.
- Nous n'avons guère le
choix. Il faut en prendre le risque... insiste Ballantine, en dépit dela mise en
garde adressée par Z 24.
Son obstination à
préférer la voie des navettes semble néanmoins lui donner raison … Les véhicules
aperçus précédemment regagnent la base, les bruits de moteurs se faisant de plus
en plus audibles.
- Les voilà qui
rappliquent !... grimace-t-il en marquant un temps d’arrêt… Vite, dans le tunnel
! Espérons qu'ils ne nous apercevront pas !
C'est au pas de course
qu'ils se risquent à l’intérieur du gigantesque passage, à l’instant où le
premier véhicule de la secte se présente à l'entrée du couloir.
Le boyau qu'ils ont
emprunté s'enfonce en pente douce. Au terme d'une progression d'une vingtaine de
minutes et tandis que l'allure n'a pas été ralentie, ils distinguent bientôt une
source lumineuse différente.
- Je crois que nous y
sommes... murmure Ballantine, le dos plaqué contre la paroi rocheuse.
C’est avec
circonspection qu’ils atteignent l’extrémité du tunnel.
Une quinzaine de
navettes spatiales sont parquées dans une gigantesque salle aux murs recouverts
de plaques de métal, à travers laquelle règne une luminosité plutôt agréable.
- Le commandant ne
s'est pas trompé. Cette secte dispose de moyens considérables et inimaginables
!... s’effare le professeur, les sourcils en accents circonflexes, osant à peine
remuer les lèvres.
- Et nous ne sommes
certainement pas au bout de nos surprises !... présume Ballantine avec une moue
circonstancielle.
Ils ont traversé la
salle à pas de loup, se glissant furtivement entre les astronefs. Plusieurs
cabines d'ascenseurs sont maintenant visibles, ainsi que d'innombrables portes
vitrées, dissimulant des escaliers qui semblent plonger dans les entrailles de
la terre.
- Il faut y aller, nous
n'avons guère le choix... soupire Ballantine en se dirigeant vers l'une des
portes qui s'est ouverte automatiquement à son approche.
Pistolet en main, il
entraîne aussitôt ses compagnons vers une destination pour le moins dangereuse
et inconnue.
L'escalier s'enfonce en
colimaçon. Plusieurs minutes leur auront été nécessaires avant qu'ils ne se
retrouvent face à une lourde porte blindée. C'est lagorge serrée par l'angoisse
que Ballantine en pousse précautionneusement le battant …
L’huis s’est entrebâillé silencieusement sur un immense local aux dimensions hors normes, à l’intérieur duquel ronronnent une multitude d'ordinateurs. Ils sont à n’en pas douter à l’intérieur du centre de contrôle de la base. Malgré l'heure tardive, une animation singulière règne dans les lieux. Plusieurs dizaines de personnes en blouse blanche s'affairent çà et là. D'autres sont installées devant leurs pupitres, l’œil rivé sur des cadrans, des manettes, des volants, ou des moniteurs video. Une estrade centrale domine les lieux, sur laquelle se tiennent d'autres techniciens, affairés eux aussi devant des écrans ronds et plus importants. Des enceintes acoustiques installées en divers endroits diffusent en permanence des informations dans un dialecte inconnu.
- C'est étrange...
souffle le professeur qui a tendu l'oreille... Je peux vous assurer qu'aucune
nation à ma connaissance n'emploie ce type de langage.
Les phrases égrenées
par les haut-parleurs ne comportent curieusement aucun son sonore. Elles sont
écrasées, voire étouffées. Même quasi inaudibles pour un individu jouissant
pourtant parfaitement de ses qualités auditives. Aucun peuple de la Terre n'est
en effet censé utiliser cette étrange phonétique, bien que les personnes
présentes semblent posséder toutes les caractéristiques du genre humain. Chose
plus curieuse encore, tous ces gens paraissent saisir parfaitement le sens des
messages diffusés par les baffles.
- Il me semble que
c'est ce même dialecte qu'employaient les êtres masqués que nous avons surpris
devant l'entrée de la base... souligne Ballantine.
- A n'en pas douter…
confirme Winter… Vous pouvez m'en croire. On ne saurait s'y tromper. J'avais
déjà constaté cette étrange particularité de la phonétique utilisée par ces
individus tout à l'heure. Mais je ne peux hélas en déduire quoi que ce soit.
- Si ces créatures
n'étaient pas humaines, je pense que les Lunariens s'en seraient aperçus et
qu'ils nous auraient prévenus... présume Ballantine.
- Toujours est-il que
leur aspect physique tend à prouver qu'ils seraient bien d'origine terrienne...
relève le professeur en rajustant ses petites lunettes.
Les haut-parleurs
semblent maintenant diffuser un compte à rebours … L'attention des participants
a aussitôt semblé plus soutenue. Tous paraissent à présent prêter une attention
toute particulière à ce qui est transmis. Ils pianotent avec empressement et
effervescence sur le clavier de leur ordinateur. Puis les diffuseurs sont tout à
coup devenus muets, tandis que tous les regards se sont portés vers un
gigantesque écran vidéo qui s'est allumé.
Les trois intrus se
sont rapprochés à pas de loup pour se dissimuler dans un recoin de la salle.
Stupéfaits, ils observent à leur tour les images que renvoie le vidéo.
Deux énormes structures
de plusieurs kilomètres de diamètre en forme de roues superposées, viennent
d’apparaître dans un relief saisissant. Elles sont reliées entre elles par des
conduits comparables à de gigantesques tuyaux. Elles pivotent sur elles-mêmes en
tournant lentement autour de leur axe, semblant suspendues dans l'espace telle
une île cosmique.
- Nom d'une pipe, la
station orbitale !... souffle le professeur.
- C'est incroyable,
elle est gigantesque !... s’effare Ballantine.
- Ces individus n'ont
effectivement rien à envier aux moyens dont dispose la NASA... réalise Winter,
visiblement abasourdi.