Le
mystére
de l'ile des géants
( Stéphan Lewis )
Extrait de l'histoire :
CHAPITRE I
Juillet 1999
– " Je sais où je vais
et là, personne, jamais, n’est encore allé… Je dévoilerai les secrets de mon
voyage quand nous reviendrons… Si toutefois nous en revenons… Ton père qui
t’aime " -
Tel est le texte du
message, que la jeune femme aux yeux d’un bleu intense, pétillant
d’intelligence, vient de parcourir une nouvelle fois avant de le glisser dans la
poche de sa veste en toile avec une certaine fébrilité.
– Cela ne sert à rien
de vous énerver Caro. Nous allons bientôt être rendus à destination. Nous en
apprendrons certainement davantage par les Indiens. Certains d’entre eux ne
doivent pas être sans savoir où se trouve votre père.
Le conseil a été donné
par un solide gaillard d’une quarantaine d’années au physique élancé, la chemise
ouverte sur un torse musclé qui occupe la place principale du poste de pilotage
du petit bimoteur piper-club de location.
Ce dernier, répondant
au nom de Dany Ballantine, ingénieur en électronique de son état, dirige d’une
main experte l’appareil au-dessus des jungles vertes de l’immense forêt sauvage
amazonienne qui, tel un gigantesque dôme, coiffe d’impénétrables mystères.
– Il y a quand même plus de deux mois que papan’a plus donné de ses nouvelles !…
rétorque la jeune femme, dont les formes parfaites et harmonieuses sont moulées
par une tunique blanche serrée à la taille et qui chasse d’un geste irrité une
mèche rebelle de sa longue chevelure blonde.
Aux côtés du pilote, en
pantalon léger et bras de chemise, le professeur Joseph Winter tire
machinalement de temps à autre une bouffée de la courte pipe en écume qu’il
tient entre les dents.
Cet éminent archéologue
sexagénaire de réputation mondiale, au front partiellement dégarni, sujet
britannique à l’instar de ses deux compagnons de voyage, semble plongé dans ses
pensées. Il observe d’un œil distrait la voûte semblable à une mer de verdure
qui moutonne à l’infini, défilant inlassablement sous la carlingue de
l’appareil, dont l’ombre se profile sur cet interminable tapis vert.
– Je connais Ben depuis
des lustres. Il n’est pas dans ses habitudes de se lancer dans une aventure sans
lendemain… tente-t-il d’argumenter en toussotant, incommodé par la fumée de son
brûle-gueule.
– Avouez tout de même
que ce silence qui perdure est alarmant… soupire Carolyn, visiblement rongée par
l’inquiétude.
Ils viennent de
franchir la frontière indienne, la dernière zone limitrophe vers le Xingu. Ils
comptent s’y rendre à la recherche de Lord Benjamin Roclam, colonel en retraite,
parti six mois plus tôt à la découverte de la légendaire cité perdue du Grand
Païtiti, la cité des Incas.
– D’après la carte,
nous ne devrions plus tarder à survoler le village des Kaïapos… indique
Ballantine, après que l’appareil soit descendu à basse altitude.
Une grande clairière
rompant la monotonie de la forêt, se dessine presque aussitôt dans le paysage,
telle une tâche perdue au sein de l’enfer vert. Ils survolent à présent un
entassement de grandes baraques en planches aux toits de palmes, toutes
identiques, formant un cercle parfait cerné par la jungle.
Après une approche
circulaire de reconnaissance, Ballantine a pesé sur les commandes afin d’amorcer
sa manœuvre d’atterrissage. Le piper a viré sur l’aile pour glisser au ras des
arbres en réduisant sa vitesse. Après avoir effectué un dernier crochet, il se
pose en cahotant sur le petit terrain de fortune du poste-frontière couvert de
flaques et de boue, où un autre avion paraissant dater des débuts de
l’aéronautique est parqué sous un abri rudimentaire.
Ils ont à peine posé le
pied à terre, qu’un nuage de lucioles les environne. Quelques métis accompagnés
d’Indiens, représentant certainement le comité d’accueil, se sont portés à leur
rencontre pour les saluer avec empressement. Les indigènes, coiffés " au bol ",
ont les cheveux teintés de rouge. Un Blanc d’une cinquantaine d’années tétant
laborieusement un ninas, se trouve parmi le groupe. Grand et de forte
corpulence, le casque tropical vissé sur le crâne, il a le visage tanné par le
soleil et marqué de profondes rides verticales.
– Bienvenue au Xingu !…
lance-t-il dans un anglais parfait, avec une voix rocailleuse… Je suis le
docteur Franck Wells, le médecin du village. Nous avons été avertis de votre
arrivée par les autorités locales… précise-t-il encore en souriant.
– Merci pour cet
accueil docteur… se confond Ballantine en esquissant à son tour un sourire
d’amabilité, tout en serrant la main tendue… Mon nom est Dany Ballantine. Et
voici le professeur Joseph Winter. Nous accompagnons mademoiselle Carolyn
Roclam… se presse-t-il d’ajouter, en désignant l’intéressée.
– Ravi de faire votre
connaissance… se réjouit Wells… Monsieur Diego Cortes est le responsable du
poste-frontière… poursuit-il, en accentuant son sourire de complaisance,
désignant le susnommé présent à ses côtés, aussi squelettique et transparent
qu’une toile d’araignée… Quant à mon ami Rono, ici présent, il est le chef des
Kaïapos... indique-t-il encore.
Ce dernier, revêtu de
sa coiffe de couleurs et de sa robe de cérémonie, les salue on ne peut plus
cérémonieusement, sous le regard impressionné de Carolyn. Il a le corps et le
visage peints et des plumes de perroquets sont attachés à ses bras. A l’instar
de ses compagnons, elle tente de ne pas laisser porter son regard sur le plateau
en bois incrusté entre sa gencive et sa lèvre inférieure, qui lui distend
horizontalement le bas de la bouche. Cette particularité est destinée à effrayer
d’éventuels ennemis. Elle peut signifier, en outre, qu’il est guerrier par
tradition.
– Je suis le seul
Britannique ici… précise Franck Wells… Tous ces gens ne s’expriment qu’en un
portugais rudimentaire, mêlé d’espagnol. Mais je me débrouille.
– Je pense que
j’arriverai moi aussi à m’en sortir… sourit Winter… Je parle couramment
l’espagnol et je bafouille quelques mots de portugais.
– Parfait.. complimente
le docteur... Cependant, si je puis me permettre, et pardonnez mon indiscrétion,
mais vous savez, le coin n'attire pas particulièrement la race blanche et ...
– Nous sommes à la
recherche de Lord Roclam… anticipe aussitôt Ballantine, sans lui laisser le soin
de terminer sa phrase.
– Ah oui, le colonel !
Je n’avais pas fait le rapprochement avec mademoiselle !
– Carolyn est sa fille…
précise Ballantine.
– Il est venu pour la
première fois dans le coin, il y a cinq ousix mois de cela… indique Wells.
– Son dernier message
remonte à plus de huit semaines… confie sans attendre la jeune femme d’une voix
anxieuse, en se passant une langue rapide sur les lèvres.
– Huit semaines,
dites-vous ! Cela ne m’étonne pas. Ici je ne vois pas le temps passer. Mais … Je
me rappelle en effet l’avoir revu il y a … disons deux mois. Il revenait d’une
expédition avec son ancien aide de camp. Un certain Edwards. Ils étaient de
retour au village pour refaire leurs provisions, après plusieurs mois éprouvants
dans la jungle. Votre père en a sans doute profité pour vous faire parvenir de
ses nouvelles. Depuis, nous ne les avons pas revus. Ils étaient visiblement
pressés de retourner dans le Mato Grosso.
L’appréhension commence
à s’emparer progressivement de la jeune femme. Son charmant minois est déformé
par l’angoisse et le docteur s’en est aperçu…
– Ne vous inquiétez pas
outre mesure… se reprend-il aussitôt… Si je me souviens bien, une vingtaine
d’Indiens sont repartis avec eux dans la brousse. Ces indigènes connaissent
mieux que quiconque la jungle amazonienne. Mais … maintenant que j’y pense et
cela m’a paru étrange … Hormis le fait qu’ils aient emporté des vivres pour
plusieurs semaines, votre père s’est fait livrer, par avion, plusieurs fusils de
gros calibre. Or, exception faite des jaguars et des panthères, la jungle ne
recèle aucun animal justifiant de cet armement. De simples carabines suffisent
pour la chasse. Mais personne ici n’a osé lui en demander la raison. D’ailleurs,
il est retourné dans la jungle aussitôt après avoir réceptionné les armes en
question.
Winter et Ballantine
ont échangé des regards étonnés.
– Il n’a donné aucune
indication sur les lieux où il comptait se rendre ?… s’enquiert ce dernier, la
mine réfléchie.
– Vous savez, les gens
d’ici ont pour habitude de ne pas poser de questions. Le colonel m’a simplement
confié qu’il repartait pour le sud-ouest du Mato Grosso en remontant le fleuve.
Ils auraient, d’après leurs dires, découvert une cité perdue, en un lieu encore
ignoré de la civilisation. Les jungles du Mato Grosso recèlent pas mal de
mystères. C’est vraiment une porte ouverte sur l’inconnu. Une zone où pas un
seul Blanc, à ma connaissance, n’a encore mis les pieds.
Winter et Ballantine
ont tout de suite remarqué l’air affolé de leur compagne, affairée à se ronger
les ongles, l’oreille attentive à la conversation et qui a levé sur eux un
regard désemparé.
– Nous comptons engager
quelques Indiens… indique à présent Ballantine… Nous sommes ici pour retrouver
le colonel et nous voudrions partir, nous aussi, pour ces contrées.
– Du moment que vous
les rémunérez correctement, les Kaïapos vous mèneront où que vous vouliez aller.
Bien qu’ils ne se soient jamais aventurés dans les jungles perdues du sud du
Mato Grosso.
– C’est vrai qu’il y a
tout de même une sacrée trotte… souligne Winter.
– Ce n’est pas là le
problème. Les Kaïapos ont l’habitude d’effectuer de grands déplacements en
forêt. Mais cette zone, commeje vous le disais, recèle encore bon nombre de
mystères. En outre, elle renferme de nombreuses tribus anthropophages, qui n’ont
encore eu aucun contact avec notre civilisation. Mais enfin, je crois que vous
réussirez à convaincre Rono pour qu’il vous donne quelques hommes. Le colonel y
est bien parvenu.
Ce disant, le docteur
s’est tourné vers le chef indien, avec lequel il palabre durant quelques
instants.
– Il est d’accord…
glisse discrètement Winter à l’oreille de son ami, ayant saisi la brève
conversation entre les deux hommes, avant même que leur compatriote ne leur ait
transmis la réponse.
– Il accepte… confirme
presque aussitôt Wells… Vous aurez ce que vous voulez, à la condition que vous
lui remettiez deux cents dollars américains pour chaque individu qui vous
accompagnera.
La transaction leur
paraissant honnête, il a aussitôt été entendu qu’une dizaine de guerriers les
accompagneraient à travers la jungle.
extrait de : Le mystère
de l'île des géants de Stephan LEWIS