Le
secret des pierres d'Ica
( Stéphan Lewis )
Extrait de l'histoire :
CHAPITRE I
Montségur, Ariège … 3
juillet 1999 … 7 h 05 du matin
Le professeur Joseph
Winter, éminent archéologue britannique sexagénaire au front partiellement
dégarni, est confortablement installé dans le salon de style anglais qui meuble
la bibliothèque de sa superbe villa. En un mouvement trahissant sa perplexité,
il tourne et retourne entre ses doigts une pierre ovalisée de couleur sombre aux
arêtes arrondies. Elle fait partie de l’envoi des soixante quatre galets de
dimensions identiques, que son ami et confrère, le professeur Javier Cabrera
vient de lui faire parvenir de La Paz en Bolivie. Le texte de la dépêche qui a
précédé la réception du colis et que Winter a relu pour la cinquième ou sixième
fois consécutive, dénote la précipitation avec laquelle il a été rédigé.
" Cher ami ... Je suis
sur le point d'aboutir dans mes recherches, mais depuis qu’ils me traquent, ils
sont parvenus à repérer l'endroit où je me trouve ... Je vous confie les pierres
d'Ica ... Elles permettront de compléter les 6 tablettes de Nacaal... Je crains
pour mon existence et il est impératif de les mettre en lieu sûr ... Elles
seules peuvent sauver l'humanité... Rejoignez-moi au plus vite, le temps presse
… Et méfiez-vous des Hommes en noir ... Bonne chance ... Amicalement ... Javier
Cabrera "
Tout en continuant de
détailler la pierre qu'il avait entre les mains dont le poids trahissait une
densité inhabituelle qui, à première vue, ne correspondait pas à sa taille, il
méditait sur le fait que l'une de ses faces était gravée à l'image d'un poisson
étrange.
- Hello professeur !
Quelle belle journée en perspective !... lance-t-il joyeusement, en étouffant
d’une main un dernier bâillement.
- Déjà debout !...
s'étonne Winter en serrant la main qui lui est tendue... J'avais prié Alexander
de vous monter le petit déjeuner vers 8 heures.
Le majordome du
professeur, qui vient de pénétrer à son tour dans la pièce, ne lui laisse guère
le loisir de répondre …
- Bonjour monsieur
Dany. Désirez-vous prendre votre breakfast dans le grand salon ?
- Salut Alexander. Un
jus de fruit suffira pour l'instant. Je pars faire mon jogging matinal.
Ballantine a tout de
suite remarqué le paquet postal ouvert sur le bureau du professeur, dont le
contenu dévoile les étranges cailloux. Avant que sa curiosité ne soit davantage
mise à l'épreuve, Winter lui confie aussitôt celui qu'il a entre les mains.
- Que pensez-vous de
ceci ?… lui demande-t-il, la mine réfléchie.
Et sans ajouter un mot,
il semble attendre la réaction de son ami.
- Cette gravure et ces
dessins sont surprenants !... murmure ce dernier après l'avoir examiné avec une
attention soutenue.
Puis, sans y être
invité, il s’est saisi d'un autre galet d'aspect aussi étrange et mystérieux que
le premier, dont le symbole gravé représente cette fois une pyramide.
- J'ai reçu ce paquet
il y a une demi-heure à peine... précise Winter… C’est de mon ami le professeur
Javier Cabrera … Ce pneumatique m’est pratiquement parvenu en même temps que le
colis… ajoute-t-il en lui soumettant la missive.
- Il semble courir un
danger imminent... note aussitôt Ballantine... Il prétend être sur le point de
faire une découverte importante !
- En effet... relève
Winter... Ses travaux ont toujours été axés sur les mystères de l'origine de la
vie.
- Quelles sont ces
tablettes de Nacaal auxquelles il fait allusion ?… poursuit Ballantine en se
caressant machinalement le menton… Et que peut bien signifier cette mise en
garde concernant ces hommes en noir, ainsi que ce danger que semblerait courir
l'humanité ?
- J'ignore qui sont ces
gens mentionnés dans son message... indique Winter avec une moue de perplexité…
Par contre, il m'avait à maintes reprises entretenu sur les recherches qu'il
avait entreprises pour retrouver les Tablettes de Nacaal. Ces tables de pierre
seraient, paraît-il, recouvertes d'une écriture alphabétique et énigmatique.
Elles seraient censées révéler l'origine de l'humanité.
- Si votre ami est
réellement en danger, il faut lui venir en aide !… anticipe déjà Ballantine...
Pourquoi ne pas lui téléphoner ! Vous gagneriez du temps et cela nous
permettrait d'éclaircir rapidement cette énigme. Tout au moins en partie !
- C'est un cabochard et
un sédentaire... argumente Winter avec un soupir haché... Malgré mes éternelles
recommandations, il n'a jamais prétendu se faire installer le téléphone. Il a
toujours tenu à s'isoler, afin de pouvoir se consacrer entièrement à ses
recherches dans la solitude la plus complète.
- Où demeure-t-il ?
- C'est un Bolivien. Il
habite La Paz. Vous voyez que ce n'est pas la porte d'à côté !
Dans un geste synonyme
d'une grande perplexité, Ballantine s’est passé une main ouverte dans sa courte
brosse.
- Si vous êtes de mon
avis professeur, il n'y a pas un instant à perdre. Vous vous devez de répondre à
l'invitation de votre confrère et ami. Et si vous le permettez, étant donné les
circonstances, je vous accompagnerai.
Il n’en aura pas fallu
plus pour décider Winter. Après avoir prié son majordome de préparer leurs
bagages, il a aussitôt contacté l'aéroport de Perpignan afin de réserver un
prochain vol pour l’Amérique du Sud.
L'androïde, pour des
raisons évidentes de discrétion, attendra leur retour dans la villa.
Le départ est prévu
pour 16 h 27. Ils ont donc tout le temps pour se préparer et se rendre dans un
bureau de change.
CHAPITRE II
Le lendemain, 4 juillet
1999 …
Sitôt après avoir
récupéré leurs bagages, un taxi les emmène au 827 Cerro Rico, où demeure le
professeur Javier Cabrera. Winter, qui parle couramment l'espagnol, langue
officielle des Boliviens avant l’aymara et le quechua, ayant indiqué l'adresse
au chauffeur.
A cette heure de grande
affluence, la ville de La Paz, siège du gouvernement bolivien et capitale de
fait du pays, est en pleine effervescence. Bâtie à 3700 m d'altitude entre le
lac Titi caca et le massif de l'Illimani, c'est la plus élevée des grandes
villes du monde. L'artère principale est déjà passablement encombrée. De
nombreux cyclistes imprudents zigzaguent en gymkhana entre les automobiles,
faisant craindre l’inévitable accrochage à chaque instant. Malgré les coups
répétés de Klaxon visant à les rappeler à l’ordre, leur chauffeur ne parvient
toutefois pas à les intimider et encore moins à freiner leur ardeur des plus
acrobatiques. La plupart sont des Indiens au costume extrêmement typique,
revêtus de ponchos ou d'amples manteaux, malgré la chaleur qui règne à
l'intérieur du pays. Ils portent presque tous des chapeaux à bords très étroits
et les femmes arborent de longues robes aux couleurs vives et bariolées. Elles
sont coiffées, elles aussi, du caractéristique chapeau des Indiens.
Le véhicule vient de
bifurquer sur la droite, avant de s'immobiliser devant l'un des nombreux
immeubles et le conducteur leur indique qu'ils sont parvenus à destination.
Sitôt après avoir réglé
la course, un ascenseur les a emmenés vers le cinquième étage.
Ils sont maintenant,
bagages en mains, devant le n° 827…
Un coup de sonnette,
suivi immédiatement d'un second, puis bientôt d'un troisième les impatiente.
Malgré l'obstination dont ils continuent de faire preuve, la porte ne s'est
toujours pas ouverte.
- Il s'est certainement
absenté pour faire une course... hasarde avec réserve Ballantine.
- Cela n'est pas dans
ses habitudes... objecte le professeur... C'est Conchitta, sa femme de ménage,
qui s'oblige à toutes ces contraintes. Comme je vous le disais, c'est un
casanier. Il vit en ermite et ne sort pratiquement pas de chez lui.
Winter ne dissimule
toutefois pas sa contrariété, aussi Ballantine lui suggère-t-il de se renseigner
auprès de la conciergerie.
Les portes de
l'ascenseur se sont de nouveau ouvertes sur le rez-de-chaussée. Après avoir
repéré le logement du gardien, ils sonnent à la porte…
Une petite femme brune
et grassouillette ne tarde pas à faire son apparition, les dévisageant avec une
insistance exagérée. Le professeur, après avoir décliné son identité, entreprend
aussitôt de la questionner.
Au terme de quelques
minutes d'un échange fastidieux d'une conversation des plus animées, assortie
d'une démonstration de gestes des plus convaincants, Winter s’est tourné vers
son ami ...
- Cette femme me disait
que deux hommes l’avaient interrogée, il y a une heure à peine, au sujet de
Cabrera ! Ils désiraient savoir où le trouver. Elle leur a confirmé qu'il ne
quittait pour ainsi dire jamais son appartement.
- Demandez-lui si ces
hommes étaient des étrangers et s'ils n'étaient pas, par hasard, habillés de
noir... relève pensivement Ballantine.
Le professeur a
aussitôt repris son interrogatoire …
Avant que ne lui soient
traduites les paroles de la Bolivienne, Ballantine remarque que tout en
dialoguant cette fois avec empressement, elle a acquiescé de plusieurs signes de
tête à la question qui lui était posée. C'est donc sans la moindre surprise
qu'il recueille la confirmation du professeur, étonné et visiblement inquiet.
Après avoir remercié la
concierge, ils décident de patienter dans l'un des nombreux bars des alentours
où ils attendront le retour du Bolivien.
Ils sont bientôt
attablés sous un ventilateur poussif, au milieu d'une cohue indescriptible et
d'un charivari assourdissant, mêlant à la fois les conversations et le chahut
des consommateurs. Ils se sont fait servir un coca, boisson typiquement
originaire de la Cordillère des Andes. Ce breuvage permet, paraît-il, aux
montagnards de marcher six jours sur les pentes les plus abruptes où,
d'habitude, on perd le souffle en raison de la raréfaction de l'air. De cette
mixture et du cola qui pousse en Afrique, les Américains ont tiré le Coca-Cola
bien connu, au goût un peu pharmaceutique.
- Pour en revenir à ces
hommes en noir dont a fait mention la gardienne, il est probable que votre ami
se soit justement enfui après leur visite, en ayant eu la prudence de ne pas
leur ouvrir... avance Ballantine, perplexe.
- C'est plausible...
grimace Winter avec un air de contrariété... Mais Cabrera n’ignorait pas que je
répondrais rapidement à son invitation. Je reste même persuadé qu'il avait
certainement envisagé que je sauterais dans le premier avion.
- Que peuvent donc bien
lui vouloir ces mystérieux hommes en noir qu'il semble apparemment redouter ?…
médite encore Ballantine en se caressant pensivement le menton.
Mais ils ont
brusquement interrompu leur conversation … Deux individus d’allure officielle et
tirés à quatre épingles, viennent de prendre place à leur table sans même y
avoir été invités.
Winter et Ballantine,
pour le moins surpris, leur retournent des regards étonnés autant
qu’interrogateurs, ne sachant manifestement comment réagir …
- Vous êtes bien le
professeur Joseph Winter?… questionne brutalement et à brûle-pourpoint l’un des
deux inconnus d'une voix sèche et désagréable, sans autre formule de politesse,
semblant même ignorer volontairement la présence de Ballantine.
Ce dernier a tressailli
en remarquant l'étrange tenue des deux arrivants … Veste et pantalon noirs,
cravate noire. Leurs visages sont en partie dissimulés par un chapeau mou comme
en portent les ecclésiastiques, avec les bords intentionnellement rabattus sur
le front.
- C'est bien moi, en
effet !... s'effare le professeur, pris de court par cette interpellation pour
le moins inattendue et de surcroît en ces lieux où personne n'est censé le
connaître.
- Nous sommes des
agents de renseignement de la Royal Air Force... prétend aussitôt le second
individu, en exhibant rapidement son laissez-passer officiel.
- Je me nomme
Jefferson. Et voici Davis... reprend le premier homme en désignant son compagnon
d’un mouvement de tête.
- Nous savons que vous
êtes ici dans le but de rencontrer le professeur Javier Cabrera et que vous êtes
en possession de certaines pierres... indique le dénommé Davis avec une évidente
certitude dans la voix.
Winter, pris une
nouvelle fois à l'improviste, semble déconcerté. Il a levé un regard désemparé
sur son ami, ne sachant manifestement que répondre.
- De quelles pierres
voulez-vous parler ?…s'interpose cette fois ce dernier, sur le ton de
l’irritation.
Les deux hommes le
dévisagent avec étonnement. Ils ne semblent pas saisir de quel droit intercède
cet inconnu, qu'apparemment ils ignorent depuis leur arrivée.
- Qui êtes-vous pour
vous mêler de nos affaires ?… lui réplique d’un ton sec le dénommé Davis, qui
n’a pu réprimer un geste d’agacement en le considérant d’un œil glacé.
- Peu importe mon nom.
Cela ne vous regarde en aucune manière !… s’emporte à présent Ballantine avec un
mouvement d’humeur… Sachez néanmoins que je suis un ami du professeur. De quel
droit lui posez-vous toutes ces questions ?…
- Notre mission
consiste à récupérer ces pierres ... insiste Jefferson, mais d'une voix devenue
subitement mielleuse, certainement affecté par son intervention.
- Pour que nous vous
les remettions, il faudrait que nous les ayons...! tente à présent d'argumenter
Winter, qui semble avoir retrouvé un soupçon d'assurance.
- Faites taire votre
hypocrisie professeur. Nous savons parfaitement que votre ami et confrère Javier
Cabrera vous a fait parvenir ces cailloux à votre résidence de Montségur...
souligne Davis avec une aigreur ironique et dont la hargne semble faire partie
intégrante du personnage.
Winter a de nouveau
retourné un regard dérouté vers Ballantine. Mais ce dernier ne laisse pas
l'occasion au professeur de se justifier davantage.
- Nous ignorons de quoi
vous voulez parler… réplique-t-il sur un ton devenu percutant… Il est vrai que
nous sommes venus rendre une visite de courtoisie à un ami, mais cela n'est pas
votre affaire. Maintenant et au cas où vous persévéreriez dans votre
indiscrétion, je me verrais dans la désagréable obligation de vous dissuader une
fois pour toutes de nous importuner !
Et ce disant, il s’est
redressé comme un ressort, dévoilant sa carrure athlétique.
L’avertissement semble
avoir été correctement interprété, car les deux autres, cette fois, n’ont pas
fait mine d’insister. Après un salut froid et rapide, Davis, tout en quittant la
table avec son acolyte, a toutefois marqué un léger temps d’arrêt.
- Ne vous inquiétez pas
messieurs. On se reverra !… lance-t-il sèchement.
Encore sous le coup de
l'émotion et de la surprise, Ballantine prend soudainement conscience de
l'aspect extrêmement étrange de ces importuns et inquiétants personnages.
- Vous avez remarqué
leur accoutrement, professeur !… résume-t-il, à l’instant où les deux autres
quittent le bar.
- Les hommes en noir
dont parlait Cabrera dans son télégramme !... réalise ce dernier d'une voix
chevrotante, les sourcils en accents circonflexes.
- A n'en pas douter…
opine Ballantine, la moue réfléchie… Mais vous avez certainement constaté que
bien que la coupe en soit très démodée, leurs vêtements, par contre, semblaient
curieusement neufs ! Et bien qu'ils aient tenté de dissimuler partiellement
leurs visages, j'ai cru percevoir que ces curieux bonshommes étaient totalement
chauves. Et qui plus est professeur, ni l'un, ni l'autre, n'avaient de sourcils,
ni de cils ! Détail plus curieux encore, j'ai dénoté chez ces deux personnages
comme un air de famille, comme une évidente ressemblance !
- Ce qui est
incompréhensible,... s’effare encore le professeur... c'est le fait que ces
individus paraissent si bien renseignés et possèdent des informations à ce point
détaillées à mon sujet ! Ce n'est sûrement pas Cabrera qui leur a confié qu'il
m'avait expédié les pierres !