Le
manuscrit
des ombres
( Stéphan Lewis )
Extrait de l'histoire :
CHAPITRE I
Sylvia Troletti est
dans l'avion qui l'emmène vers Carcassonne. Elle vient de relire pour la énième
fois le petit bout de papier qui traîne au fond de sa poche et l'appréhension
continue de se lire sur son beau visage. Mais les hôtesses ont prié les
passagers de se sangler sur leurs sièges, le Boeing 747 amorçant sa procédure
d'atterrissage.
Cette jeune Française
de vingt sept ans aux yeux pervenche, blonde comme les blés, dont les formes
parfaites et harmonieuses sont étroitement moulées par une tunique blanche
serrée à la taille, contient de moins en moins bien l'impatience qui s'est
emparée de sa personne. Qui a bien pu lui envoyer ce curieux message ? En
premier lieu, elle n'y avait guère prêté attention. Il s'agissait de toute
evidence d'un canular, d'une mauvaise farce glissée dans sa boîte aux lettres
sous enveloppe insuffisamment affranchie d'ailleurs, le facteur lui ayant
réclamé la taxe correspondante. Puis, la curiosité aidant, résolue à en avoir le
coeur net,elle avait fini par plierbagages.
Un léger choc lui
indique qu'ils viennent d'atterrir. Les hôtesses invitent aussitôt les passagers
à quitter l'appareil et ces derniers se dirigent vers la sortie sans
précipitation, en file bien ordonnée. Il ne reste plus à Sylvia qu'à trouver un
moyen de locomotion pour se rendre dans la localité indiquée dans ce mystérieux
message. D'après ses calculs, Montségur, le petit bourg en question, se trouve à
une heure de route de Carcassonne et le parking de l'aéroport fourmille de taxis
qui semblent attendre le client de pied ferme.
Après avoir indiqué le
nom du village au chauffeur barbu qui l'a saluée d'un doigt collé à la
casquette, elle a pris place à l'arrière du véhicule.
Et la voici partie bon
train vers sa destination...
Sylvia est encore
indécise, mais elle ne peut plus reculer. A l'évidence, elle se sentira d'autant
plus tranquillisée lorsqu'elle aura vérifié les allégations du mystérieux auteur
de cette non moins énigmatique missive.
L'esprit en ébullition,
elle regarde machinalement le paysage qui défile.
Un panneau de
signalisation lui indique bientôt qu'ils sont arrivés. C'est avec un léger
pincement au coeur qu'elle demande au chauffeur de la déposer devant le premier
hôtel.
Claquement de portière
et le taxi redémarre, la laissant, la mine perplexe, devant l'entrée de l'unique
établissement hôtelier du petit bourg, qui ne compte guère plus d'une centaine
d'âmes.
Après une ultime
hésitation, elle a franchi le porche en soupirant.
L'homme qui trône
derrière le comptoir de la réception feuillette un magazine et lui adresse un
salut lapidaire enrelevant nonchalamment la tête.
- Bonjour ! Je désire
une chambre pour la nuit... lance-t-elle en esquissant un sourire furtif.
- Jour mab'selle !
C'est cinquante trois euros, petit déjeuner compris. Le service est à 8
heures... indique le réceptionniste d'une voix pâteuse.
- Ca me va.
- Vot' clef mab'selle.
Chambre 12.
- Merci ... euh ... Je
voulais vous demander : Le cimetière se trouve loin d'ici ?
- Trois ou quatre cents
mètres. En sortant,prenez tout droit, puis immédiatement à gauche.
Après avoir remercié
l'hôtelier, réglé la note par anticipation et couché son nom sur le registre de
l'hôtel, la jeune femme a emprunté l'escalier qui mène à l'étage.
D'un regard circulaire,
elle a rapidement fait le tour de la chambre avant de se laisser choir mollement
sur le lit pour allumer une cigarette. Durant un instant, perdue dans ses
pensées, elle observe le nuage de fumée bleutée qui paraît s'enrouler en
spirales vers le plafond jauni. C'est avec une moue de tergiversation qu'elle
extirpe la lettre écornée du fond de sa poche, pour s'attarder une nouvelle fois
sur son contenu ...
" Mademoiselle
Troletti, on ne se connaît pas et mon nom est sans importance. Sachez seulement
que je faisais partie des derniers membres de L'Ordre de l'Etoile d'Argent. Ne
cherchez pas à comprendre pour l'instant. Quelque chose d'inconcevable vous
concernant et dont vous êtes le réceptacle vient de se produire. C'est vous et
vous seule qui êtes au centre de ce phénomène incompréhensible dépassant
l'entendement et pourtant malheureusement bien réel. La survie du globe en est
maintenant l'enjeu et l'humanité va basculer dans un gouffre de terreur et de
désolation. Le temps me manque, mais je vous en conjure, il vous faut admettre
cette surprenante verité. Il est impératif que vous vous rendiez le plus
rapidement possible au cimetière de Montségur. C'est un petit bourg du sud de la
France. Les Veilleurs de l'Apocalypse sont d'ores et déja après moi et les
minutes me restant à vivre sont comptées. Vous devrez chercher la troisième
tombe en partant de la seconde allée. Aussi absurde que cela puisse vous
paraître, c'est à l'intérieur de celle-ci que vous avez été inhumée le mois
dernier. Sur votre tombeau a été tracée une étoile à cinq branches, dont le
centre est traversé par un trident. A partir de l'instant ou vous l'aurez
trouvé, vous devrez agir avec une extrême rapidité afin d'éviter d'entrer dans
la Zone des Oubliés, car Ils sont déjà là . Il est indispensable que vous
ouvriez le caveau pour accéder au cercueil afin que vous puissiez récupérer la
pierre de Tuaoi que vous portiez autour du cou. Cette pierre en cristal est la
clé de l'Univers. Elle est destinée à ouvrir la porte interdite et invisible du
Sanctuaire de la Connaissance qui relie le ciel à la Terre. Il est le gardien de
l'histoire de l'humanité et renferme le sixième livre du Pentateuque, le livre
secret qui manque à la Bible. Ne perdez pas un seul instant ... et que Dieu vous
garde."
Les lèvres pincées,
elle s'est gratté le menton d'un air songeur ... " C'est pas vrai, j'hallucine !
Je n'aurais jamais dû m'embarquer dans cette histoire de fou ! Ce type est
malade ! Ou il s'agit d'une plaisanterie d'un goût pour le moins douteux ! " ...
marmonne-t-elle dans un soupir en fourrant la lettre dans la poche de sa veste,
avant d'écraser nerveusement sa cigarette dans un cendrier.
Il est un peu plus de
17 h 00 et en ce mois d'octobre 2003, la nuit ne va plus tarder à s'installer.
Elle décide néanmoins de se rendre séance tenante au cimetière, la fébrilité qui
s'est emparée de sa personne ne lui permettant pas de remettre ses
investigations au lendemain.
Elle a ouvert sa valise
pour se saisir de son petit calibre 38 Smith & Wesson qu'elle glisse dans son
sac. Puis,elle quitte aussitôt la pièce d'un pas decidé.
En traversant le hall
de l'hôtel,elle jette machinalement un oeil sur le réceptionniste qui semble
toujours aussi absorbé par la lecture de son magazine et ne daigne même pas
relever la tête, tandis que sa cliente se dirige déjà vers la sortie.
Comme le lui a indiqué
ce dernier, l'entrée du cimetière lui apparaît presque aussitôt après qu'elle
ait quitté l'établissement.
Bien que peu convaincue
du bien-fondé de sa démarche, c'est le coeur battant qu'elle progresse à présent
d'un pas lent et discret le long de l'allée qui borde les tombes, l'oeil
attentif aux inscriptions gravées sur les caveaux ... Lorsque soudain elle a
tressailli ...
Elle vient de repérer
le pentagramme, l'étoile à cinq branches percée d'un trident, tracée sur l'une
des sépultures qui est censée renfermer sa dépouille, ce qui correspond à la
description de son mystérieux messager. Une seule inscription en langue latine :
" In hoc signo vinces *" dont elle ne saisit pas le sens, figure sous l'étoile,
sans autre indication sur l'identité du défunt. Reste à savoir de quelle manière
elle va procéder et surtout, si elle doit poursuivre dans cette voie ou tout
simplement renoncer, car le sens de ce message lui semble de plus en plus fou !
Comment pourrait-elle être morte et enterrée en ces lieux, alors qu'elle est
bien vivante, plantée devant ce tombeau qui, à l'évidence, ne peut être le sien
!
(* Par ce signe, tu
vaincras)
Des pas qui crissent
sur le gravier mêlés au bruit d'une respiration haletante lui font brusquement
tourner la tête. Elle n'aperçoit pas le ou les responsables, hormis une
silhouette furtive qui s'est aussitôt fondue dans la nuit naissante, créant du
même coup une atmosphère inquiétante, ce qui la fait frissonner l'espace d'un
instant. Après un dernier regard jeté aux alentours, elle s'est éloignée d'un
pas étouffé, s'empressant de se diriger vers la sortie.
Un cri sinistre et
perçant vient de retentir, aigu et soutenu, comparable au cri sans fin d'un
rapace torturé, suivi d'un silence non moins angoissant, la figeant
instantanément dans une immobilité de statue. Son corps s'en trouve subitement
paralysé, totalement insensible à la morsure que sa mâchoire inflige à sa lèvre
inférieure, tandis qu'elle croit discerner une ombre imprécise qui se glisse
entre les tombes. Une lueur d'effroi s'est allumée dans ses prunelles. Elle est
toutefois parvenue à se reprendre pour se hâter vers la grande grille donnant
accès au cimetière. L'oreille aux aguets, elle perçoit à présent un bruit de
course qui va en s'amplifiant, se dirigeant à n'en pas douter dans sa direction,
tandis que résonne un souffle rauque.
Un malaise intense a
pris possession de la jeune femme. Elle sent avec angoisse une peur panique qui
s'infiltre progressivement en elle. Elle s'est même mise à trembler de tous ses
membres et une étrange sensation semble la pénétrer, une sensation de froid
glacial. Affolée, elle a laissé choir son sac à main pour se précipiter vers la
sortie, tandis que le souffle rauque s'est subitement transformé en une espèce
de grognement rageur, pareil à celui d'une bête fauve dont la proie menace de
s'échapper, mais une bête invisible.
C'est en courant
qu'elle franchit la distance la séparant de son hôtel sans même s'être
retournée, pour se ruer sur le portillon d'accès, heurtant brutalement l'homme
qui quittait tranquillement l'établissement …
Hors d'haleine, une
main sur la poitrine en un mouvement dénotant une gêne respiratoire passagère
due à son essoufflement, la jeune femme a toutefois repris son sang froid. C'est
à présent d'un air embarrassé qu'elle tente de se confondre en excuses,
détaillant d'un regard navré celui qu'elle vient de bousculer par inadvertance.
Celui-ci s'est empressé
de lui adresser un sourire des plus rassurants, visiblement plus amusé par la
mine confuse qu'elle continue d'afficher, que semblant se formaliser de
l'incident dont il vient de faire les frais. Il la dévisage à son tour d'un air
surpris ...
- Je ne vous avais pas
vu ! … continue-t-elle d'une voix déconfite.
- Cela vous arrive
souvent de jouer les cascadeuses ?… sourit l'autre sur le ton de la
plaisanterie, avec un léger accent anglo-saxon.
- C'est que … je …
bafouille-t-elle lamentablement, ce qui a pour conséquence de déclencher un rire
clair et franc chez l'homme en question, svelte et bâti en athlète. Il ne paraît
pas dépasser la quarantaine. Cheveux noirs taillés en courte brosse, il porte
jean et pull à col roulé, un blouson de cuir noir jeté négligemment sur
l'épaule, retenu par deux doigts.
- Je vous en prie
mademoiselle. Il n'y a pas de mal. Mais permettez que je me présente. Mon nom
est Dany Ballantine. Je suis Britannique.
- Enchantée monsieur
Ballantine … euh ... Je suis vraiment confuse … Sylvia Troletti… ajoute-t-elle
en serrant maladroitement la main tendue… Mais je vous assure que…
- Oh, c'est déjà oublié
! Pas de mal je vous dis… insiste l'autre, banalisant déjà l'incident d'un geste
de la main… Mais … si je puis me permettre… continue-t-il en accentuant son
sourire… Vous sembliez avoir le diable aux trousses comme disent les Français en
pareille circonstance !
- Euh …oui. En fait
j'ai bêtement paniqué. Je reviens du cimetière et j'ai cru que quelqu'un en
avait après moi. D'où mon affolement avec les conséquences malheureuses que vous
venez de constater à vos dépends.
- Après vous,
dites-vous ? C'est étonnant ! Montségur est un petit village calme, d'ordinaire
tranquille et sans histoire !
- Vous avez
certainement raison monsieur et …
- Dany … Vous pouvez
m'appeler Dany.
- Excusez-moi encore
Dany. Je me suis certainement affolée à tort. Vous m'en voyez sincèrement
navrée. J'en ai même perdu mon sac.
- Qu'à cela ne tienne.
Si vous le permettez, pressons-nous d'aller le récupérer avant que le vilain qui
était à vos trousses ne se l'accapare… plaisante Ballantine avec un sourire
réconfortant.
Moins de quelques
minutes plus tard, ils pénètrent dans le petit cimetière communal. Sylvia a
aussitôt repéré l'allée où elle avait laissé choir son sac à main, mais celui-ci
a disparu.
- Vous êtes certaine de
l'avoir abandonné à cet endroit ? … insiste Ballantine.
- Oui, je ne peux me
tromper. C'est près du tombeau où je suis … commence-t-elle, sans toutefois oser
terminer son explication, brusquement embarrassée, soudainement consciente de sa
maladresse vis à vis de cet inconnu des plus galants, mais qui risque de douter
de sa raison.
- Où vous êtes ?…
relève cependant Ballantine en fronçant les sourcils.
Mais la jeune femme
n'aura pas le loisir d'apporter un éclaircissement à sa déclaration … L'étrange
cri qu'elle avait déjà perçu auparavant vient de retentir une nouvelle fois,
tandis que des ombres menaçantes sortent de la nuit.
Ballantine et sa
compagne ont échangé des regards effarés, tandis qu'une impression de froid
intense les enveloppe subitement.
- Vite, par ici ! …a
lancé Ballantine en agrippant le bras de la jeune femme qui levait déjà sur lui
un regard désemparé, l'entraînant vivement vers la sortie.
Une course-poursuite
s'est aussitôt engagée et un long hurlement inhumain a retenti.
Plusieurs silhouettes
légèrement voûtées, revêtues dirait-on d'une cape, la tête encapuchonnée, comme
sorties du néant telle une nuée fantomatique, se déplacent subitement dans leur
champ de vision, entamant une manœuvre d'encerclement.
A l'instant où l'un de
ces êtres hallucinants s'est rué sur lui en feulant, Ballantine s'est
instinctivement courbé ... D'un coup de rein, il l'a projeté par-dessus son
épaule, accompagnant son action d'un violent coup de pied expédié à toute volée,
envoyant une seconde créature au tapis.
Une brèche s'est
ouverte dans le cercle des mystérieuses apparitions cauchemardesques.
Visiblement surprises par cette contre-offensive des plus musclées, elles ont
stoppé leur attaque. D'étranges grognements semblables à des plaintes de damnés
mêlées à des grincements convulsifs résonnent dans le cimetière. Ce flottement
passager a laissé inopinément l'occasion aux deux autres de se précipiter vers
la sortie sans demander leur reste.
Au terme d'une course
folle qui n'a pourtant duré qu'une poignée de minutes, Ballantine, qui s'est
retourné à plusieurs reprises, a constaté qu'ils n'étaient pas poursuivis. Mais
ils ont sursauté ... Un long cri bestial, vrillant, tranchant, effroyable,
semblable à un hurlement démoniaque et coléreux, vient de résonner une nouvelle
fois comme une menace latente à travers la nuit.
- C'est incroyable ! …
s'est exclamée Sylvia d'une voix étranglée en se jetant une nouvelle fois sur le
portail du hall de l'hôtel.
- Je ne sais pas à qui
ou à quoi nous avons eu affaire, mais j'ai la nette impression que nous l'avons
échappé belle… réalise notre ami en reprenant sa respiration, tout en détaillant
le visage dilaté de la jeune femme dont les yeux continuent d'exprimer une
sourde terreur… Tout compte fait, je pense mériter une petite explication de
votre part. Mon petit doigt me dit que vous ne devez pas être étrangère à ce
phénomène… se presse-t-il d'ajouter en surveillant l'extérieur à travers la
porte vitrée.
L'ennui et l'hésitation
semblent aussitôt prendre possession de la jeune femme.
- Vous ne me croiriez
pas monsieur Ballantine et …
- Dany … Vous vous
souvenez. Appelez-moi Dany… l'interrompt ce dernier avec un sourire engageant.
- Oui. Excusez-moi
Dany. Mais …
- Mais ?
- Et bien voilà. Au
risque de passer pour une folle, ceci est l'objet de ma visite en ces lieux …
déclare-t-elle sur le ton de la confession, en extirpant la lettre de sa poche
avec la moue appropriée pour la remettre à Ballantine.
- Je peux ?… s'assure
toutefois celui-ci avec un geste embarrassé.
- Je vous en prie. Mais
vous risquez d'être surpris.
Ballantine a parcouru
la missive d'un œil attentif.
- D'emblée, on pourrait
croire à un canular… murmure-t-il, la mine réfléchie … Mais voyez-vous
mademoiselle…
- Sylvia… lui
souffle-t-elle à son tour, avec un sourire en coin.
- Voyez-vous Sylvia,
l'étrange incident dont nous venons d'être l'objet me laisse méditatif. Comme je
vous le disais, j'ignore par qui ou par quoi nous avons été agressés. Par
contre, ce dont je suis pratiquement certain, c'est le fait que ces créatures
n'avaient rien d'humain.
- Et vous avez entendu
ces hurlements démoniaques !… frissonne encore la jeune femme.
- Démoniaque est en
effet le mot qui convient. Ce qui est plus étrange encore, c'est le fait que ces
" choses " dégageaient une sensation de froid comparable, dirons-nous, à du
marbre… souligne Ballantine, le menton pris entre le pouce et l'index.
Ballantine et la jeune
femme sont installés l'un en face de l'autre, autour de l'une des tables du
salon de l'hôtel. Il est près de 19 h. Etant donné la tournure aussi énigmatique
qu'inquiétante, voire même menaçante que prend l'incident, tous deux ont une
mine réfléchie, commentant les derniers événements avec une certaine velléité.
- Je ne voudrais pas
vous inquiéter Sylvia, loin de moi cette idée. Cependant, il est à considérer
que ce à quoi nous venons d'être confrontés ce soir, pourrait bien avoir un lien
avec le contenu de cet étrange message... confie Ballantine, visiblement
préoccupé.
- Vous … Vous pensez
que …
- Oui. Et si vous
permettez que je vous donne mon avis, ces créatures de cauchemar qui nous ont
agressés, pourraient bien tenter de s'en prendre à nouveau à votre personne…
appréhende-t-il avec une grimace mal réprimée.
- Mon Dieu, que vais-je
faire !
- Il ne sert à rien de
vous tourmenter pour l'instant… poursuit Ballantine en s'efforçant de prendre un
ton rassurant… Mais pour cette nuit, en restant ici et sans protection, je
crains que vous ne receviez une visite pour le moins désagréable.
- Mais … Où voulez-vous
que …
- Si vous n'y voyez pas
d'inconvénient, vous passerez la nuit dans la villa de mon amiet compatriote le
professeur Joseph Winter. Croyez-moi, il sera ravi de vous héberger. Qu'en
pensez-vous ?
- Eh bien …euh … Je ne
sais pas … J'ai peur de déranger et …
- N'ayez surtout aucune
inquiétude à ce sujet. Vous verrez, le professeur sera ravi d'accueillir une
jeune femme aussi ravissante dans ses murs.
Visiblement
embarrassée, l'intéressée hésite un instant.
- Bon, j'accepte
volontiers votre hospitalité … finit-elle par décider, en gratifiant son nouvel
ami d'un sourire timide, mais emprunt de reconnaissance.
Elle a récupéré ses
bagages sous le regard inquisiteur et plutôt inquiet de l'hôtelier, qui voit
d'un mauvais œil ce départ anticipé et précipité. Mais Ballantine qui fait
certainement partie de son entourage familier s'est empressé de le rassurer. Il
a assurément trouvé la bonne excuse, car l'homme paraît cette fois non seulement
faire preuve de compréhension, mais également d'une certaine indulgence. Il ne
s'est d'ailleurs guère fait prier pour rembourser sa cliente en esquissant un
sourire navré.
Cinq petites minutes
auront suffi à rallier l'imposante propriété du professeur Joseph Winter,
archéologue de son état et ami inséparable de Dany Ballantine. C'est avec un
évident plaisir que la jeune femme s'est attardée durant quelques instants à
contempler l'élégante et spacieuse résidence, séduite par la beauté et le charme
qui se dégage de cet ancien corps de ferme luxueusement rénové avec un goût des
plus raffinés.
Emmitouflée au cœur
d'un parc immense tapissé de pelouses verdoyantes et de massifs fleuris, elle
est éclairée comme en plein jour par des rampes de projecteurs dissimulées sous
des tapis de verdure.
Ils en ont à peine
franchi le seuil, qu'un domestique en livrée, portant l'habit de majordome avec
gilet jaune rayé de noir, s'est déjà précipité. Il salue la nouvelle arrivante
avec courtoisie, dans la plus stricte tradition du protocole anglo-saxon, en y
ajoutant une respectueuse inclinaison du buste. L'accent avec lequel il s'est
exprimé ne laisse aucun doute quant à sa nationalité.
- Je te présente
mademoiselle Sylvia Troletti. Elle est Française… lui souffle Ballantine en
désignant la susnommée, qui gratifie à son tour l'employé de maison d'un sourire
discret… Où se trouve le professeur ?… enchaîne notre ami en déposant son
blouson sur le dossier d'un siège.
- Monsieur est dans le
grand salon… l'informe le majordome avant de tourner poliment les talons pour se
diriger vers les cuisines, après avoir débarrassé la jeune femme de sa jaquette.
- C'est Alexander.
L'homme de confiance du professeur… indique Ballantine à sa nouvelle amie, en
l'entraînant avec empressement à la rencontre du maître des lieux.
Ils viennent de
pénétrer dans la pièce principale dont les murs sont garnis de toiles de
maîtres. Un singulier personnage, accusant la soixantaine bien sonnée, se tient
derrière un bureau monumental près de l'imposante bibliothèque qui regorge
d'ouvrages. Il a le front partiellement dégarni et porte de petites lunettes
cerclées d'acier sur le bout du nez. Sa veste d'intérieur laissant voir un col
de chemise orné d'un nœud papillon des plus volumineux, le met parfaitement en
harmonie avec son univers.
- Nous avons une visite
professeur … l'avise Ballantine en refermant la porte.
- Une charmante visite…
constate l'interpellé en dévisageant la jeune femme par-dessus ses besicles et
en lui adressant un sourire des plus engageants.
- J'ai convié
mademoiselle Troletti à passer la nuit sous votre toit. Des vilains sont à ses
trousses.
- C'est une très bonne
initiative… se réjouit aussitôt ce dernier en tendant une main chaleureuse à
l'intéressée en guise de bienvenue… Des vilains dites-vous ?
- En réalité, je crois
que mademoiselle Troletti se trouve au cœur d'une bien étrange affaire… précise
Ballantine avec une moue circonstancielle.
Tous trois sont à
présent calés dans les confortables fauteuils de style anglais qui meublent le
grand salon, illuminé par le feu de bois qui crépite à travers la cheminée. Les
discussions vont bon train. Le professeur, qui a parcouru le mystérieux message
à son tour, a également été informé du déroulement des derniers événements, ce
qui le déconcerte totalement.
- A vous entendre, on
serait tenté de croire que des spectres hantent le cimetière !… s'effare-t-il en
avalant une gorgée de son cognac millésimé que vient de leur servir Alexander,
avant d'en faire claquer sa langue de satisfaction.
- Vous ne croyez pas si
bien dire professeur… relève Ballantine… Je vais même vous avouer que l'espace
d'un instant, lorsque ces … " choses " nous ont agressés, j'ai eu le sentiment
et le reflet morbide de me trouver en enfer, face à une horde de créatures
démoniaques en quête de victimes potentielles.
- Il y a aussi cette
curieuse sensation de froid que nous avons ressentie… souligne la jeune femme en
frissonnant.
- En premier lieu et si
nous voulons prendre les choses par le début,… observe Winter en bourrant
soigneusement la pipe qu'il vient d'extraire d'un tiroir… il nous faut
considérer si vous devez ou non prendre au sérieux la teneur de cet étrange
message, car son auteur est anonyme. En outre, cette agression dont vous avez
été les victimes peut en être le résultat de cause à effet.
- Il prétend faire
partie de la congrégation de l'Ordre de l'Etoile d'Argent. Une secte sans aucun
doute… gage Ballantine, songeur.
- Pas si vite Dany !…
tempère aussitôt Winter en tirant précipitamment une bouffée de son
brûle-gueule, la tête environnée d'un nuage de fumée… Si je ne m'abuse, cet
Ordre singulier, inconnu des profanes, réunissait des membres dont les préceptes
étaient basés sur le fait qu'une Intelligence Supérieure gouverne l'Univers
ainsi que tout ce qui s'y trouve. Cette communauté secrète vivait en marge de la
société, retirée du monde des humains. Nul n'a jamais su exactement qui étaient
ces gens, d'où ils venaient réellement et quel était leur véritable but. Leur
raison d'être a toujours été entourée d'un épais mystère. Ils apparurent en
France en l'an 800, sous le règne des Carolingiens. Leur origine reste encore
inexpliquée de nos jours… commente encore Winter, en parcourant du regard les
étagères de sa volumineuse bibliothèque.
Puis, s'emparant d'un
volume qu'il feuillette durant quelques secondes avec une attention soutenue …
Voilà. J'y suis … indique-t-il, en déposant délicatement sa pipe dans un
cendrier… D'après ce qui est dit ici, les membres qui revendiquaient le
prestigieux blason de la Congrégation de L'Ordre de l'Etoile d'Argent avaient
pour nom les Chrestians. Ils avaient l'originalité d'être dotés de
particularités physiques assez étonnantes : Ils étaient chauves, dépourvus
d'oreilles et avaient les pieds et les mains palmés. (véridique)
- Des caractéristiques
physiologiques pour le moins surprenantes et hors du commun !… souligne
Ballantine, avec une mimique de surprise.
- C'est également mon
avis… acquiesce Winter… Comme cet aspect était précisément considéré comme
repoussant, ce qui paraît d'ailleurs justifié, vous en conviendrez, obligation
leur était faite de se vêtir avec discrétion, afin de dissimuler autant que
possible ce physique disgracieux. Ils avaient en outre, comme autre contrainte,
charge de porter, cousue sur leurs vêtements et bien en vue sur la poitrine, une
patte d'oie séchée et peinte en rouge. Cette signalétique rappelait à la
population que ces êtres avaient ce singulier point commun avec les palmipèdes.
- Cette race paraît
avoir subi une ségrégation des plus sévères !… note encore Ballantine,
visiblement interloqué.
- Ces êtres atypiques
soumis au port d'un insigne distinctif appelé couramment le signe d'infamie et
qui vécurent en marginalité de la race humaine, essaimèrent surtout en Europe
avant de disparaître. Ils ne donnèrent plus signe de vie depuis le début de ce
siècle… résume encore Winter avec une moue de tergiversation.
- Apparemment vous
n'êtes plus en possession de l'enveloppe qui contenait le message ?… s'enquiert
pensivement Ballantine auprès de la jeune femme.
- Non. J'avoue que je
n'ai pas jugé utile de la conserver.
- En fait, la première
chose à faire serait de retrouver l'auteur de cette mise en garde assez
particulière… suggère encore Ballantine.
- Lorsque cette lettre
vous est parvenue, avez-vous prêté attention au lieu d'expédition figurant sur
l'estampille de la poste ?… enchaîne Winter, le menton pris entre le pouce et
l'index.
- Oui. En effet…
acquiesce Sylvia, tout à coup réfléchie... Le cachet indiquait Lavelanet, si mes
souvenirs sont exacts.
- Lavelanet !…
s'étonnent conjointement les deux autres, sourcils froncés.
- Oui. Lavelanet. Mais
je ne sais pas …
- Lavelanet se trouve à
une vingtaine de kilomètres de Montségur… mentionne aussitôt Winter.
- Si notre homme réside
dans cette commune et s'il obéit aux caractéristiques physiques que vous nous
avez décrites professeur, il nous sera je pense relativement aisé de
l'identifier… réalise Ballantine.
- Assurément. En
supposant toutefois que ce soit réellement un membre de la Congrégation de
l'Ordre de l'Etoile d'Argent comme il le prétend… souligne Winter avec une moue
de perplexité.
- Toujours est-il que
lui seul serait en mesure d'apporter les éclaircissements nécessaires à cette
mise en garde pour le moins singulière… observe Ballantine… Il est vrai que l'on
aurait pu la croire dénuée de sens, si nous n'avions été nous-mêmes confrontés à
ces étranges créatures sorties d'un mauvais film d'épouvante et qui n'étaient
pas là pour la démentir… rappelle-t-il encore avec une grimace mal réprimée… Si
je me fie à mon instinct, ce à quoi nous avons assisté ce soir est certainement
en corrélation étroite avec le contenu de ce mystérieux message.
- Je suis également de
cet avis… relève Winter en avalant d'un trait sa dernière goutte d'alcool.
- Si vous êtes d'accord
tous les deux et si vous acceptez notre aide Sylvia, je propose que nous allions
faire un tour du côté de Lavelanet dès demain… suggère Ballantine sur le ton de
la conclusion.
Le sourire approbateur
de la jeune femme semble avoir suffi à notre ami. Quant au professeur, il a
simplement haussé les épaules en guise d'assentiment.
CHAPITRE II
Le lendemain, 7 octobre
2003 … 10h35 …
La berline du
professeur vient de se garer le long de la rue principale de Lavelanet, libérant
aussitôt son trio d'enquêteurs occasionnels.
- Nous pourrons
peut-être glaner quelque information à l'intérieur de ce troquet… présume
Ballantine en désignant d'un geste le "café du commerce "… Dans ce genre
d'établissement, nous risquons d'apprendre quelque chose d'intéressant.
C'est jour de marché et
la place de cette petite bourgade de 8.400 habitants grouille de clients qui
s'affairent auprès des étals des marchands. Le bistrot en question résonne d'un
charivari assourdissant, mêlant à la fois les conversations qui vont bon train
au chahut des consommateurs, le tout noyé dans un univers de fumée. Mais
Ballantine vient de repérer une table restée libre au fond de la salle.
Installés sous un
ventilateur poussif, ils détaillent les personnes présentes avec une attention
soutenue, cherchant à tout hasard à identifier leur lascar parmi l'assistance.
C'est peine perdue et c'est le serveur venu prendre la commande qui met un terme
à leur observation ...
- Nous recherchons un
homme au physique assez particulier… glisse Ballantine avec un sourire
d'amabilité envers le garçon de café.
- Un homme chauve, sans
oreilles… complète impatiemment le professeur.
- Vous voulez
certainement parler de Gédéon… imagine sans hésitation le serveur en
débarrassant la table des quelques verres vides qui l'encombraient, avant de
l'essuyer d'un coup d'éponge.
- Gédéon ?… relève
Ballantine.
- Tout le monde ici le
surnomme ainsi à cause de ses mains palmées. Vous savez, comme le canard du même
nom dans les bandes dessinées… sourit le garçon en mimant brièvement le
palmipède… D'ailleurs, à Lavelanet nous ignorons tous sa véritable identité…
confie-t-il encore.
- Les mains palmées !
C'est notre homme… réalise Winter avec une mine de satisfaction.
- Est-ce que par hasard
vous sauriez où habite ce … Gédéon ?… poursuit Ballantine.
- Derrière l'église.
Vous n'aurez qu'à demander. Ici tout le monde le connaît.
- Nous vous remercions
pour votre amabilité. Nous prendrons trois thés… conclut aussitôt Ballantine en
lui adressant un sourire d'obligeance.
Quelques minutes plus
tard, soulagé d'avoir quitté cet environnement enfumé, le trio est déjà rendu
près de l'église de la commune. Le moteur de la berline tournant au ralenti, ils
guettent le premier passant susceptible de pouvoir les renseigner ; ce qui ne
tarde guère, une jeune femme se dirigeant déjà dans leur direction.
- Excusez-nous de vous
importuner !… l'interpelle Ballantine en affichant un sourire des plus courtois…
Nous cherchons Gédéon ?
- Gédéon ! …
relève-t-elle en indiquant aussitôt une habitation sans aucune hésitation… C'est
là ! … La quatrième maison avec le porche.
Sitôt après avoir
remercié cette obligeante personne, ils ont tôt fait de garer leur véhicule
avant de sonner au n° 32 où est censé demeurer l'homme en question.
La porte s'est ouverte
sur un étrange personnage ressemblant grossièrement à un être humain. Il est
vêtu d'une tunique écarlate et il est quasiment impossible de lui donner un âge.
Ce qui frappe ses visiteurs au premier abord, ce n'est pas son teint olivâtre,
ni le fait qu'il soit chauve, mais davantage le regard inquisiteur et pétillant
d'un bleu intense, presque irréel, qu'il vient de porter sur leurs personnes.
Comme l'avait indiqué le professeur, il n'a pas de pavillons d'oreilles, mais
deux simples trous comme chez les sauriens dont il a l'aspect. Le visage est
lisse comme celui d'un adolescent, tout en étant disgracieux. L'intéressé dégage
une chaleur corporelle anormale.
Mais il vient de
tressaillir en posant son regard sur la jeune femme, avant de la dévisager avec
une intensité quasi insoutenable ...
- Vous ici !…
s'exclame-t-il d'une voix tremblante, sans même chercher à dissimuler son
désarroi.
- Nous voudrions une
explication… glisse Ballantine sans plus attendre.
- Mais qui êtes-vous
?…se reprend l'étrange personnage en s'adressant cette fois aux deux hommes, les
détaillant d'un regard méfiant, tentant de se ressaisir.
- Nous sommes des amis
de mademoiselle Troletti. Mon nom est Dany Ballantine. Et voici le professeur
Joseph Winter.
Quelques secondes
d'hésitation auront suffi pour que l'homme se décide…
- Bon … Entrez vite !…
les prie-t-il aussitôt, la moue embarrassée, après avoir promené un regard
circonspect à l'extérieur, avant de refermer précipitamment la porte.
- Vous semblez
connaître cette jeune femme… observe Ballantine, sourcils froncés.
- C'est vous l'auteur
de la lettre ?… complète d'emblée Winter sur un ton pressant.
Devant cette entrée en
matière plutôt musclée, l'autre semble subitement mal à l'aise.
- Vous n'auriez pas dû
venir ici… se contente-t-il de répliquer, la remarque assortie d'un geste
accablé.
- Vous vous devez de
vous expliquer sur le sens de cet étrange message que vous avez envoyé à cette
jeune personne !… poursuit le professeur sur un ton peu amène.
L'homme a laissé fuser
un soupir de résignation.
- Les mondes visibles
et invisibles sont sur le point de cohabiter… laisse-t-il tomber d'une voix
lasse et discordante, avec une grimace de contrariété.
Winter et Ballantine
ont échangé des regards chargés de suspicion.
- Si c'est une
plaisanterie, permettez-moi de vous dire que je la trouve plutôt grotesque…
ricane ce dernier avec la moue appropriée.
- Pardonnez-moi
monsieur, mais je n'ai guère l'esprit à plaisanter… se défend vivement l'homme,
en les invitant d'un geste à pénétrer dans la pièce qui lui sert à la fois de
cuisine et de salle à manger.
- Vous conviendrez
toutefois que le contenu de votre message a de quoi surprendre ! Quand bien même
nous lui accorderions le moindre crédit… enchaîne Winter.
- Il existe des vérités
que les humains ne peuvent comprendre. Nul ne sait encore où finit le rationnel
et où commence l'irrationnel… argumente l'homme en invitant ses hôtes à prendre
un siège.
- Pourriez-vous être un
peu plus précis ?… le prie Ballantine en le considérant d'un air interloqué.
- Depuis peu, un
univers fantôme coexiste avec le nôtre… confesse l'homme sans plus attendre.
- Un quoi ?… tique
Ballantine, tandis que Winter a haussé les sourcils et que la jeune femme paraît
à son tour ne pas saisir le sens de la repartie.
- Pardonnez-moi
monsieur … ?
- Ballantine… rappelle
l'intéressé.
- Excusez-moi monsieur
Ballantine. En ce moment je n'ai plus trop ma tête. Bien que cela paraisse
relever de la fiction, un univers fantôme interfère depuis peu avec le nôtre. Il
est omniprésent et invisible, mais cependant bien réel… ajoute-t-il d'une voix
mécanique.
- Pourriez-vous être
plus clair ?… insiste cette fois le professeur en le fixant avec insistance
par-dessus ses lorgnons.
L'autre a affiché une
grimace de lassitude, laissant même fuser un soupir de résignation avant de
prendre un air fataliste qui lui déforme un peu plus la face.
- L'humanité est en
grand danger messieurs. Seule mademoiselle Troletti a peut-être le pouvoir, s'il
en est temps encore, de contrer les forces infernales qui ne vont pas tarder à
déferler sur la planète.
- Les forces infernales
!… s'effare Winter avec un air d'incrédulité, enveloppant l'autre d'un regard
étonné.
- Je comprends
parfaitement votre scepticisme. Mais le message que j'ai adressé à mademoiselle
Troletti est la stricte et impensable vérité.
- Qu'a-t-elle à voir
dans cette histoire de fous ?… affabule cette fois Ballantine, en affichant à
son tour une moue désabusée.
- C'est elle et elle
seule qui détient la pierre de Tuaoi… argumente Gédéon.
- La pierre de Tuaoi ?…
répète mécaniquement le professeur en fronçant les sourcils.
- Cette pierre est en
fait la clé de l'Univers… précise Gédéon.
- J'oubliais cette
histoire de pierre… pouffe Ballantine, dont le visage reflète les stigmates
d'une incrédulité croissante.
L'autre s'en est
aperçu.
- Ce cristal en forme
de prisme cylindrique a appartenu aux Atlantes. Il servait à rassembler et à
concentrer l'énergie, permettant à ses utilisateurs d'accomplir des choses
fantastiques. Mais je vois que vous ne me prenez pas au sérieux… constate-t-il
d'une voix éteinte et empreinte d'un évident regret… Tout bien considéré, tout
ceci n'a plus d'importance. Les goules ne vont plus tarder à être à pied d'œuvre
dans le cimetière… ajoute-t-il avec un mouvement fataliste des épaules.
Cette fois, ses trois
visiteurs ont tressailli.
- Les goules !… relève
Ballantine sourcils froncés.
- Mon Dieu tout ceci
serait donc vrai !… réalise à son tour Sylvia en dirigeant un visage tourmenté
en direction de ses deux compagnons.
- Cela paraît
inconcevable, voire ahurissant !… s'émeut cette fois le professeur.
Devant ce brusque
changement d'attitude, Gédéon semble subitement déconcerté, sans toutefois
saisir correctement le sens de ce revirement, pour le moins inattendu.
- Mademoiselle Troletti
et moi-même avons été agressés la nuit dernière dans le cimetière… rapporte
alors Ballantine avec une moue réfléchie.
- Vous voyez, ils sont
déjà là ! Ils sont déjà là !… s'exclame le Chrestian en quittant précipitamment
son siège… Les spectres mangeurs d'âmes rôdent dans le cimetière !
- Calmez-vous mon ami
!… tempère Winter en échangeant un regard halluciné avec ses deux compagnons.
- Professeur, vous ne
réalisez pas encore, mais ils sont là !… insiste Gédéon, visiblement affolé.
- Je présume que vous
voulez parler des goules… imagine Ballantine.
- Précisément monsieur.
Les goules ! Leur présence au cimetière prouve qu'ils ont trouvé le moyen de
traverser le seuil dimensionnel qui nous séparait jusqu'ici de leur univers…
commente l'homme d'une voix altérée, laissant deviner en lui une tension
inhabituelle trahissant son désarroi.
- Tout cela n'est pas
très clair… grince Ballantine, perplexe… Il n'y a peut-être aucun doute en ce
qui concerne une présence démoniaque dans le cimetière, mais de là à ...
- Des forces obscures
dont vous n'avez pas idée ont pris possession des lieux afin de s'en prendre au
tombeau… l'interrompt le Chrestian, dont les pupilles dilatées sous l'effet d'un
affolement croissant le font tout à coup ressembler à un démon.
- Le tombeau ?…
s'interroge Ballantine, l'invitant du regard à clarifier sa déclaration.
- La tombe de
mademoiselle Troletti… complète Gédéon avec un réalisme déconcertant.
- Alors, comment
expliquez-vous la présence de l'intéressée ici ... sous votre toit ... en cet
instant précis ?… raille Ballantine, la remarque assortie d'un haussement des
épaules.
- Je … Je comprends
encore une fois votre incrédulité monsieur Ballantine, car vous ignorez encore
tout de cette étrange et incroyable histoire… argumente l'autre sur un ton
empressé, ravalant sa salive à plusieurs reprises, trahissant cette fois une
nervosité poussée à l'extrême.
- Nous serions
évidemment plus amenés à vous croire si vous nous expliquiez à quoi rime tout
cela !… ergote à son tour Winter avec une moue de perplexité.
- Plus tard, si vous le
permettez … Pour l'instant, le temps presse. Si vous n'y voyez pas
d'inconvénient, il nous faut à tout prix exhumer le … le corps de mademoiselle
avant la nuit, afin de récupérer le cristal… anticipe le Chrestian, visiblement
mal à l'aise vis-à-vis de la personne concernée, pourtant présente à ses côtés.
- Voyons cher monsieur
! Même si nous partagions avec vous cette idée saugrenue, la chose s'avérerait
de toute manière impossible à réaliser en plein jour !… objecte Winter avec un
haussement d'épaules des plus significatifs.
- Nous attendrons le
crépuscule afin de pouvoir agir en toute discrétion… argumente Gédéon en
ébauchant un geste trahissant son impatience.
Cette fois, les trois
autres semblent pris de court devant cette argumentation des plus fondées. Mis
au pied du mur par le déroulement des derniers événements paraissant accréditer
les dires de cet étrange bonhomme, ils ont échangé des regards perplexes et
embarrassés.
- Ce que vous nous
demandez là est en marge de la légalité… murmure le professeur sur un ton de
reproche, en se grattant nerveusement l'occiput, cherchant toutefois du regard
l'avis de ses compagnons.
- Cette histoire relève
de la loufoquerie, mais … je reconnais que les incidents qui se sont déroulés au
cimetière me déroutent. Je suis incapable de leur donner une explication
rationnelle… admet Ballantine en se caressant pensivement le menton …Bon, je
veux bien admettre que l'étrange incident du cimetière me laisse perplexe...
concède-t-il après une ultime hésitation... Je pense qu'effectivement nous
devrions nous rendre compte par nous-mêmes… estime-t-il au terme de quelques
secondes de réflexion, cherchant à son tour l'approbation des deux autres.
Winter a haussé les
épaules en guise d'assentiment ; tandis que Sylvia lui fait comprendre d'un
sourire qu'elle s'en remet à sa décision.
L'obscurité a envahi le
petit bourg de Montségur.
La conduite intérieure
pilotée par Dany Ballantine vient de se garer dans une rue avoisinant le
cimetière.
Etant donné les risques
à présent liés à leur entreprise, Ballantine et Winter ont pris la précaution de
s'armer individuellement d'un MR73 en 4 pouces calibre 357 magnum, une arme de
poing redoutable aux munitions puissantes. Ils se sont également munis de deux
torches électriques.
Les trois hommes et la
jeune femme se glissent à présent comme des ombres entre les sépultures, tous
les sens en alerte.
La silhouette sombre
des arbres et le vent qui agite les branches qui bruissent dans les ténèbres
concourent à créer une ambiance angoissante. On ne perçoit plus que le léger
bruit de leurs pas qui crissent sur le gravier.
C'est le cœur battant
la chamade, qu'ils arrivent en vue du tombeau censé renfermer la dépouille de la
jeune femme. Ils n'en sont plus qu'à quelques pas ; la lampe vient même
d'accrocher la sépulture … Mais ils se sont aussitôt immobilisés, échangeant des
regards effarés et Ballantine a eu un imperceptible froncement de sourcils.
La dalle recouvrant le
caveau n'est plus en place. Elle a glissé sur le côté et une brume mystérieuse
s'échappe de la cavité, maintenant à ciel ouvert.
- Regardez… on dirait
des traces de griffes !… murmure Ballantine en éclairant la pierre tombale,
éraflée en plusieurs endroits.
- Nous arrivons trop
tard !… dramatise Gédéon d'une voix blanche… L'empire de la nuit a pris
possession des lieux. Des forces étranges et maléfiques nous ont précédés…
continue-t-il sur le même ton de contrariété.
Mais les trois autres
n'ont pas relevé. La bouche grande ouverte et les sourcils en accents
circonflexes, ils ont le regard rivé sur la fosse contenant le cercueil
maintenant apparent, dont le couvercle a été arraché …
- C'est impossible !…
murmure Ballantine, en échangeant un regard éberlué avec ses compagnons. à
suivre .............