Les enfants des étoiles  
                                          
( Stéphan Lewis )



                                                                                        Extrait de l'histoire :


CHAPITRE I

 

Rien à signaler ... Dans la nuit étoilée du 6 mai 1999, le vol British Airways BA 5061 en provenance de Manchester en Angleterre, amorce sa descente vers l'aéroport de Perpignan. Le vol s'est déroulé sans incident et le Boeing volant à 4000 pieds d'altitude se prépare à virer vers la piste 24. Le commandant de bord est aux commandes et lutte contre un vent fort de nord-ouest qui bouscule un peu son appareil, tandis que son copilote surveille les instruments de bord.

Dany Ballantine, un solide gaillard de 41 ans aux yeux verts et à la carrure athlétique, portant des cheveux noirs taillés en brosse, est confortablement installé dans le salon des premières classes. Il converse tranquillement avec son ami et compatriote, le professeur Joseph Winter, éminent archéologue britannique sexagénaire au front partiellement dégarni, portant de petites lunettes cerclées d'acier sur le bout du nez. L’ambiance à bord est plutôt détendue, lorsque soudain, Ballantine qui est assis près d'un hublot, a le regard attiré par un fait des plus insolites, qui le fait même sursauter.

A travers la vitre du cockpit, le commandant de bord et son copilote, témoins du même phénomène, ont subitement senti leurs pulsations s’accélérer.

Une énorme masse surgie inopinément d’un nuage, semble se précipiter et fondre vers l’appareil.

Surpris, les yeux agrandis par la stupeur, le pilote s’est instinctivement recroquevillé pour s’agripper aux commandes en un réflexe trahissant son désarroi. Mais son mouvement est à peine amorcé, que l’étrange objet les a déjà rejoints et distancés. Après être passé à grande vitesse sur la droite de l’avion sans engendrer lemoindre bruit, il s’est aussitôt volatilisé.

Le commandant a vite réalisé que quelque chose de singulier et d’inhabituel venait de se produire, ayant mis indéniablement la sécurité de ses passagers en danger. Il s’est tourné précipitamment vers le copilote, le visage blême et décomposé.

- Vous avez vu Peter !… articule-t-il d’une voix blanche, aussi tremblante qu’émotionnée.

Ce dernier, le teint livide, s’est contenté de lui adresser un regard des plus significatifs. En revanche, aucun des passagers, hormis Ballantine et un homme d'une cinquantaine d'années, n'a remarqué quoi que ce soit d'anormal, sans doute en raison des faibles dimensions des hublots dont le champ de vision est extrêmement réduit.

Tandis que Ballantine, à peine remis de son émotion, fait part de cette étrange et plutôt brève apparition au professeur Winter, l'équipage contacte Perpignan afin de déterminer la nature de cet incident. A savoir si le radar a signalé la présence d'un autre avion dans la zone. A leur grand étonnement, les contrôleurs aériens répondent aussitôt par la négative : Rien sur les écrans.

L'homme qui a également assisté au phénomène et qui est installé devant Ballantine a bondi de son siège, subitement sujet à une panique naissante.
- Vous avez vu vous aussi ?... lui lance alors notre ami, qui a remarqué son étrange comportement.

Mais l’intéressé est visiblement affolé.

- Ils m'ont retrouvé ! Ils sont déjà là et ils sont hostiles... réplique-t-il d'une voix quasi étranglée, les yeux hagards.

Et avant que Ballantine n'ait pu ajouter un mot, l'inconnu s’est précipité vers les toilettes.

- Qu'a voulu dire cet homme ?... s'étonne Winter, les sourcils en accents circonflexes.

- Je l’ignore professeur… s’interroge Ballantine avec une mimique de surprise … Il a certainement assisté, comme moi, à cette succincte apparition. Mais sa réaction me surprend !

- Qu'avez-vous aperçu exactement ?

- A vrai dire pas grand-chose. Je n’ai guère eu le temps de me rendre compte... admet Ballantine en se passant une main ouverte dans sa courte brosse… Je suis néanmoins certain de ne pas avoir eu la berlue. J'ai la nette impression qu'un autre avion nous a frôlés.

- Vous m'étonnez Dany. Chaque appareil a son propre couloir de navigation. Nous sommes à proximité du terrain et apparemment aucun passager ne semble avoir remarqué quoi que ce soit de particulier. D'ailleurs regardez ! Les hôtesses bavardent entre elles avec insouciance. Si, comme vous le supposez, un autre appareil nous avait effleurés, étant donné le risque encouru, une telle chose ne serait tout de même pas passée inaperçue ! Ne serait-ce que par les pilotes... se contente d'argumenter Winter avec un geste dérisoire.

- Je ne peux qu’approuver votre raisonnement professeur. Toutefois, je reste activement persuadé qu’il s’est produit quelque chose d’insolite à l’insu des autres passagers. Je n'ai pas rêvé. D’ailleurs, l'homme qui était assis devant nous a assisté au même phénomène. Ce qui n'explique toutefois pas son curieux comportement.

Entre temps, le Boeing s'est posé et les hôtesses procèdent au débarquement de ses passagers.

Winter et Ballantine, sans accorder plus d'importance à l’incident, se dirigent nonchalamment vers la sortie après avoir récupéré leurs bagages.

Tandis qu'ils traversent l'aéroport, l'étrange bonhomme qui avait manifesté son désarroi dans l’avion, surgit précipitamment devant eux avec l’air d’un animal traqué.

- Je vous en prie. Prenez soin de ceci. Je n'ai plus le temps !... halète-t-il dans un souffle empressé, en abandonnant vivement son attaché-case entre les mains de Ballantine, sans autre formalité.

Puis, sans ajouter un mot, il s’est rué vers la sortie, laissant les deux autres pour le moins interloqués.

Avant qu’ils ne soient revenus de leur surprise, ils sont violemment bousculés par trois individus barbus, manifestement lancés à la poursuite de leur homme qui a déjà disparu. Ces derniers, après les avoir dévisagés sans la moindre indiscrétion et sans même proférer un seul mot d’excuses, se sont aussitôt perdus à leur tour dans la foule.

- Qu'est-ce que tout cela veut dire !... s'effare le professeur, bouche bée, déconcerté et excédé par cet enchaînement de comportements indélicats des plus singuliers.

- Ce type avait l'air paniqué !... réalise Ballantine qui, manifestement pris au dépourvu, contemple la sacoche d'un air surpris et plutôt embarrassé.
- Il semblait surtout pressé !... souligne Winter avec une moue d’indignation, en portant à son tour son attention sur la mallette de cuir abandonnée par l’inconnu entre les mains de son ami.

- Ces trois lascars, qui apparemment n’ont aucun savoir-vivre, nous ont ouvertement détaillés de la tête aux pieds ! Ils paraissaient en avoir après notre homme, si je ne m'abuse… gage Ballantine.

- Peut-être avons-nous affaire à un cambrioleur !… suspecte déjà Winter avec une moue de contrariété… Vous feriez bien de vous débarrasser de cet objet sans tarder… se presse-t-il encore de recommander sur un ton circonspect.

- Malgré les apparences, je crois cet homme honnête professeur. Je songe aux quelques mots qu’il m’a confiés dans l’avion : " Ils m'ont retrouvé ! Ils sont déjà là et ils sont hostiles ".

- Qu’a-t-il voulu dire par là ?… relève Winter, pour le moins soupçonneux.

 - Je n’en ai pas la moindre idée. Mais je ne serais pas surpris qu'il y ait corrélation entre cette étrange apparition dans les airs et son attitude, si surprenante soit-elle, vis à vis de ces trois individus ! Peut-être s’agissait-il de ceux à qui il faisait allusion.

- Mais pour quelle raison se serait-il dessaisi de son bien ! A supposer bien entendu que ce soit le sien… doute visiblement Winter… Ah, voici Alexander !... abrège-t-il aussitôt, en désignant d'un signe de tête son majordome qui vient de faire son apparition dans le hall de l'aéroport.

- J'espère que ces messieurs ont fait bon voyage... s'enquiert le domestique avec on ne peut plus d'égard et dans la plus stricte tradition du protocole anglo-saxon, en s’empressant de les soulager d’une partie de leurs bagages.

- Excellent Alexander, excellent... sourit Winter.

- La voiture est au parking... indique le majordome en les précédant déjà vers la sortie.

Ballantine a immédiatement repéré la luxueuse féline du professeur, une Jaguar XJ12 série III, reconnaissable entre toutes par son prestigieux design.

- Tout est en ordre à la villa ?... s’informe encore prudemment Winter en prenant place près de Ballantine, à l’arrière de la confortable limousine.

- Tout est prêt pourvous recevoir monsieur le professeur... assure Alexander en s’installant au volant.

 Puis, le véhicule prend aussitôt la direction deMontségur, pour avaler la centaine de kilomètres les séparant de cette petite bourgade de l'Ariège, où le professeur Winter possède une résidence particulière.

Chemin faisant, Winter échange quelque banalité avec son majordome. Ballantine, encore sous le coup de cette surprenante rencontre, décide de jeter un œil à l'intérieur de la sacoche dont il ne sait apparemment que faire.

- Je me demande comment cet homme va s'y prendre pour récupérer son bien. Il n'a assurément aucune idée de notre identité... avance Winter avec assurance.

Sans apporter de réponse à la remarque faite par son ami, Ballantine a ouvert la sacoche sous le regard on ne peut plus réprobateur de celui-ci.

Contre toute attente, la mallette ne révèle toutefois qu'une fiole contenant un liquide violet et épais.

- A quoi cela peut-il bien servir ?... soupire-t-il en l’exhibant avec une moue de perplexité.

- J'espère que nous n'avons pas fourré notre nez dans une affaire d'espionnage !... soupçonne déjà Winter en jetant un regard inquiet sur l’objet de sa prévenance.

- C’est possible. Mais avouez que nous n'avons pas eu le temps de réagir. Cet homme m'a abandonné son attaché-case entre les mains avant de filer sans demander son reste, comme si tous les démons de la planète étaient à ses trousses !

Durant leur conversation, la limousine est parvenue à destination.

 Il n’est pas loin de minuit, aussi se sont-ils installés dans la grande bibliothèque devant un cognac millésimé, en attendant qu’Alexander serve le repas du soir.

- Que peut bien contenir cette fiole ?... murmure Ballantine, pensif, chatouillé par le démon de la curiosité.

- Tout cela ne me dit rien qui vaille. J’ai bien peur que cet incident ne nous attire encore les pires ennuis... confesse Winter d'un air tracassé, en faisant toutefois claquer sa langue de satisfaction après avoir savouré une gorgée de son alcool préféré.

- Nous pouvons toujours nous débarrasser du flacon... banalise Ballantine.

- Ce serait risqué ! Nous ignorons la nature de son contenu. Imaginez que ce soit une arme bactériologique !... anticipe déjà Winter avec une grimace de contrariété.

- Vous avez raison professeur. L'idéal serait de le faire analyser.

- C'est ce que nous aurions de mieux à faire, attendu que de toute évidence son propriétaire n'est pas prêt de se manifester. Il aura bien de la peine à nous retrouver.

 Le timbre d’appel du téléphone vient de résonner, mettant un terme à leur échange de propos. Le majordome du professeur l’informe aussitôt que la personne qui se tient au bout du fil, mais qui n'a pas daigné décliner son identité, souhaite l'entretenir d'une chose grave et urgente.

Winter a haussé les sourcils. Qui peut bien le déranger à cette heure tardive ? Après une légère hésitation, il s’est saisi du combiné que lui présentait son domestique.

- Allô … Ici le professeur Winter.

Une voix anonyme, aussi empressée qu’angoissée, se manifeste aussitôt à l'autre bout du fil.

- Pardonnez-moi de vous déranger si tardivement professeur. Je suis l'homme qui aremis l’attaché-case à la personne qui vous accompagnait à l'aéroport.

- Que ! Comment !... s'effare Winter.

- Je n'ai guère le temps de justifier mon comportement. Mon existence est menacée et je vais devoir raccrocher rapidement. Mais je vous conjure de mettre la sacoche en lieu sûr. La survie de la planète en dépend.

- Mais enfin, qui êtes-vous ? Et comment savez-vous qui je suis ?

- Faites-moi confiance professeur.

Et son correspondant a brusquement interrompu la conversation.

Le combiné encore en main comme s'il ne savait qu'en faire, Winter, l’air éberlué, s’est tourné vers Ballantine. Ce dernier, ne sachant interpréter la réaction de son ami, puisque n'ayant pas assisté à ce bref échange de propos, le fixe d'un regard interrogateur.

- C'était lui !... déclare Winter d'une voix chevrotante.

- Vous voulez dire ... Notre homme de l'aéroport ?

- Précisément. Il m'a simplement recommandé de mettre la sacoche en sécurité. Il a ajouté que l'existence de la planète en dépendait !

- Ce type connaissait donc votre identité. C’est la raison pour laquelle il a pu vous joindre… présume Ballantine, perplexe… Si nous voulons éclaircir ce mystère, il nous reste à espérer qu'il se manifeste à nouveau. Et je pense qu'il le fera... gage encore notre ami, la moue réfléchie.

 

CHAPITRE II

 

Le lendemain matin ... 7 h 22 …

 Winter et Ballantine prennent leur petit-déjeuner dans la grande salle à manger, ressassant les événements de la veille, lorsqu'on sonne à la porte. Alexander, qui s'est aussitôt précipité, informe le professeur qu'un homme prétendant s’appeler John Steeven désire lui parler.

- John Steeven ?… s’étonne Winter qui vient à peine d’avaler sa tasse de thé.

- Parfaitement monsieur le professeur. C'est bien le patronyme qu'il m'a donné.

- Ce nom ne me dit rien... hésite Winter, perplexe... Bon eh bien... Faites-le donc entrer... consent-il toutefois.

Un personnage d'une cinquantaine d'années, visiblement affaibli physiquement, non rasé, les cheveux ébouriffés, fait bientôt son apparition. Son visage est creusé et son regard assombri d’un voile de fatigue.

- Vous !... s'est exclamé Winter qui, à l’instar de Ballantine, vient de reconnaître l'homme à la sacoche.

- Mille excuses professeur Winter, ainsi que vous monsieur. Mais je n'avais pas le choix... se contente-t-il de déclarer d’une voix trahissant une fatigue intense, en cherchant un siège du regard.

L’inconnu s’est exprimé en anglais avec un léger accent américain, ne laissant aucun doute quant à sa nationalité.

- Vous allez peut-être nous expliquer ?... anticipe Ballantine, en l'invitant d'un geste à prendre place auprès de lui.

 - Je suis venu dans cette intention… halète l’autre… Mais avant toute chose, avez-vous la sacoche ?... s'enquiert-il fébrilement dans un souffle, en se laissant aller mollement sur le siège offert.

- Rassurez-vous, nous l'avons conservée. Mais je crois que votre comportement mérite quelques explications !… insiste Winter sur un ton sans équivoque… Et d’abord, comment savez-vous qui je suis ?… poursuit-il d’une voix irritée.

- Avant toute chose, sachez que je suis sincèrement confus de vous importuner de la sorte et dans cette tenue. Mais je n'ai pas fermé l'œil de la nuit à cause d'eux... confesse timidement l'homme, paraissant véritablement exténué.

Ballantine et Winter ont échangé des regards étonnés.

- Je suis le docteur John Steeven, ingénieur chimiste à l’institut des sciences académiques de Californie... continue-t-il en déglutissant nerveusement… J'étais allé à Manchester rencontrer un ami, le professeur Sylvester Evering.

- Je connais fort bien cet homme. C’est un scientifique de grande valeur... mentionne Winter.

- Or, en me rendant à son domicile,… poursuit Steeven, semblant ignorer la remarque … j'apprenais qu'il venait d'être victime d'un accident de la route et qu'il était actuellement hospitalisé. Ses jours n'étaient toutefois pas en danger. Rassuré sur son état de santé, je décidais alors de me rendre seul en France, à Perpignan, au laboratoire du professeur Sébastien Jacquemart. Evering devait normalement m'y accompagner. Mais hier dans la nuit, j'étais témoin, comme votre ami, d'une chose insolite à bord du vol pour Perpignan. J'étais aussitôt contraint, à l'atterrissage, de me séparer de ma précieuse sacoche, car des individus en avaient après moi dès mon arrivée à l'aéroport.

- Pourquoi tous ces mystères ! Et pour quelle raison en aurait-on après vous ?… s’étonne Ballantine… Qu'auriez-vous remarqué de si important lorsque nous étions sur le point d'atterrir ? En ce qui me concerne, je pense seulement avoir discerné un avion qui nous frôlait, c’est vrai ! Mais de là à …

- Je peux vous assurer que ce que vous avez entrevu n'était pas un avion... relève Steeven avec de l'assurance dans la voix... L’objet que vous avez aperçu dans les airs en avait également après moi… poursuit-il dans un souffle.

- Tout cela me semble bien étrange... sourcille Winter... S'il y a eu réellement quelque chose dont vous n'ignorez pas la nature avec l’intention de vous nuire, de quoi s'agissait-il exactement ?

Steeven hésite un instant.

- C’était un engin venu d'un autre monde... finit-il par lâcher du bout des lèvres.

Les deux autres ont échangé des regards pour le moins chargés d'une certaine incrédulité.

- Vous êtes sérieux monsieur Steeven ?... doute visiblement Ballantine, avec une moue reflétant sa perplexité.

- On ne peut plus sérieux monsieur. Mais je crois qu'il s’avère nécessaire que je reprenne les choses à leur début. Si vous le permettez bien évidemment.

- Nous serions mieux dans le grand salon... suggère alors Winter en conviant les deux hommes à le suivre.

Ils sont bientôt confortablement calés au creux des grands fauteuils de style anglais, face à la monumentale bibliothèque.

Le docteur entame aussitôt sa surprenante histoire …

- Tout a commencé voici quatre mois, alors que je revenais d'une expédition en Amérique du sud. Comme je vous l'ai précédemment indiqué, je suis chimiste et en outre, spécialiste du D.M.T. Fin août, je venais de découvrir, dans les forêts sud-américaines, une nouvelle espèce d'un champignon jusqu'ici inconnu et possédant des vertus hallucinogènes exceptionnelles. De retour dans mon laboratoire, j'en perçais les propriétés extraordinaires et lui donnais l'appellation de BX 27. Son utilisation permet au sujet traité de rencontrer des intelligences inconnues extraterrestres.

- Extraterrestres !... relève Winter, qui affiche à son tour une moue peu crédule.

- Je ne plaisante pas professeur... insiste Steeven devant le scepticisme de sa réaction... Je ne suis on ne peut plus sérieux. Le BX 27 est en fait une espèce de drogue psychédélique qui encourage et améliore les perceptions extrasensorielles. Il rend curieusement possible une glisse vers d’autres mondes.

- Durant la transe qu'il provoque ?... s'étonne à son tour Ballantine.

- En effet. Des êtres ou des intelligences d'un univers hyperdimensionnel peuvent communiquer avec nous sur une fréquence de la conscience humaine devenue réceptive grâce au BX 27… précise le docteur.

- Je présume que vous l'avez testé sur votre personne ?... poursuit Ballantine.

- Je me le suis effectivement auto-administré, ce qui m’a permis une incursion dans l’autre monde où j’ai pu rencontrer ces entités... confirme Steeven... Lors de ma première expérience diméthyltryptamine, je suis immédiatement entré en contact avec un univers hyperdimensionnel bouillonnant d'intelligences trans-humaines, totalement différent de ce que nous connaissons.

- Votre BX 27 ne représente-t-il pas un danger pour son utilisateur, si ses effets sont comparables au L.S.D ?.... présume déjà Winter, le menton pris entre le pouce et l’index.

- Il produit un effet psychotrope… nuance le docteur… Le BX 27 ne présente aucune toxicité détectable. Il ne provoque aucune lésion cérébrale. Mais si vous le permettez, je poursuis … Conscient de l'importance de cette découverte, j'avais pris rendez-vous avec le professeur Evering, afin qu’il me fasse part de son opinion. L’attaché-case que je vous ai confié, bien malgré vous je l'admets, contient un échantillon de ce BX 27.

- Mais ces … extraterrestres, qui sont-ils ?... insiste Ballantine, visiblement intrigué.

- Il existe une faille entre notre univers et celui de ces entités bienveillantes, malheureusement dominées par une autre race de nature hostile, les Diableros. C’est l'un de leurs vaisseaux que vous avez aperçu lorsque vous étiez à bord du Boeing. Me sachant en danger, je n'avais pas d'autre alternative que de vous abandonner la sacoche contenant le BX 27. Lorsque votre ami s'est adressé à moi dans l'avion, je ne vous avais pas encore reconnu professeur Winter. La mémoire m'est revenue peu après, pour vous avoir vu en couverture d'un magazine lors de votre retour des fouilles que vous aviez entreprises en Egypte l'année dernière. L'article précisait en outre que vous vous étiez établi en France, à Montségur.

A ma descente d'avion, trois individus me prirent aussitôt en chasse. Je priais le ciel pour vous retrouver, vous et votre ami. Je restais néanmoins assuré qu'en vous confiant le BX 27, j'avais la possibilité de le récupérer ultérieurement, sachant que vous résidiez à Montségur. Ce me fut relativement aisé, puisque le soir même je trouvais votre téléphone sur le bottin d'une cabine.

- Vous êtes tout simplement victime de votre popularité professeur... plaisante Ballantine en donnant une tape amicale sur l'épaule de son compagnon... Mais pour quelle raison ces entités en ont-elle après vous ? Est-ce ces ... Diableros, comme vous les nommez ?

- C'est en effet le nom qui leur est attribué. Ils ne souhaitent pas que notre monde entre en contact avec le leur. Comme je vous le disais, ils détiennent sous leur domination les légitimes habitants de cette planète de la constellation d'Orion.

- Orion ! La constellation d’Orion !... s'effare Winter.

- Il s'agit en fait des habitants d'un astre minuscule du nom d’Ostantria… précise Steeven… Nos astronomes ne l’ont pas encore décelé. Il est situé derrière l'épaule orientale d'Orion et gravite autour de Bételgeuse. Sa population qui ne compte guère plus d'un million d'âmes, est en quelque sorte captive de ces Diableros. Ces créatures ont envahi leur monde pour les asservir, il y aurait de cela un peu plus de 3200 ans.

- Vous me paraissez bien sûr de vous !... ergote Ballantine, la mine perplexe... Comment êtes-vous en possession de tous ces renseignements ?

- Dès ma première tentative, j’ai réussi à entrer en contact avec deux Olmèques. C'est le nom attribué aux habitants d'Ostantria.

- Vous avez bien dit "Olmèques" !… a tressailli le professeur.

- Oui. En effet. C'est ce qu’ils m’ont déclaré.

- C'est curieux ! … Ce patronyme était attribué à une très ancienne civilisation précolombienne de la région du golfe du Mexique... mentionne Winter d'un air songeur.

- Certainement une simple coïncidence professeur… sourit Ballantine.

- Après que je leur eus révélé que je me manifestais depuis la Terre,… poursuit Steeven… ils n'eurent aucunement l'air surpris que notre planète soit habitée. Par contre, je fus stupéfait de constater que Bételgeuse soit flanquée d'un satellite doté d'une vie pratiquement comparable à la nôtre. Ils me confièrent alors qu'ils vivaient sous le joug des Diableros depuis plusieurs dizaines de générations.

- Ces Diableros, d'où viennent-ils ?... l’interrompt Ballantine.

- Les Olmèques l'ignorent. Ces envahisseurs semblent être sortis de nulle part. Les habitants d’Ostantria présument qu'il s'agit d'une peuplade nomade et itinérante qui aurait investi leur univers, mais dont les origines restent cependant totalement méconnues.

- Ces deux races sont-elles physiquement différentes de la nôtre ?... poursuit Ballantine.

- Les Olmèques sont la réplique exacte des êtres humains. On ne saurait les différencier. En revanche, les Diableros, bien qu’également très proches de notre espèce, ont une particularité assez étonnante. Ils portent une légère crête sur la tête à la place des cheveux.

- Vous avez apparemment pu discuter avec les uns et les autres... observe Winter… Comment s’expriment-ils ?

- C'est justement ce qui est étonnant. Ils parlent un anglais parfait, bien que les Diableros émettent conjointement une sorte de grognement.

- Et vous avez tenté cette fantastique expérience à plusieurs reprises ?... s’enquiert encore Ballantine, fasciné par les révélations du docteur.

- Je n'ai eu en fait que trois contacts, assez courts je l'avoue, car l'effet du BX 27 ne dure que cinq à six minutes. Les deux premiers rapports m'ont permis de rencontrer ces mêmes Olmèques qui se sont confiés à moi. Mais lors de notre dernier entretien, je me suis malencontreusement trouvé en présence des Diableros. D’emblée, ces derniers m'ont avisé qu'au cas où je continuerais à me manifester ou si je révélais quoi que ce soit à quiconque, mon existence s'en trouverait alors menacée.

- Qu’est-il arrivé ensuite ?... le presse Winter, la mine réfléchie.

- Les Diableros me placèrent sous surveillance. Je fus suivi dans mes déplacements à plusieurs reprises. Je reçus même des appels téléphoniques par lesquels on me priait instamment et sans délai de détruire le BX 27.

- Si j'ai bien saisi, les Diableros seraient déjà présents parmi nous !... réalise Ballantine, en échangeant un regard effaré avec le professeur.

- En effet. Plusieurs d'entre eux sont déjà sur Terre, comme me l'ont d'ailleurs confirmé les Olmèques. Mais en nombre restreint. Ils seraient, selon ces derniers, à la quête de quelque chose de bien précis sur notre planète. Quelque chose qui aurait une importance capitale en ce qui les concerne, tout en préparant la conquête de notre monde. Mais les Olmèques semblent en ignorer la raison exacte. D'où la manifestation desDiableros lorsque nous nous trouvions dans l'avion, car ils sont curieusement informés de tous mes faits et gestes. Je suis pratiquement assuré qu'ils vont tenter de me nuire. Ils savent que je suis toujours en possession du BX 27 et que, de ce fait, je représente désormais une menace pour leurs desseins.

Ballantine et Winter semblent à présent sujets à la plus totale perplexité.

- Lors de mon dernier contact avec les Olmèques…poursuit Steeven… ceux-ci m’indiquèrent que la Terre courait à son tour un grand danger. Ils étaient sur le point de me faire une révélation consistant à pallier cette menace, mais j'ai, depuis, rompu le contact avec eux, devant les pressions constantes des Diableros.

- Pour quelle raison semblez-vous accorder autant d'intérêt à cette fiole de BX 27 ? Vous êtes certainement en mesure d'en produire autant que vous le souhaiteriez !... s'étonne Winter.

- J'ai omis de vous préciser que mon laboratoire avait été visité avant-hier et que toutes les réserves de champignons avaient disparu.

- Vous pensez que ce pourrait être l'œuvre de ces Diableros ?... avance Ballantine, l'air soupçonneux.

- A n'en pas douter… confirme sans hésitation Steeven.

- Qui d’autre est au courant de toute cette étrange affaire… s’enquiert encore Winter, le menton pris entre le pouce et l’index.

- Vous êtes les seuls, vous et votre ami, à être dans la confidence…indique le docteur.

- En somme, pour l'instant présent vous ne disposez plus que de ce précieux flacon... murmure Ballantine avec une moue de contrariété.

- Hélas ! monsieur…. soupire Steeven… Et au cas où nous en serions privés, il nous faudrait nous réapprovisionner sur place, au cœur des forêts sud-américaines. Mais cette expédition nous prendrait du temps. Et je suis persuadé que l'endroit est à présent surveillé par les Diableros.

- La perte de ce flacon nous priverait surtout de la parade que voulaient vous confier les Olmèques et qui consisterait à préserver notre planète de cette menace qui est censée peser maintenant sur elle... complète Ballantine, l'air soucieux... Si cette révélation est capitale pour la sauvegarde de notre monde, il ne nous reste qu'une seule possibilité à envisager... ajoute-t-il après quelques secondes de réflexion, devant les mines indécises des deux autres... Il me paraît indispensable que l'un d’entre nous retourne dans cet univers.

10 h 32 ...

Ballantine a pris sur lui de tenter à nouveau l'expérience. Pour ce faire, Steeven l'a prié de s'allonger sur le canapé. Après avoir rempli une seringue du liquide violet en question, il lui en injecte délicatement le contenu dans la veine du bras.

Ballantine ne ressent tout d'abord rien de particulier. Mais au terme de quelques secondes, tout son corps est parcouru d’un léger frisson. Il est soudainement sujet à de violents vertiges. La tête lui tourne. Une paralysie progressive s’empare de tout son être et il éprouve tout à coup la sensation de quitter brutalement le sol, de voler dans les airs avec le sentiment d'une totale réalité, comme s’il était soudain libéré de toute contrainte physique. Il se sent projeté dans le vide, comme s’il se trouvait à l’intérieur d’un ascenseur devenu fou. Cette désagréable impression d’être décorporé et happé, comme projeté à travers un autre univers n’aura duré qu’un instant.

Il vient d’ouvrir les yeux sur une tout autre réalité, une réalité différente et légèrement brouillée. Le ciel est d'un bleu limpide et il perçoit dans le lointain le bruit de l'océan. Mais il a sursauté à la vue des deux entités qui viennent d’apparaître, comme surgies du néant. Le contour de leur silhouette tremblote légèrement, comme s’il était animé de légères vibrations. Le phénomène pourrait être comparé à celui causé par la déformation d'une image dans un miroir concave, avec toutefois le privilège de voir sortir ces êtres d'un univers à contraction. Le temps semble à présent s'accélérer comme dans le passage d'un film dont la pellicule défilerait à cent images/secondes. Puis, cette distorsion s'amenuise peu à peu, tandis que sa vision semble se stabiliser.

Comme l’avait indiqué Steeven, les entités sont en tout point semblables aux êtres humains. Elles portent une sorte d'uniforme bleu et semblent surprises par sa présence.

- Vous êtes un Terrien ?… s’enquiert aussitôt l’une d’elle, d’une voix douce et enfantine, en utilisant la langue de Shakespeare.

Interloqué, l’interpellé lui a retourné un regard dérouté, sans apporter de réponse à la question posée.

- Vous venez de la planète Terre ? Etes-vous un ami du docteur Steeven ?… insiste l’autre.

- Oui, je ... balbutie Ballantine, l'esprit encore embrouillé.

- Pourquoi n'est-il pas revenu lui-même ? Lui est-il arrivé quelque chose ?... semble s'inquiéter la première créature.

- C'est lui qui m'envoie... parvient à souffler Ballantine, maîtrisant difficilement son effarement…! Vous deviez lui faire une révélation ! Lui confier un secret censé mettre la Terre à l’abri des Diableros… enchaîne-t-il presque malgré lui, la mâchoire crispée.

- Vous ne devez pas perdre un seul instant... se presse alors de recommander la première entité sur le ton de la confidence... Nous attendions impatiemment sa venue pour lui révéler ce que nous savons. C’est le grand secret de notre peuple.

Il y a de cela 3200 ans, une infime partie des nôtres, guidés par leur reine, s'expatrièrent sur votre planète, fuyant leur univers devant l'invasion des Diableros. Ces fugitifs s'intégrèrent rapidement et aisément parmi vos semblables d'alors. Malencontreusement, leur descendance disparut accidentellement moins de 200 ans plus tard. Cependant, peu de temps avant leur extinction, ils réussirent à mettre au point, dans le plus grand secret, une arme redoutable, une arme absolue conçue dans l’unique but d’anéantir les Diableros. Cette ultime parade, dissimulée en un lieu secret sur votre sol, fut alors destinée à leurs frères de race qui parviendraient à s'enfuir à leur tour vers votre monde. Ils pourraient ainsi se débarrasser définitivement des Diableros au cas où ces envahisseurs arriveraient unjour sur la Terre. Malheureusement, pas un seul des nôtres demeurés dans notre univers ne put échapper à ses geôliers. Mais vous, avant qu'il ne soit trop tard, vous avez encore la possibilité de découvrir cette arme secrète qui permettrait à la race humaine d'enrayer une inévitable invasion des Diableros. Nous ignorons l’endroit où elle se trouve. La seule piste que nous ayons pour vous venir en aide Terrien, réside dans le message que les nôtres laissèrent sur Terre :

" Les morts relient le Soleil à la Lune et la treizième tête du Soleil mènera à la liberté. "

Pour enrayer cette menace qui pèse sur la Terre, vous devrez agir rapidement. Les Diableros en ont d’ores et déjà entrepris sa conquête à votre insu. Il vous faudra interpréter cette énigme et suivre cette piste laissée par les Olmèques. Sachez qu’ils ont conservé leur nom en arrivant sur la Terre. Il vous faudra pour cela ...

Mais l'entité n'a pu poursuivre. Elle s’est subitement écroulée, tandis que l'autre a lancé un cri atroce, un cri de détresse.

Une dizaine d'êtres à la peau bleutée, revêtus d'une combinaison noire, viennent de faire irruption. Deux d'entre eux tiennent encore une arme à la main.

Au même instant, Ballantine se sent une nouvelle fois pris de vertiges, avec la même désagréable sensation d'être enlevé précipitamment dans les airs, comme si le sol se dérobait sous ses pieds. Une cascade d’images défilent en interférant devant ses yeux, avant qu’il ne se retrouve à nouveau dans le grand salon, entouré de Winter et de Steeven.

Le temps de reprendre ses esprits, il leur relate avec émotion sa brève mais étonnante rencontre, en leur rapportant fidèlement les propos que viennent de lui tenir les entités.

- Je crois qu'il serait à présent risqué de retourner là-bas... présume Steeven, l’air ennuyé... Les Diableros se méfieront et nous risquons de les rencontrer.

- Vous êtes certain du contenu de ce message ?... insiste Winter pour le moins interloqué et dont le regard ébahi indique la plus profonde perplexité.

- Mot pour mot professeur... assure sans aucune hésitation Ballantine, qui a maintenant retrouvé toute sa lucidité… Nous connaissons à présent la raison de la quête de ces Diableros sur notre sol… poursuit-il … Ils sont probablement à la recherche de cette arme absolue conçue par les Olmèques et destinée à les anéantir. Ils n’ignoreraient donc pas son existence. Il nous reste à tirer tout cela au clair et à interprêter le sens de ce message avant ces maudites créatures de l’espace.

- " Les morts relient le Soleil à la Lune et la treizième tête du Soleil mènera à la liberté ? "... murmure Steeven, la mine réfléchie, en ressassant soigneusement chaque syllabe de l'énigme… Cette devinette en forme déroutante de puzzle littéraire ne signifie pas grand chose !… ajoute-t-il en se tournant vers les deux autres avec une moue de circonstance.

- Je pense qu’il nous faut au préalable chercher la relation qui pourrait exister entre ces deux vocables : " Le soleil et la lune ".. imagine Ballantine.

- C'est incroyable ! Des êtres de la constellation d'Orion auraient réussi à rejoindre la Terre, il y aurait de cela 3200 ans ! Et avec pour nom, les Olmèques !… ressasse encore Winter, pour le moins stupéfait.

- C'est en effet ce que ces entités m'ont affirmé… confirme Ballantine en se passant une main ouverte dans sa courte brosse.

- Les Olmèques sont en fait une très ancienne civilisation précolombienne de la région du Golfe du Mexique, comme je vous le disais tout à l'heure… commente Winter… Ils seraient donc originaires de la constellation d'Orion ! De cette planète du nom d'Ostantria ! Et de surcroît, encore ignorée de nos astronomes. Cette révélation est tout à fait ahurissante !

- C'est peut-être du côté du Golfe du Mexique qu'il nous faudrait chercher la signification du message... suggère timidement Steeven.

- S'il faut s'en rapporter à cette déclaration, certains de mes confrères ont en effet mis à jour des monolithes sur ce site… indique le professeur en se caressant nonchalamment le menton… Mis à part cette particularité, je ne vois toujours pas quelle corrélation pourrait bien exister entre ce lieu et le sens du message... avoue-t-il, la mine réfléchie... Bien que ... Nom d'une pipe, mais bien sûr !… tressaille-t-il soudainement, les sourcils en accents circonflexes… La seconde grande civilisation de l'ancien Mexique après les Olmèques a été celle de Teotihuacan !

(véridique).

- Et vous voyez là un lien quelconque ?... s'enquiert Steeven, soudain plus attentif que jamais.

- Oh que oui ! Attendez ... Si j'en crois mes souvenirs ... Autour de 1150 avant JC, cette ville de Teotihuacan, située dans la vallée de Mexico, était un lieu de pèlerinage réputé. Et un vieux proverbe disait que le Soleil et la Lune étaient nés dans l’une de ses grottes !

- Vous êtes sur la bonne piste professeur... l’encourage aussitôt Ballantine d'un air réjoui... Je crois que c'est de ce côté qu'il nous faut chercher la clé de l'énigme.

- J'ai ce qu'il nous faut... assure Winter en se dirigeant d'un pas empressé vers sa volumineuse bibliothèque.

Les deux autres ne dissimulent pas leur impatience, suivant des yeux les va-et-vient du professeur semblant à la recherche d'un ouvrage bien précis.

- Ah voilà !... s'exclame-t-il en s'emparant d'un énorme volume de l'Atlas du Monde Antique, dont il feuillette fébrilement plusieurs pages.

Après avoir parcouru quelques lignes, il s’est tourné vers ses compagnons.

- Je crois que nous y sommes... indique-t-il... J'ai ici un plan de l'ancienne cité de Teotihuacan ... Regardez ! La ville est divisée en quatre secteurs. Au centre se trouve l'Avenue des Morts. Elle relie deux polyèdres sur une distance de 1700 mètres. La Pyramide du Soleil et la Pyramide de la Lune !

- Bravo professeur ! Vous venez d’élucider la première partie de l'énigme...exulte Ballantine, le sourire aux lèvres... "Les Morts relient le Soleil à la Lune"... Il s'agit donc bien en l'occurrence de la ville de Teotihuacan.

- Il est également précisé dans le message que ... "La treizième tête du Soleil mènera à la liberté" ... souligne Steeven, dirigeant un regard interrogateur vers Winter.

- Professeur, je suis prêt à parier que la Pyramide du Soleil renferme des têtes monolithiques… gage Ballantine… Vous avez vous-même rapporté que certains de vos confrères avaient mis à jour plusieurs de ces monuments sur ce site.

- Il se pourrait en effet qu’elle recèle d'anciennes effigies… acquiesce Winter… S'il faut en croire le texte du message, ce serait alors dans la treizième tête qu'il nous faudrait chercher cet indice laissé par les Olmèques.

- Si nous voulons en avoir la certitude, il nous reste à nous rendre sur place... suggère Ballantine, cherchant l’approbation des deux autres du regard.

- Ce serait en effet la solution à envisager... relève impatiemment Steeven.

- Puisque tout le monde semble d'accord, il ne me reste plus qu’à m'incliner... conclut le professeur avec un sourire de satisfaction.

 

CHAPITRE III

 

Le lendemain … 8 mai 1999 ... 12 h 22 ...

Ballantine, Winter et Steeven descendent de l'avion qui vient de se poser sur l'aéroport de Mexico.

La capitale mexicaine qui s'élève à 2240 m d'altitude représente l'une des quatre métropoles les plus hautes du monde. Sa population est composée de 12 millions d'habitants et l'agglomération s'enfle chaque année de 250.000 êtres humains. La ville moderne de Mexico District-Fédéral possède de grandes avenues, des boulevards périphériques, des autoroutes et des espaces verts luxuriants, comme le parc Alameda et le bois de Chapultepec.

Le taxi qui les emmène a emprunté le Paseo de la Reforma, une avenue qui rappelle les Champs-Élysées. Ils viennent de dépasser la cathédrale de Mexico, bâtie à l'endroit même où s'élevait le Grand Temple des Aztèques. Ils ont aussitôt décidé de s'équiper, avant de se rendre sur la zone archéologique de Teotihuacan. Distante d'une cinquantaine de kilomètres au nord de la capitale mexicaine, elle renferme les plus riches monuments de tout le Mexique.

L'après-midi est déjà bien entamée, mais ils sont à présent pourvus du matériel indispensable à leur future équipée. Pour la circonstance, ils ont loué un nécessaire de camping ainsi qu'un véhicule tout terrain et se sont octroyé les services de deux mulâtres.

Il est un peu plus de 17 heures, lorsqu'ils arrivent sur le site. Ils entreprennent aussitôt d'installer leurs tentes dans la vallée de Teotihuacan, à proximité de la colossale Pyramide du Soleil. Les lieux sont déserts, aussi pensent-ils pouvoir enquêter en toute tranquillité et dans la plus grande discrétion. En regard des ruines qui se dressent çà et là, le touriste le plus endurci habitué à être confronté aux visions les plus fantastiques, demeure toutefois pétrifié et saisi de stupeur. Ils peuvent à leur tour constater l'énorme tribut que les hommes ont été amenés à offrir à une divinité cruelle pour en apaiser la redoutable colère. Toutes les imposantes constructions qui subsistent dans cette région sont en effet dédiées au culte des divinités aztèques.

- Au sommet de ces pyramides, les prêtres, armés d'un couteau de pierre, ouvraient la poitrine de leurs victimes et en retiraient le cœur pour le déposer, encore chaud et palpitant sur l'autel... commente le professeur en déballant son matériel.

- Et le peuple, massé au pied du monument, assistait à la cérémonie, espérant anxieusement avoir acquis à ce prix la bienveillance des dieux... complète Steeven.

Tandis que les deux métis s'affairent aux préparatifs du campement, les trois hommes ont entrepris d'admirer la Pyramide duSoleil, avec sans aucun doute le souhait qu'elle daigne leur livrer son secret.

Le monument est le plus important du site. Il était dédié au dieu Soleil. Cet énorme amoncellement de pierres et de briques atteint une hauteur de 65 m. Sa façade ne mesure pas moins de 215 m et il se termine par une plate-forme de 12 mètres carrés au sommet. Les murs, inclinés à 45° sont coupés par quatre grandes terrasses et les larges marches d'un escalier monumental gravissent l'un de ses côtés. Les briques d'argile ont été, par leur propre poids, amenées à se fondre, à se compénétrer intimement pour ne former qu'un seul formidable bloc d'un million de mètres cubes.

- Belle réussite pour un peuple qui ne connaissait pas encore la roue !... souligne Steeven, en contemplant le monument, les mains sur les hanches.

- Demain matin, nous aurons à gravir près d’un millier de marches avant de parvenir au sommet ... grimace Winter… Il est à espérer que nous ne serons pas dérangés dans notre entreprise, car nous allons nous trouver dans l'obligation d'intervenir sur le terrain. Nous risquerions, de ce fait, de rencontrer quelque problème avec les autorités mexicaines.

- A cette époque de l'année, les touristes se font certainement rares... relève Ballantine.

Tout en poursuivant leur conversation, les trois hommes ont regagné le campement où les deux métis s'affairent déjà à la préparation du repas du soir.

1 h 32 du matin ...

Les membres de l'expédition dorment à poings fermés. Ballantine, qui a le sommeil léger des coureurs d’aventure et qui partage sa tente avec le professeur dont les ronflements sont identiques aux bruits produits par un soufflet de forge, vient de se réveiller en sursaut. Il s’est redressé sur un coude en étouffant un bâillement, le cerveau encore embrumé et demeure un instant attentif. Les yeux ouverts dans la semi-obscurité tissée à travers la toile de tente par la clarté lunaire, il jette un regard endormi sur son bracelet-montre. Sourcils froncés et l’oreille tendue, il perçoit à présent et très distinctement un bourdonnement sourd qui résonne dans la nuit, en tout point semblable au bruit produit par une gigantesque colonie d'abeilles. Le phénomène l'incite aussitôt à s’extirper de son sac de couchage. Il a bondi à l’extérieur, tandis que le professeur poursuit son inévitable concert de ronflements, bouche grande ouverte, bras croisés sous la nuque.

Les deux métis ont eux aussi perçu cet étrange vrombissement. Ils se tiennent déjà plantés devant leur tente, tirés de leur sommeil par ce bruit insolite. La crinière ébouriffée, ils semblent contempler la multitude d'étoiles scintillantes accrochées dans les cieux.

Ballantine, tout en étouffant un bâillement les a rejoints.

Dans le silence feutré de la nuit, il observe, en leur compagnie, le ciel étoilé où trois feux bleus, disposés en triangle, se détachent sur l’immensité cosmique. Un quatrième feu de couleur rouge et nettement moins luminescent, est situé au centre du triangle. Le tout émet une sorte de grésillement incessant. Puis, le phénomène s’est soudainement volatilisé, tandis que le bruit assourdissant a brusquement cessé.

Ballantine, qui ne comprend pas l'espagnol, ne peut saisir un mot de ce que lui commentent les deux métis, pris d'une agitation peu commune. Ces derniers ont d’ailleurs vite renoncé pour regagner leur tente.

Après un dernier bâillement à s'en décrocher la mâchoire, notre ami s’est glissé à son tour à l'intérieur de son sac de couchage. Banalisant l’incident, il s’est endormi comme une masse.

 

Extrait de : Les Enfants des Etoiles - de Stephan LEWIS