Bob Morane aventure HC02                          

                                          Asgard la noire

 

                                    Serge ALLEMAND

                                                         D’après les personnages créés par Henri VERNES

 

                                                         

 

Au pied de la muraille

 

Il faisait nuit depuis plus d'une heure. Pourtant, très loin derrière les montagnes, du côté où s'enfuyait le soleil, le ciel luisait encore faiblement d'une lueur violacée. Ils n'entendaient aucun bruit, tout semblait mort. Parfois, un léger souffle de vent murmurait à leurs oreilles. L'un derrière l'autre, ils grimpaient dans la pente herbue en prenant mille précautions afin de ne produire aucun son qui risquerait de les faire repérer. D'ici, ils dominaient le lac qui brillait en contrebas tel un miroir d'obsidienne polie tandis qu'au-dessus d'eux, se découpaient, en ombre noire encore plus sombre que la nuit, les murs crénelés du formidable château fort.

Il avait été construit voici des siècles. Nul ne pouvait affirmer exactement quand. Une légende dans la région disait que c'était les dieux eux-mêmes, ceux du Temps du Chaos, ceux d'avant les Temps Nouveaux, qui en avaient voulu et ordonné l'édification, juste avant le grand combat qui conduirait à leur anéantissement. Mais personne n'en savait rien…

Ceux qui colportaient ces racontars le faisaient à voix basse et avec terreur, sûrement de peur de réveiller les Ases et d'être frappés de mort. Surtout que dans la région…

 

Retour aux sources

 

Bob Morane et son ami Bill Ballantine, sac au dos, marchaient depuis plus d'une semaine dans ces contrées sauvages, en dehors des chemins touristiques. Ils fendaient les hautes herbes, traversaient les torrents et rivières aux eaux cristallines, campaient au bord des lacs, s'arrêtaient pour admirer le passage de quelques animaux point trop effarouchés, avaient même, un soir, presque pactisé avec une louve suivie de ses trois louveteaux.

Ils avaient prévu de partir deux semaines. Plus exactement, cette fois, c'était Bill qui avait téléphoné à son ami et qui avait proposé la virée. Bob en était resté tout estomaqué : pour une fois, c'était son ami qui voulait bouger, se changer les idées, retrouver les vraies joies simples de la vie au grand air, oublier ce monde de dingues.

-      Quinze jours, dans une nature vierge, presque comme aux premiers temps du monde. Ça vous dit, commandant ?

 

Morane n'y croyait pas trop et se demandait ce que son roublard compagnon d'aventures avait encore imaginé et ce que cachait cette proposition, mais bien vite sa sincérité l'avait convaincu.

Et même, chose inouïe, inconcevable venant de la part de Bill, comme suprême preuve de sa volonté, celui-ci lui avait affirmé qu'il n'emporterait aucune goutte de whisky.

-      Commandant, nous ne nous chargerons que du strict nécessaire : des allumettes, pour faire du feu afin de cuire nos aliments, nos couteaux, une hachette pour couper du bois, du fil pour poser des pièges et aussi pour pêcher, des petites tentes individuelles, des sacs de couchage, des gourdes, quelques linges de rechange, mais pas trop et, quand même, faut pas être idiot, un nécessaire de survie. Je vous laisse prendre la trousse de secours comme cela vous ne direz pas que j'y ai mis de l'alcool…

-      C'est un raid de survie que tu me proposes là, mon vieux Bill ! Mais ton idée me plaît plutôt, avait répondu Morane en riant, surtout qu'en ce moment il s'ennuyait un peu.

Avant d'accepter, il n'avait même pas demandé à son ami où celui-ci comptait l'emmener, peu importait…

-      Et surtout, pas de GPS, pas de portable, pas de walkman, même pour l'hymne écossais et pas d'appareil photos. Aucune liaison avec le monde, je ne prendrai qu'une vieille carte d'état-major et une boussole, avait ajouté Bill.

-      Un véritable retour aux sources, en somme. Tu as parfois des idées géniales, mon vieux !

-      Pourquoi, parfois ? avait grogné le géant un peu vexé.

-      N'en prends pas ombrage, Bill. C'est une façon de parler, tu sais bien que je pense tout le contraire.

-      Ah, je préfère ! Alors, c'est okay, commandant ? Je vous attends lundi prochain chez moi. Nous serons plus près de notre destination.

 

Tout se passait le mieux du monde. Bill avait tenu parole, il n'avait pas apporté de sa boisson favorite et, remarquait Morane amusé, il ne semblait pas le moins du monde être en manque. Le Français en déduisait, fort justement, que son ami n'était pas un alcoolique puisqu'il pouvait facilement s'en passer : qu'il n'était pas "accro". Et que, finalement, c'était sûrement la vérité, ou presque, quand il affirmait boire uniquement par devoir patriotique…

Le soleil descendait derrière les arbres et laissait une petite fraîcheur s'installer. Cela n'avait pas rebuté nos deux amis qui, après avoir laissé leurs vêtements sur la berge, se lancèrent dans l'onde claire d'une rivière pour se laver et se débarrasser de la sueur et de la poussière accumulées pendant la journée. Pour remplacer le savon, ils se frottaient avec des fleurs de saponaires abondantes dans la région. Ils s'éclaboussaient, jouant comme des mômes, s'amusant aussi à essayer d'attraper, à la main, les truites qui filaient dans l'eau et se cachaient sous les pierres. Ce fut Bill qui gagna le gros lot en cueillant une belle truite saumonée d'environ trente centimètres. Juste avant de s'arrêter, ils avaient fait provision de baies comestibles : airelles et myrtilles, uniquement ce qu'il leur fallait pour le repas de ce soir, et Bill, avait fait une moisson de feuilles d'ail sauvage, l'ail des ours, qu'il entreprit de ciseler finement puis d'écraser, pour réaliser une sorte de pâte qui viendrait parfumer agréablement le poisson. Celui-ci, sous la surveillance de Bob, cuisait doucement et commençait à répandre un fumet alléchant.

Comme chaque soir, lorsqu'ils s'arrêtaient, le même rituel avait eu lieu. Ils commençaient par monter les tentes, préparer un petit feu pour la cuisson de la viande et, le temps qu'il produise un peu de braises, ils allaient faire leur toilette avant de se sécher et de passer de chauds vêtements réservés à la halte du soir et à la nuit.

Cette vie leur convenait parfaitement et leur prouvait, si besoin était, qu'il suffisait de presque rien pour subsister et vivre heureux. Ils en avaient d'ailleurs souvent fait l'expérience au cours de leur vie aventureuse.

 

 

 

Alors qu'ils dégustaient le poisson cuit à point, un bruit de branchages remués et d'herbes foulées attira leur attention. Ils se tournèrent. A moins de dix mètres, une biche gracile venait de sortir d'entre les aulnes et les regardait de ses grands yeux étonnés, ses longues oreilles pointées vers eux. Ils ne firent aucun geste, de peur de l'effaroucher, jusqu'au moment où elle s'en alla tranquillement.

C'était comme cela depuis le début de leur randonnée : un parfum de paradis. Cela aurait pu continuer encore plusieurs jours, si à l'instant où le cervidé disparaissait entre les arbres, un bruit incongru s'imposa rapidement. Un bruit qu'ils avaient cherché à fuir, un bruit qu'ils maudirent.

 

Dès que l'hélicoptère passa le faîte des collines, ce fut assourdissant. En rase-mottes, il fit plusieurs tours au-dessus d'eux, éparpillant les braises du foyer.

-      Qu'est-ce qu'il veut ? hurla Bill qui tendait son poing, gros comme un ballon de rugby, vers l'appareil. L'est complètement malade !

Bob ne saisit pas grand-chose des paroles de son ami. Il leur était impossible de s'entendre et surtout de se comprendre. Une voix amplifiée leur parvint :

-      Êtes-vous Bob Morane et Bill Ballantine ? Levez et agitez vos bras droits, si c'est le cas ! Sinon, levez vos bras gauches.

Les amis n'avaient aucunement l'envie de se faire connaître. Cela sentait les ennuis à plein nez. Là-haut dans l'appareil, on s'impatientait :

-      Alors, répondez, nom de D… On va pas passer la nuit ici !

 

Bob regarda Bill avec une certaine fatalité et lui fit un signe de la tête, de haut en bas, tout en levant son bras droit. Ils n'avaient pas besoin de se parler pour se comprendre et c'est en faisant une grimace que l'Écossais l'imita à contrecoeur.

-      Ah, c'est pas trop tôt. On vient vous livrer un colis. Attention, je l'envoie et bye ! cria la voix anonyme.

La fenêtre de l'hélico s'ouvrit et un paquet en fut éjecté. L'appareil aussitôt s'inclina en avant, tourna et s'éloigna. Le colis atterrit un peu plus loin dans un taillis où il s'enfonça. Bill alla le chercher. D'une cinquantaine de centimètres sur une trentaine environ et épais d'une vingtaine, il était couvert d'un épais papier kraft.

Bill arracha l'emballage. Le contenu, quel qu'il soit, ne devait pas avoir souffert de la chute car plusieurs épaisseurs de mousse l'entourait ainsi que du film plastique à bulles qu'il découpa avec la lame de son couteau.

-      Un carton ! Qu'est-ce qu'il peut bien contenir ? se demanda Bill qui l'ouvrit.

Ils restèrent un instant abasourdis. Ils n'en croyaient pas leurs yeux.

-      Qu'est-ce que cela veut dire ? Deux flingues… qui sortent je ne sais d'où. Tu en as déjà vu de semblables, Bill ?

-      Ils ressemblent à ceux utilisés dans les films de science-fiction. Z'avez-vu ? Bizarre, tout ça !

Bill en avait sorti un de sa gangue de mousse prédécoupée.

-      Fait attention, Bill. On ne connaît pas ces joujoux, mais ça ne te rappelle rien ce genre de pistolets ?

-      Si, maintenant que vous me le dites. Ceux que nous utilisions lors de nos missions pour la Patrouille du Temps, mais je n'en avais encore jamais vu de tels. Regardez, commandant, y a même pas de canon. Juste ces deux espèces de dards qui partent de la crosse et qui traversent deux sphères transparentes. Il tire quoi, ce pétard ?

Morane sortit l'épais lit de mousse qui protégeait les armes. En dessous, dans le fond, au-dessus d'une nouvelle couche de mousse protectrice se trouvaient deux livrets et, alignées entre eux, deux petites mais puissantes lampes torche.

-      Qu'est-ce que c'est que ces carnets, s'étonna Bob en en prenant un et en se rapprochant du feu il ajouta : Bill, peux-tu jeter un peu de bois sur ce qui reste des braises, on n'y voit plus grand-chose.

Bill reposa l'arme inconnue et s'exécuta. Il disposa des branches sèches de résineux sur les tisons rougeoyants. De hautes flammes ne tardèrent pas à jaillir. Juste à côté du foyer, Bob s'assit sur le sol, jambes croisées, et fit pivoter l'épaisse couverture plastifiée. Bill le rejoignit. Scotchée sur la première page, il y avait une feuille de papier pliée en deux. Morane la détacha et l'ouvrit. Une fine et élégante écriture la couvrait entièrement, recto et verso.

-      Une lettre, commandant !

-      Oui, Bill ! Une lettre. Mais qu'est-ce qu'il nous veut ? Qu'y a-t-il de si urgent pour qu'il nous adresse une missive, ici ? Bob, tout de suite, avait reconnu l'écriture, et son compagnon, également.

-      Le professeur ! Mais comment a-t-il su que nous nous trouvions ici ? Je n'en ai parlé à personne d'autre que vous, commandant ! Et que nous veut-il ? Et comment donc s'est-il procuré de telles armes ?

-      Ça, je n'en sais rien et pour savoir ce qu'il nous veut, il n'y a qu'à la lire cette lettre.

 

Morane attendit quelques secondes avant de commencer la lecture car, malgré son sang-froid légendaire et sa maîtrise de soi, il sentait une immense colère monter en lui. Il ne savait pas encore ce que contenait de si urgent ce pli venu du ciel, mais il venait gâcher, ternir et presque réduire à néant ces moments heureux passés dans la solitude de ces contrées merveilleuses, sauvages et tranquilles. Il respira un bon coup, profondément. Maîtrisant ses nerfs et ses muscles, il se détendit.

 

"Mes chers amis,

 

Tout d'abord, pardonnez-moi pour la liberté que j'ai prise de venir vous déranger, mais je n'avais pas le choix. Je ne savais pas que vous étiez partis loin du monde, ni où vous étiez. Très certainement, n'aviez-vous communiqué à personne votre intention de voyager, et cela justement dans le but de préserver votre tranquillité. Au nom de notre vieille amitié, je vous conjure de me pardonner et de lire cette lettre jusqu'au bout. Merci, par avance !

Le temps nous est compté. D'affreux évènements doivent survenir dans les jours prochains.

Je ne vous ferai pas l'injure de croire que vous n'avez jamais entendu parler de Thor : dieu du tonnerre et de la guerre mais aussi protecteur de la famille, dans la mythologie nordique. Thor, fils d'Odin, combattait armé d'un terrible marteau : Mjollnir. Ce dernier avait la propriété de revenir dans sa main lorsqu'il le lançait, mais pour cela, il devait porter une ceinture de force : Megingiord et des gants de fer.

Thor, le plus fort des dieux et le plus admiré car il incarnait la bravoure. Il était aussi vénéré, comme le défenseur d'Asgard –la forteresse des dieux- et de Midgard –la terre, où vivaient les hommes-, mais aussi comme le défenseur du monde face au chaos.

Vous savez ce qu'il advint des Ases lors du Crépuscule des dieux, popularisé par Wagner dans son célèbre opéra : tous les dieux mourront dans ces combats [1]. Deux fils d'Odin ainsi que deux fils de Thor échapperont seuls au carnage. Parmi les humains, un couple unique survivra et repeuplera la terre.

Je ne m'étendrai pas plus sur cette histoire des dieux nordiques.  Les légendes disent que les fils de Thor, quittant Asgard détruit, vinrent sur la terre où ils firent construire une immense forteresse pour y cacher les attributs guerriers de leur père : Mjollnir, Megingiord et les gants de fer afin que plus jamais ils ne servent et, de ce fait, les soustraire pour toujours aux désirs de puissance d'un quelconque tyranneau de pacotille qui voudrait dominer le monde et pourquoi pas rebâtir Asgard, l'ancien domaine des dieux…

 

Voilà, pour le contexte. Mais pourquoi ai-je fait appel à vous, mes amis ? Sachez que l'improbable est en train de se réaliser. Les fils de Thor, dans leur immense sagesse, avaient raison de craindre le pire.

Un groupe d'archéologues de mes amis avait entrepris de fouiller les ruines d'un castel immense. Pour ma part, j'étais régulièrement en relation avec eux et participais très épisodiquement à leurs recherches. Mes amis avaient la certitude qu'il s'agissait du château que firent construire les rejetons du dieu du tonnerre. Pourtant, ils ne trouvaient rien de bien important et, peu à peu, faute de moyens, les recherches s'espacèrent et finirent pas être interrompues. Le chantier fut fermé et cela, à notre grande déception.

 

Dernièrement, des faits étranges se produisirent dans la région où se trouve ce château. Cette contrée, sans grand intérêt, se trouve loin de tout lieu habité et personne n'y vient jamais; sauf vous, ce que j'ai appris par la suite… Quelques amoureux fous de la nature cependant la traversent parfois. Dernièrement, il y eut plusieurs disparitions signalées. Les équipes de secours ont retrouvé quelques corps affreusement mutilés et comme écrasés. Le château et les alentours furent fouillés mais rien de concret ne permit de se faire une idée sur la cause de ces décès.

C'est peu après, que l'on entendit parler d'une association, d'un groupe occulte qui se faisait appeler "Les fils d'Asgard". Des messages sonores furent adressés aux radios et télévisions du monde entier. Le maître, le guide des "fils d'Asgard" prétend se nommer Loki, comme l'ancien dieu du feu et du mensonge, dans la mythologie nordique. Bâtard de dieu et de géant, ce Loki de la légende avait participé à l'anéantissement des dieux.

Dans son message, cet illuminé ne veut rien de moins que rétablir l'ancien Asgard et débarrasser le monde de ces humains qui, d'après lui, n'ont pas su, après le crépuscule des dieux, construire un monde de paix. Pour cela, il dit posséder Mjollnir –le marteau de Thor-, Megingiord et les gants de fer. Il affirme vouloir les utiliser pour interdire désormais toute approche du château et même de la région, à quiconque.

Il assure aussi être entouré de fidèles, tous étant de lointains descendants des dieux et demi-dieux du panthéon nordique qui, alors, n'hésitaient pas à s'accoupler aux humains, engendrant ainsi une multiple descendance.

 Mes amis, malgré l'absurdité apparente de telles affirmations, je suis assez tenté de croire ce que raconte ce fou : je pense qu'il a trouvé, dans les ruines du castel, les attributs guerriers du dieu du tonnerre et qu'il en a redécouvert l'usage. En effet, plusieurs expéditions de militaires se sont toutes soldées par de cuisants échecs. Et ces pauvres gens que l'on a retrouvés portaient sur leur corps de terribles blessures qui ne pouvaient avoir été occasionnées que par une puissante et lourde masse. Pourquoi pas le marteau de Thor… Si bien que les autorités sont en discussion, au niveau des Nations Unies, pour savoir ce qu'il convient de faire maintenant face à cette menace.

 

Bien entendu, des journalistes ont tenté de s'approcher pour en savoir un peu plus, mais, encore une fois, le résultat fut catastrophique : certains sont morts, d'autres, qui ont réussi à revenir, parlent de guerriers vikings dotés d'une force colossale, d'un objet volant qui écrase tout sur son passage, d'éclairs foudroyants. Bref, si ces journalistes n'avaient pas la réputation d'être sérieux, tout laisserait croire qu'ils sont devenus fous ou, pour le moins, adeptes des récits de science-fiction ou d'héroic-fantasy.

Mais ce n'est pas tout…"

 

A ce point du récit de Clairembart, Bill ne put s'empêcher de donner son avis :

-      Il en a de bonnes… "Ce n'est pas tout… Ce n'est pas tout…" L'est marrant le professeur, comme si ça ne suffisait pas. On est en plein délire…

-      Tu as raison, mon vieux, mais je me demande ce qui nous attend. Quelle sera notre mission… Car, j'en mettrais ma main au feu que ce cher Aristide va encore nous demander de sauver le monde.

-      Mais, bon sang, il peut pas se passer un peu de nous, le monde ? On dirait qu'il n'y a que nous sur cette satanée planète pour redresser les torts, sauver les jeunes filles en détresse et je ne sais qui ou quoi d'autre…

 

Bob venait de reprendre la lecture de la lettre du professeur Clairembart.

-      Tu ne crois pas si bien dire, Bill. Écoute :

 

"… je viens de vous dire que des journalistes s'étaient rendus sur place pour couvrir cette affaire, eh bien, malgré la mort de ses collègues, l'un d'entre eux, une femme, s'est précipitée sur les lieux et depuis quinze jours nous n'avons plus de ses nouvelles. Oui, mes amis, Sophia, car il s'agit bien d'elle, ne donne plus signe de vie !

Par contre, Loki, le maître de cette secte, car nous ne pouvons qu'affubler ce sinistre vocable à cette association, vient une nouvelle fois de se faire entendre. Il prévient le monde que conformément aux rites ancestraux et à la mythologie nordique, pour qui le chiffre neuf était symbolique, il allait faire procéder à une cérémonie au cours de laquelle seraient sacrifiées neuf victimes humaines. Au temps des dieux, cette cérémonie avait lieu, tous les neuf ans, au temple d'Odin à Uppsala en Suède. Elle durait neuf jours.

Pour des questions de commodité et de sécurité, cette première série d'immolations se déroulerait dans la forteresse construite par Les fils de Thor : le Nouvel Asgard, comme l'a baptisée le sinistre Loki moderne. Certains l'appellent même "Asgard la Noire "…

J'ai tout lieu de penser que notre Sophia va faire partie des victimes, qu'elle est quelque part retenue prisonnière dans leur repaire. Ces dernières semaines, dans le monde entier, des personnalités importantes ont disparu, dont le secrétaire des Nations Unies : Jésus Akkala, le président congolais Amin Sadda, également l'un de mes confrères qui avait justement participé aux fouilles, et d'autres, en tout neuf personnes, neuf êtres humains…

Bob et vous Bill, mes amis, vous devez empêcher cela. Vous seuls êtes à même de réussir à tuer dans l'œuf cette tentative de prise de pouvoir du monde par ces fous ! Là où les militaires ont échoué, deux hommes décidés tels que vous peuvent réussir…

 

Mais comment ai-je fait pour vous retrouver ? Bob, vous vous en souvenez certainement, dans l'éventualité où, vous-même, Bill et aussi Sophia, auriez des problèmes, où que je ne puisse vous joindre, vous m'aviez indiqué le moyen de contacter le colonel Graigh de la Patrouille du Temps qui lui saurait vous retrouver où que vous soyez dans l'espace ou le temps. J'ai donc pris la liberté de me mettre en rapport avec lui.

Sachez que déjà, il faisait des recherches pour retrouver Sophia, dont il n'avait plus de nouvelles. Vous localiser à ma demande, vous et Bill, fut pour lui et ses services un jeu d'enfant. Par chance, vous vous trouviez justement dans la région où se trouve ce Nouvel Asgard, et c'est ainsi que j'ai pu vous faire parvenir le colis par hélicoptère.

Les armes sont un cadeau du colonel. Elles sont, parait-il, très efficaces et redoutables. Vous trouverez aussi dans le carton, une notice d'utilisation de ces pistolets dit : P.D.N. (Pétrifiant, Désintégrant, Neuronal). Si vous me lisez, c'est que vous avez ouvert l'un des carnets – ils sont identiques et au nombre de deux afin que vous en ayez chacun un-. Lisez les attentivement, ils contiennent toutes les informations, en notre possession à ce jour, qui vous permettront de gagner la forteresse et de vous y introduire. Pour le reste, vous ne devrez compter que sur vous-mêmes.

Vous trouverez aussi deux petites boîtes. Elles renferment des plaquettes énergisantes très, très efficaces. C'est aussi un cadeau de Graigh.

Il tient vraiment à ce que vous lui rameniez Sophia car vous savez qu'il ne peut intervenir directement.

En résumé, donc, votre mission sera de délivrer les otages mais aussi de détruire les attributs guerriers de Thor (Je n'ose vous demander de me les rapporter pour que je les étudie. Pour la tranquillité du monde, il vaut mieux qu'ils disparaissent à jamais) et de mettre, par tous les moyens, hors d'état de nuire, Loki et sa bande.

 

Bonne chance, mes amis, votre dévoué et très fidèle Aristide."

 

Bill venait d'ajouter du bois sur le feu. Bob feuilletait le carnet, pensif.

-      Et si, on les envoyait paître, commandant ?

-      Nous ne pouvons pas, pense à Sophia… et il y a aussi les huit autres otages. Non, nous ne pouvons pas !

-      Deux pistolets, deux torches et des tablettes magiques, voilà tout ce que nous avons pour nous attaquer à une forteresse, à des guerriers vikings, à des demi dieux, menés par un fou et pour sauver des otages promis à un sacrifice barbare… Avouez commandant que nous sommes vernis, ils auraient pu nous demander d'y aller à mains nues…

-      Tu sais, je suis crevé et je vais aller dormir. Après une bonne nuit, nous serons plus frais demain matin pour étudier tout ça.

 

Bill resta pensif quelques instants, tandis que son ami se levait et gagnait sa tente, emportant le colis contenant les armes et les carnets, puis il poussa un long soupir à fendre l'âme avant de dire d'une voix contenue mais dépitée :

-      Savez, commandant, ils nous ont vraiment gâché nos vacances car, ce soir, pour la première fois depuis que nous sommes partis, j'ai vraiment envie d'un bon coup de gnole pour me remonter le moral…

Il se leva, saisit son quart et alla à la rivière pour y puiser de l'eau qu'il versa sur le feu mourant afin de l'éteindre complètement, puis il gagna sa tente. Il referma le pan de toile en faisant glisser le zip. Sous la toile légère, il y eut un peu de remue ménage, certainement se déshabillait-il ? Après un long soupir suivi de quelques secondes de silence, des ronflements sonores troublèrent la quiétude de la nuit : l'Écossais venait de s'endormir.

 

 

 

 

 

Préparatifs et approche

 

Le lendemain matin, après un petit déjeuner frugal, les deux amis étudièrent sérieusement le carnet fourni par leur ami Aristide. Un plan indiquait le lieu où se trouvait le château du Nouvel Asgard et l'itinéraire pour le rejoindre y était très clairement tracé.

Ils ne furent pas longs à comprendre comme cette carte, d’apparence anodine se révélait, en fait, bien digne de la technique de la patrouille du temps. Tout d’abord, ce document qui semblait être fabriqué dans une matière plastique un peu rigide, rendait tous les reliefs, c’est à dire qu’on y distinguait les formes des montagnes, des vallées et tous les autres détails, en trois dimensions, comme s’il s’agissait d’un hologramme. Ensuite, quand ils essayèrent de chercher des détails dans ce qui leur paraissait être comme un plan à assez grande échelle, le dessin se transforma, pour arriver à être aussi fin que celui d'une carte d’état major : éberlués, les deux amis découvrirent rapidement que ce qui décidait de ce niveau de détail dépendait, en fait, de la distance entre la surface du document et l’œil de l’observateur. L’heure ne se prêtait pas à la considération de cette merveille d’une époque indéterminée ou d’une autre dimension, et ils prirent cette carte comme elle se présentait, comme un simple outil des plus utiles.

 Ainsi cette carte relief, à échelle variable, leur permettra d'éviter au maximum les pièges naturels dus à la configuration très tourmentée du terrain. Ils devront pénétrer dans les montagnes, passer des gorges pour finalement déboucher sur un grand plateau dont le centre forme une dépression dans laquelle les eaux de ruissellement mais aussi celles des nombreuses sources présentes dans ces monts se sont amassées jusqu'à constituer un lac. C'est à l'est de ce lac, sur un mamelon rocheux, que se dressent les ruines menaçantes du château. A partir de leur bivouac, ils avaient ainsi une bonne trentaine de kilomètres à parcourir pour les rejoindre.

Le document précisait bien que, très certainement, ils auraient à affronter les troupes armées des Fils d'Asgard qui sillonnaient la région pour contrôler et interdire toute approche. Des pièges aussi auront sans doute été tendus aux points de passage obligés, par exemple au pont des Géants qui permet le franchissement des Gorges des Brumes. Mais, tout au long de leur chemin, ils devront se méfier de tout et de tous.

Une fois parvenus au pied des murailles, ils ne pourront pénétrer dans l'enceinte que par une ancienne poterne, aujourd'hui à moitié enterrée, car l'escalade des hauts murs extérieurs est impensable. Peut-être faudra-t-il qu'ils la déblayassent en partie, et très certainement, les nouveaux occupants des lieux l'auront-ils protégée d'une manière ou d'une autre ?

Quelques photos montraient le premier sous-sol. Rien de plus ! Apparemment, les archéologues n'étaient pas allés plus loin dans leurs fouilles.

Le professeur Clairembart, d'après ses commentaires, se doutait que la secte avait dû faire procéder à des travaux d'aménagement afin que les ruines deviennent habitables. En conséquence, il pensait que ceux-ci avaient eu lieu en sous-sol, que la secte s'était installée au plus profond de la montagne sous le château. Au centre de cette citadelle inversée, devait se cacher la salle du culte, reproduisant à l'identique le temple d'Odin situé à Uppsala. Pas très loin, se trouvaient très certainement les cellules où les otages étaient retenus prisonniers.

Les deux amis étudièrent et apprirent par cœur chaque passage, chaque mot du carnet, à s'en faire exploser le cerveau, puis ils se penchèrent sur l'étude de leurs nouvelles armes. Ce fut, pour eux, un jeu d'enfant que d'en comprendre le maniement, un simple basculeur, situé à la place du chien d'un pistolet classique, permettait de changer de mode : pétrifiant, désintégrant ou neuronal. Une aide à la visée par laser complétait le système mais nos deux héros maîtrisaient parfaitement le tir réflexe instinctif, ce qui leur avait d'ailleurs sauvé la vie à maintes reprises.

Un malheureux lapin qui eut le tort de passer par là, fit les frais de leur entraînement. Touché du premier coup par deux tirs neuronaux convergents, il s'immobilisa, le cortex cérébral détruit par les rayons. Ensuite, l'animal cuit à la broche et saupoudré de feuilles de serpolet et de thym sauvage leur servit de repas pour le midi.

Le déjeuner terminé et leurs affaires rangées, ils décidèrent ensuite pour leur mission qui, si tout se passait bien, ne devrait pas durer longtemps, de se charger au minimum, laissant sur place leurs tentes et le reste de leurs affaires, ne prenant chacun que son carnet, sa torche, son pistolet et sa boite de plaquettes énergisantes. Bill emportant en plus sa boussole qui pourrait se révéler utile. Ainsi, leur mobilité se trouvait accrue, du fait de la légèreté de leur équipement, et leur marche d'approche grandement facilitée.

 

*** Note de l'auteur-1. Les péripéties, survenues lors de l'approche du repaire de la secte, qui sont relatées ci-dessous, ne sont évoquées qu'incomplètement et très superficiellement car n'étant pas le sujet principal de cette nouvelle. Elles pourraient faire l'objet de développements futurs, dans un autre cadre ?

Ainsi que l'avait prévu le professeur, ils durent éviter à plusieurs reprises des patrouilles ennemies. Bob et Bill avaient décidé de ne prendre aucun risque et si, d'ordinaire, il leur répugnait de devoir se servir de leurs armes pour tuer, cette fois l'engagement fut pris de ne faire aucun cadeau et, s'ils étaient repérés, de tirer les premiers. Là-bas, Sophia et les autres otages attendaient des secours. Ils ne pouvaient donc se permettre de faire du sentiment. C'était une nouvelle règle du jeu pour eux –si l'on pouvait appeler cela un jeu- mais ce n'était qu'à ce prix qu'ils avaient quelques chances de s'en sortir vivants et de réussir totalement leur mission.

Cela faisait plus de trois heures qu'ils marchaient. Ils venaient de quitter le couvert des forêts mais la zone semblait plus calme et ils ne ressentaient plus le besoin de se cacher, ce qu'ils auraient d'ailleurs eu bien du mal à faire dans ce paysage qui offrait peu d'abris. En effet, ils abordaient maintenant une région plus montagneuse, aux pentes parsemées de gros rocs et couvertes d'une herbe assez haute, quand ils virent au loin une personne assise sur un de ces rochers au bord de l'étroite sente, devant l'un des rares bosquets présents aux alentours. Comme ils s'approchaient, ils constatèrent qu'il s'agissait d'une très vieille femme, de petite taille, courbée par le poids des ans, vêtue de pauvres hardes sombres, s'appuyant sur un bâton noueux. Très laide, son nez épais, long et lourd mangeait tout son visage sur lequel la crasse accentuait les rides tant elle s'incrustait dans les profonds sillons de la peau. Ses oreilles pointues apparaissaient entre ses longs cheveux filasses d'une couleur jaunâtre.

"Que fait-elle là, seule, loin de toute habitation ?" se demanda Morane.

-      Mes beaux seigneurs, la charité pour une vieille femme qui a faim. Me ferez-vous l'aumône d'un quignon de pain ?

Elle tendait sa main maculée, aux longs ongles ébréchés, aussi noirs que la suie. Bob la regarda quelques secondes, comme s'il hésitait puis, fouillant dans sa poche, il en sortit la petite boîte contenant les tablettes énergisantes. Il en prit une et la déposa dans la paume de la vieille en lui disant :

-      Nous n'avons pas de pain, mais prenez ceci, cela vous nourrira pendant deux jours…

-      Mais… Commandant ? Qu'est-ce que vous faites…

-      Allons, Bill, il nous en reste encore cinq pour nous deux, c'est plus que suffisant. Nous nous serrerons un peu la ceinture, voilà tout. Nous, nous pouvons nous le permettre, mais pas cette pauvre vieille…

-      Ouais, z'avez raison, commandant ! Une demi-tablette de plus ou de moins chacun…

Bob regarda la femme rabougrie, tassée sur sa pierre, elle souriait de toutes les dents branlantes qui lui restaient.

-      Désolé de n'avoir pu vous donner plus, mais nous sommes démunis, nous aussi… dit-il.

-      Ce n'est rien, étrangers. Pour vous remercier, je puis vous donner un conseil qui, même venant de la bouche d'une vieille sorcière comme moi, pourrait se révéler utile pour vous.

 

-      Une recommandation est toujours la bienvenue, d'où qu'elle vienne, s'exclama l'Écossais.

-      Non seulement vous êtes bons mais, en plus, pleins de sagesse. Voici : je sais que vous allez affronter les géants. Ceux-ci sont des demi-dieux. Si on les tue, ils renaissent instantanément. Pour les vaincre, il faut les transformer en pierre, ils le restent ensuite pour l'éternité. Adieu, gentils seigneurs. N'oubliez pas : en pierre, en pierre, en pier…

Et, devant leurs yeux médusés, l'incroyable personnage, semblant tout droit sorti d'un conte de fées ou de… sorcières, disparut subitement. Évaporé.

Sur le rocher, là où elle était assise, ne restait que la petite tablette…

-      Regardez, commandant, elle a oublié de la prendre !

-      Mais non ! Je ne crois pas ! Ce doit être sa façon à elle de nous remercier un peu plus de notre geste. Tu vois, je crois qu'elle n'en avait pas vraiment besoin. Elle nous a juste demandé quelque chose pour voir notre réaction. Là, où elle est partie, la nourriture terrestre ne sert sans doute à rien, tandis que pour nous…

 

Ce fut une bonne heure plus tard que la prédiction de la vieille se réalisa. Au fur et à mesure de leur avance, la montée s'était faite plus rude. Bob et Bill progressaient maintenant dans des vallées de plus en plus étroites. Au pont des Géants, eut lieu leur premier combat. L'ouvrage d'art en pierre, tendu en un arc unique et très élevé au-dessus du vide, enjambait la Gorge des Brumes. Deux géants ventrus, vêtus de peaux d'ours en gardaient l'entrée. La tête protégée par un casque métallique cornu, portant au bras gauche un énorme bouclier rond en bois, renforcé de pointes de fer et tenant de la dextre une lourde et large épée étincelante, ils regardaient venir les deux hommes. Massifs, hauts comme une fois et demi l'Écossais, côte à côte, sans bouger, ils en interdisaient le passage. Comme Bob et Bill s'approchaient, ils purent lire sur leur visage, envahi par une abondante pilosité, une brute férocité et la seule trace de vie étaient leurs petits yeux porcins qui brillaient méchamment. Les amis s'arrêtèrent à une dizaine de mètres, les géants firent alors un pas vers eux et commencèrent à lever leur épée.

-      Qu'est-c'qu'on fait, commandant ?

-      On tire, Bill ! On les désintègre ! Pas le temps de discuter ! D'ailleurs, m'étonnerait qu'ils nous comprennent. Et crois-moi, personne ne regrettera ces demi-dieux de pacotille !

Aussitôt dit, aussitôt fait, deux fines lignes brillantes fusèrent des armes et frappèrent les gardes qui s'avançaient vers eux. Sans un bruit, en une infime fraction de seconde, les colosses disparurent comme s'ils se désagrégeaient.

-      Et voilà ! constata Bill. C'est propret et rapide, comme procédé ! Plus de trace, rien de rien !

-      Pas si propre et rapide que ça, s'exclama Bob qui, les yeux tout ronds d'étonnement, regardait devant lui, là où une fraction de seconde avant se trouvaient les géants.

Comme s'ils éclosaient du néant, les deux titans réapparurent tout à coup. Bien vivants. Poussant un énorme cri qui fit trembler la montagne, ils s'ébranlèrent et, épées levées, se précipitèrent vers les amis, interloqués. Ce fut Bob qui réagit :

-      Vite, Bill, le pistolet, il faut le basculer en mode pétrifiant.

Il venait de se souvenir des paroles de la vieille : "En pierre, en pierre…". Morane ne leva même pas son arme, il n'avait pas le temps. Le pistolet pointé droit devant, à hauteur de la ceinture, il pressa la détente. Le géant se figea d'un coup, statufié en pleine course, l'épée levée au-dessus de sa tête. Bill fut un peu moins prompt. Le deuxième adversaire était déjà tout contre lui et allait abattre son arme dont le fil accrocha un pauvre rayon de soleil. Bob, une nouvelle fois, tira au jugé. Bill avait rentré sa tête dans ses épaules, attendant le coup mortel qui ne vint pas. La lame s'était immobilisée à moins de dix centimètres de sa tignasse flamboyante.

 

-      Ouf, l'était temps. Merci, commandant !

-      Oh, c'est rien, mon vieux. Elle nous l'avait bien dit, notre sorcière bien aimée, qu'il fallait changer les géants en pierre, mais nous n'avons pas fait le rapprochement.

A cet instant, un petit rire clair, sortit de nulle part et de partout, roula au dessus de la brume et résonna entre les parois des falaises verticales du gouffre.

Un rire de vieille dame indigne, ravie d'avoir joué un bon tour à ses voisins qu'elle exécrait.

-      L'a pas l'air de bien aimer les géants, notre amie, constata Bill qui, malgré la fraîcheur montant des gorges, essuyait la sueur qui coulait sur son front à l'aide d'un mouchoir aux couleurs fluo, grand comme un drap de lit, ou peu s'en fallait…

-      Tu as raison ! Elle ne doit pas apprécier la venue et la présence de ces dangereux guignols qui occupent son territoire.

-      Mais, qui est-elle ? Z'avez une idée, commandant ?

-      Pas d'idée précise, mais pourquoi ne ferait-elle pas partie du petit peuple qui habite ces contrées depuis toujours… Pourquoi ne serait-elle pas une gentille sorcière troll ? Après tout, rien ne semble impossible dans ce pays. Et puis, moi, ça me plaît de croire que c'est une troll…

 

Avant de franchir le pont, comme pour se libérer de la peur rétrospective qu'il venait d'avoir, Bill donna à chacun des géants un méchant coup de pied vengeur. Puis ils s'engagèrent sur les dalles séculaires, entre deux parapets à moitié écroulés. Du gouffre, sous leurs pieds, montait le bruit assourdissant des eaux en furie qui roulaient tout au fond, se cognant contre les énormes rochers et explosant en des milliards de gouttelettes. Un souffle glacial accompagnait les volutes de brouillard. Déjà, la clarté du soleil quittait les lieux, plongeant la brèche étroite dans une obscurité polaire.

Pour rejoindre le Nouvel Asgard, il ne leur restait qu'une dizaine de kilomètres à parcourir mais combien d'épreuves traîtresses à surmonter ?

 

*** Note de l'auteur-2. Voilà, je me suis un peu étendu sur la rencontre avec la sorcière et sur le combat contre les géants. Bob et Bill eurent bien d'autres épreuves à surmonter. Maintenant, ne perdons plus de temps. Que Diable, Sophia nous attend !

 

 

 

Dans le souterrain

 

Ils repérèrent, presque tout de suite, la poterne signalée par Clairembart. Une lourde grille formée de grosses barres de fer forgé en empêchait l'entrée. Deux coups de pistolet désintégrant firent disparaître cet obstacle en silence. Personne ne semblait s'être aperçu de leur approche et de leur intrusion. Ayant fait quelques pas, ils se trouvaient maintenant dans un souterrain humide et en partie effondré. Bill sortit sa lampe torche.

-      Gardez la vôtre bien au chaud, commandant. Pas la peine d'utiliser les deux en même temps.

-      Tu as raison, Bill ! Nous en aurons peut-être besoin plus tard.

Le plan général fournit par Aristide et la boussole de Bill ne leur étaient pas, pour le moment, d'un grand secours. Ils ne se trouvaient visiblement pas dans la partie réaménagée par la secte car ils ne découvrirent sur le sol aucune trace qui attesterait de la fréquentation des lieux. De fait, en avançant sous cette voûte séculaire, ils ne firent aucune mauvaise rencontre.

Ils décidèrent de croquer chacun une demi tablette nutritive et, étendus à même le sol, de se reposer quelques heures. Ensuite, ils continueraient leur exploration, profitant alors, au milieu de la nuit, d'un amoindrissement de la vigilance des occupants dont la plupart seraient endormis, tout au moins, ils l'espéraient.

 

Était-ce l'effet du repos ou celui de l'ingestion de la tablette nutritive ? Certainement les deux… en tout cas, ils se réveillèrent en pleine forme. Sans attendre, ils reprirent leur exploration. Ils ne savaient quelle heure il était, puisqu'ils ne possédaient pas de montre et cela suite aux recommandations de Bill qui avait, avant leur départ, proscrit tout ce qui pouvait les rattacher à la vie moderne.

"Comme retour aux premiers âges, nous sommes servis", pensa Bob avec un certain fatalisme.

Depuis de longues minutes, ils marchaient, suivant, entre deux murs, ce couloir sans fin, où ils ne trouvaient aucune sortie ou bifurcation qui leur permettrait de pénétrer plus avant dans la forteresse. L'atmosphère confinée de ce boyau, l'humidité régnante et leur propre transpiration faisaient que sous leurs vêtements, ils baignaient dans une moiteur désagréable et cela, malgré la fraîcheur relative des lieux. Parfois, sur leur droite, une amorce de couloir latéral s'ouvrait mais, immanquablement, au bout de quelques mètres, ils se trouvaient devant un éboulis de terre et de rochers qui obstruait le passage.

Ce fut Morane qui s'arrêta enfin, s'essuya le front d'un revers de manche et dit à Bill qui allait toujours devant avec sa torche :

-      Attends ! Nous n'allons pas continuer ainsi jusqu'à la saint Glin-Glin. Réfléchissons !

-      J'veux bien, commandant ! J'ai l'impression qu'on tourne en rond.

-      Tu as tout à fait raison, c'est aussi ce que je ressens. Récapitulons. Tout de suite après notre entrée par la poterne, nous avons tourné à droite, dans le souterrain, et suivi le mur de fondation de la muraille extérieure de la forteresse. Tu es d'accord ?

-      Jusqu'à présent, oui !

-      Depuis la poterne, nous marchons entre ce mur de droite que nous appellerons "extérieur" et cet autre qui se trouve à notre gauche…

-      Que nous appellerons "intérieur".

-      Tous juste, Bill ! Nous sommes donc à l'intérieur d'une double enceinte qui m'a tout l'air de suivre le périmètre du château. As-tu remarqué que souvent le mur intérieur, derrière lequel doit donc se trouver le centre réaménagé de ce Nouvel Asgard, montre des traces de maçonnerie récente, comme si on avait voulu, non seulement consolider l'édifice, mais aussi en interdire l'accès en obstruant tous les couloirs qui y menaient.

Bob se rapprocha du mur intérieur, y posa sa main et ajouta :

-      Là, derrière ces pierres, se trouve ce que nous cherchons : Loki et sa clique, les otages et les attributs de Thor. Il nous faut passer !

-      Z'avez quand même pas l'intention de le désintégrer ?

-      Non, Bill ! Je ne suis pas fou, je n'ai pas envie de recevoir la citadelle sur la tête et de finir enseveli sous des milliers de tonnes de terre et de roc. Non ! Comme le disait Rouletabille, sous la plume de Gaston Leroux : "Faut suivre le bon bout de la raison…".

-      Et votre raison, elle dit quoi ?

-      Que s'il n'y a pas d'entrée souterraine, il doit exister une possibilité d'accès par le dessus.

-      Mais, nous n'avons rien trouvé, jusqu'ici ! Pas le plus petit escalier ! Z'avez bien vu : tous les couloirs sont bouchés !

-      Il doit y en avoir un quelque part. Forcément ! Il a bien fallu que les ouvriers viennent ici pour exécuter les travaux. Mais nous n'avons pas encore fait le tour complet puisque nous ne sommes pas repassés devant la poterne. Continuons ! Jusqu'ici, obnubilés par notre désir de découvrir un passage souterrain, nous n'avons pas vraiment fait attention au reste.

 

Avaient-ils passé un long contrat avec les forces mystérieuses qui régissent le monde et font souvent pencher la balance du bon côté de la chance ? Comment le savoir ? En tout cas, une fois de plus, c'est bien Dame la Chance qui vint leur montrer la voie. Ce fut quelques minutes après les explications de Morane. Ils avaient déjà exploré, sans résultat, deux nouveaux couloirs latéraux et regagnaient le boyau principal. Bill, qui tenait toujours la lampe, se trouvait derrière son ami et l'éclairait en avant. Soudain il trébucha et s'étala de tout son long en jurant bien sûr abominablement. Il se mit sur le dos et resta un instant ainsi pour récupérer. Il n'avait pas lâché sa torche qui éclairait maintenant au-dessus de lui le plafond du souterrain.

-      Commandant…

-      Qu'est-ce qu'il y a, tu ne peux pas te relever tout seul ?

-      Mais, non ! Ce n'est pas ça. Venez voir !

-      Quoi, encore ? Allons, viens ! et donne-moi donc de la lumière !

Bill se tenait maintenant debout et éclairait juste au-dessus de sa chevelure. Bob qui s'était rapproché, regarda dans le cercle de lumière et s'exclama :

-      Une trappe !

-      Et oui, commandant ! Le voilà, notre accès !

-      Ah, mon vieux Bill, tu es génial. Allez, ouvre-la, qu'est-ce que tu attends ?

-      Eh oui, j'ai parfois, moi aussi, un peu de chance. Y a pas qu'vous ! Et j'attends que vous me teniez la lampe, car moi, j'n'ai qu'deux mains.

-      Voilà, voilà ! Mais essaie de ne pas faire trop de bruit, nous ne savons pas où nous allons déboucher ni ce qu'il y a au-dessus.

 

Débloquer la lourde trappe de bois brut fut chose relativement aisée pour Bill, mais avant qu'il ne l'ouvre, Bob le mit de nouveau en garde :

-      Fait attention, mets-toi bien sur le côté avant de repousser le panneau. On ne sait jamais, s'il y avait un piège...

Morane sortit son pistolet et le braqua avec la lampe vers la trappe. Prêt à toute éventualité, il s'était lui-même accroupi, le dos contre la paroi.

-      J'peux pas la repousser vers le haut, elle s'ouvre vers le bas. Et elle pèse son poids. J'vais la lâcher !

-      Éloigne-toi au maximum et prends aussitôt du champ.

-      Z'en avez de bonnes, vous. J'ai l'bras long, mais quand même… Attention !

 

Dans un grincement sinistre, le panneau bascula, lâché par Bill qui, tout en sortant son P.D.N., avait fait un brusque et rapide saut en arrière. En même temps, une multitude de bêtes remuantes et immondes se déversa sur le sol. Aussitôt, Bob arrosa, de tirs rapides de son arme, la masse grouillante qui s'agitait devant lui. Cobras, crotales, mygales, scorpions, scolopendres géants, serpents noirs annelés de rayures rouges ou jaunes, couraient et rampaient en tous sens. Certaines se dirigeant franchement vers eux, ils les écrasèrent sous leurs grosses chaussures de randonnée. Tandis que Bill se joignait à lui pour tirer, Morane lui rendit sa lampe pour aussitôt sortir la sienne et ainsi, s'éclairant mieux, ils purent anéantir le maximum de ces bestioles venimeuses, les autres s'échappèrent ou disparurent entre les pierres, dans les trous du sol ou des murs.

-      Eh bien, on l'a échappée belle ! dit Morane tout en inspectant tout autour de lui avec sa torche. Il ajouta : tu as vu, ce sont des espèces exotiques qui vivent habituellement dans les pays méditerranéens ou tropicaux.

-      En effet, votre remarque est juste : ces sales bêtes ne sont pas venues ici toutes seules. Comme surprise on fait mieux ! J'ne me voyais pas recevoir tout ce joli monde sur les épaules.

-      C'est sûr, mais je me demande comment elles peuvent bien survivre, ici. Bon, nous n'avons pas le temps de chercher la réponse, il y a plus urgent à faire ! Tiens, tu vas me faire la courte échelle pour que je regarde si plus rien de désagréable ne nous attend là-haut.

-      Ouais, mais faites attention, hein ! Allez, z'êtes prêt ? demanda l'Écossais, en fléchissant un peu sur ses jambes et en joignant les mains à hauteur de ses cuisses.

 

Morane, soulevé, soutenu par son ami, passa précautionneusement la tête à travers l'ouverture et inspecta du regard le souterrain supérieur. Devant, derrière, sur les côtés, au-dessus, il promenait le faisceau de sa lampe. Apparemment, rien de suspect. Plus de bestioles, personne n'apparaissait et le silence régnait. Il refit un tour complet d'inspection. Tout au fond, derrière lui, le faisceau lumineux se refléta fugitivement. "Une pierre mouillée, ou une surface métallique", pensa-t-il. Par acquis de conscience, il balaya plusieurs fois le même endroit mais il ne distinguait pas grand-chose. Soudain, il entendit un claquement sec. Par réflexe, il se laissa tomber et dégringola des mains de Bill. Là-haut, dans le souterrain supérieur, il y eut un sifflement soyeux, puis un choc sourd.

-      Qu'est-ce qui se passe, commandant ? demanda Bill en se penchant vers son ami qui se relevait.

-      Je n'en sais rien ! Tu as entendu ? Il semblerait que quelque chose se soit déclenché quand j'ai éclairé le fond du boyau, là-haut. Bon, il faut quand même y aller.

Cette fois, il ne se passa rien. Bill monta le premier puis, saisissant son ami par les poignets, il le hissa, comme s'il ne pesait pas plus qu'une plume. Dix mètres plus loin, au bout d'un couloir relativement court, se trouvait un escalier rudimentaire en bois. Plusieurs flèches y étaient plantées et deux autres brisées gisaient sur le sol, sans doute après avoir percuté les pierres du mur.

-      Voilà ce qui est passé au-dessus de ma tête, dit Morane en frissonnant.

-      Heureusement que vous n'avez rien pris, sinon on vous aurait appelé Sébastien, ironisa Bill tout en se retournant. Par curiosité, cherchant l'origine des flèches, il éclaira l'autre extrémité du couloir, pour voir… Il y eut un reflet…

-      Non, Bill ! Couche-toi ! hurla Bob en se jetant à terre.

Une seconde plus tard, une nouvelle volée de flèches passa en sifflant au-dessus de leurs têtes. Rouge de confusion, Bill murmura :

-      Ben, commandant, je ne pensais pas qu'ils avaient un système à répétition…

-      Relevons-nous et maintenant évite d'éclairer le fond. Deux fois ça suffit. Allons, montons ! Et tenons-nous sur nos gardes, il y a peut-être d'autres pièges.

-      Pas mal quand même, leur système pour piéger les visiteurs indésirables ! Un jet de lumière projeté sur un panneau de cellules électriques et vous voilà transformé en pelote d'épingles.

-      Oui, tu as raison ! Et un tel système n'a pas été mis en place par les anciens dieux nordiques…

 

Montant les marches, ils passèrent au niveau supérieur. Juste avant de suivre son ami qui s'éloignait, Bill s'agenouilla au-dessus de l'escalier et y plongea sa main qui tenait la torche. Elle dépassait sous la voûte, juste assez pour que la lampe puisse éclairer la paroi du fond. Plusieurs fois il la fit aller de droite à gauche. La déception se lisait déjà sur son visage quand il entendit un claquement sec un peu étouffé puis, une seconde après, une nouvelle salve de flèches percuta l'escalier et le mur sous lui. Il émit un petit rire content et marmonna :

-      Marrant, ce jeu ! Ça marche à tous les coups !

Rapidement il rejoignit son ami en se passant la main dans sa chevelure déjà toute ébouriffée, relevant du même coup la mèche rebelle qui toujours tombait sur son front, mais qu'il se refusait à couper, et qui invariablement redescendait aussitôt.

 

*** Note de l'auteur-3. Je sais ! Le coup de la main dans les cheveux, normalement, ce n'est pas Bill mais Bob. Remarquez quand même que je n'ai pas dit que ses doigts étaient ouverts en forme de peigne… Et puis, faut bien s'amuser un peu…

 

 

 

 

 

Le dernier combat

 

Ils se trouvaient maintenant au niveau du chemin de ronde du château, dissimulés dans ce qu'il restait d'une tour d'angle dont toute la toiture et les étages supérieurs s'étaient effondrés depuis des lustres. Quelques planches disposées provisoirement faisaient office de toit, juste au-dessus de leurs têtes. Ils avaient éteint leurs lampes et la lune incomplète n'éclairait que parcimonieusement les ruines qui s'étendaient à leurs pieds. Grâce à sa nyctalopie Bob distinguait mieux que son ami la disposition des lieux mais surtout, il avait repéré les ombres cornues de gardes qui se déplaçaient lentement sur le chemin de ronde, allant d'une tour de flanquement, ou de ce qui en restait, à une autre, en des allers-retours incessants. Tout de suite, il avait reconnu des géants identiques à ceux qu'ils avaient combattus pour pouvoir franchir le pont. L'un d'eux venait vers eux.

Bob entraîna Bill dans le fond de l'espace exigu où ils se tenaient. Le pistolet levé, il tira. De cette manière, les autres gardes ne pouvaient avoir distingué l'illumination brève des sphères de l'arme. Devant eux, à moins de cinq mètres, le colosse s'était immobilisé, statufié à jamais. De l'autre côté, sur le mur perpendiculaire, un second garde subit le même sort. Bob se rapprocha de Bill :

-      Nous allons être obligé de nous séparer. Tu vas aller à droite, moi à gauche, et nous éliminerons de la même manière tous ceux que nous rencontrerons, inutile de risquer de nous faire repérer et que l'un d'entre eux ameute toute la bande.

-      OK, commandant ! C'est un peu du tir au pigeon, mais si on ne peut pas faire autrement !

-      Malheureusement, non ! De plus, cela fait partie de notre mission : éliminer cette engeance. Tu vois, au centre de la cour centrale, il y a le bâtiment de ce qui devait être autrefois le logis seigneurial avec, près de la muraille, le corps de garde. Tout est en ruines et cela explique peut-être en partie la raison qui a fait que Loki et ses sbires se soient enterrés. Il me semble même voir du feuillage dépasser des murs, vers le milieu. Si la végétation y a repris ses droits, cela veut dire que ces locaux sont complètement abandonnés. Je pense que l'entrée devrait se trouver par là. Nous nettoyons le chemin de ronde et, une fois de l'autre côté, nous trouverons bien un escalier qui nous permettra de redescendre au niveau de la cour.

-      Compris, commandant !

-      Et surtout, pas de bruit !

-      Vous inquiétez pas, je sais me déplacer comme le ferait un chat, quand c'est nécessaire.

 

Ainsi firent-ils, sans rencontrer la moindre résistance de la part des cinq gardes en poste sur le chemin de ronde. Morane n'aimait pas agir ainsi, sans laisser la moindre chance à ses adversaires, mais il savait que ces géants, demi-dieux venus on ne sait d'où, n'avaient pas leur place dans notre monde actuel. Il est des circonstances qui imposent aux hommes honorables des actes qu'ils réprouveraient en temps normal.

Ils se retrouvèrent donc de l'autre côté de la forteresse. D'ici, comme ils s'étaient rapprochés, les ruines du bâtiment central prenaient plus d'ampleur et, d'où ils se trouvaient, il semblait que l'arbre s'élevait au centre d'une petite cour intérieure. Tout autour, les murs formaient des quadrilatères plus ou moins grands et de hauteur variable, derniers vestiges des pièces et salles de l'antique demeure.

-      Nous allons descendre, puis nous séparer une nouvelle fois. Tu prendras à gauche, moi à droite. Nous faisons un rapide tour en longeant la muraille sous le chemin de ronde, puis nous visitons la bâtisse centrale ou ce qu'il en reste. Il nous faut trouver cette entrée. Elle doit se cacher dans ce fatras de pierres. Dans moins d'une heure, le jour va se lever, et nous n'aurons plus aucune chance si nous devons nous battre contre toute la bande qui sera réveillée.

 

Ils se déplaçaient comme des ombres silencieuses. Après avoir longé, chacun de son côté, le pied du mur d'enceinte, ils convergèrent vers les ruines dans la lueur blafarde de la lune qui, imperturbable, avait continué son petit bonhomme de chemin dans le ciel, indifférente au combat qui voyait s'opposer les hommes et les dieux.

C'est alors qu'il se trouvait au milieu de l'espace dégagé qui avait dû être la basse cour, entre l'enceinte et les ruines internes, que les deux géants sortirent de l'ombre d'un pan de mur où visiblement, ayant repéré Morane, ils attendaient qu'il s'approche et se découvre pour agir. Surpris, le Français resta figé une fraction de seconde. L'un des gardes, déjà, projetait vers lui de toute sa force, sa lourde lance ferrée. Au jugé, Bob tira, puis se laissa aller en arrière. L'arme passa juste au-dessus de lui en sifflant. Au cours du roulé-boulé arrière qui aurait dû le remettre sur ses pieds, sa tête heurta un peu trop fortement le sol constitué de caillasse. Il resta un court instant à terre, étourdi, et déjà le second garde était sur lui, levant son pied droit pour lui écraser la poitrine tout en levant son épée avec l'intention de le décapiter proprement…

Morane ne savait ce qu'il était advenu du premier colosse mais, la vue troublée, il distinguait la forme noire de l'énorme pied qui descendait vers lui. Il redressa son pistolet, qu'il n'avait pas lâché, et tira. Le membre s'immobilisa à quelques centimètres de sa poitrine palpitante. Bob se sentait un peu dans la position du dresseur d'éléphant qui met sa tête sous la patte de son animal, sauf que dans son cas cet animal-là n'était pas domestiqué. Il se glissa rapidement sur le côté, se releva et tourna la tête. Son premier tir avait porté, le premier garde, un peu penché en avant, dans son élan pour propulser sa lance, ne bougeait plus, lui aussi statufié. Bob frissonna, une sueur glacée lui mouillait l'échine et le front. Encore une fois, la mort l'avait frôlé de son aile noire.

Bob Morane reprit sa progression et entra dans les ruines du bâtiment. Il commença sa visite ne négligeant aucune pièce, aucun recoin.

 

Du côté de Bill, tout se passait bien. Il n'avait rien remarqué lors de son inspection sous le chemin de ronde. Toutefois, alors qu'il venait à son tour de traverser l'espace à découvert et qu'il allait entrer dans l'enceinte du logis écroulé, un léger bruit sec, venant de derrière lui, l'alerta. Tous ses muscles se bandèrent, il assura sa prise sur la crosse de son arme et se retourna.

A dix mètres, un géant au faciès de brute primitive, sorti on ne savait d'où, levait déjà sa hache. En une fraction de seconde, l'Écossais remarqua l'énorme bras musculeux qui se détendait, le biceps saillant, le bracelet de cuivre qui entourait le poignet, les gros doigts poilus qui s'ouvraient et lâchaient l'arme meurtrière qui fusait déjà vers lui en grossissant rapidement. Bill se trouvait juste dans l'encadrement d'une porte dont il ne restait plus rien. Un épais linteau reposait encore sur le haut des murs. Il y eut un choc sourd, la hache vint se planter dans le bois, juste au-dessus de sa tête, de presque toute la profondeur de son fer. Déséquilibré sous la force de l'impact, le madrier bascula. Ballantine, lâchant son pistolet, eut juste le temps de lever les deux bras pour dévier la lourde poutre et éviter qu'elle ne l'écrase. Elle se ficha dans le sol, l'extrémité supérieure en appui contre le mur, dressée telle un totem témoin de ce combat exceptionnel.

La brute, d'essence divine, venait vers lui de son lourd pas balancé. Déjà sûre de sa victoire, un rictus cruel déformait sa bouche ouverte. Un peu de bave coulait de ses lèvres et se perdait dans les poils noirs de son menton. Son énorme main serrait maintenant une courte épée.

Bill n'avait plus son arme et le temps qu'il la retrouve, le monstre serait sur lui. Il ne lui restait que la hache plantée dans le madrier.

"J'vais jamais réussir à la sortir de là d'dans", pensa-t-il désespéré.

Il saisit quand même l'épais manche, banda ses muscles, son visage prit une teinte violacée, les veines saillaient dans son cou et sur son front, une effroyable grimace déformait ses traits, il poussa un énorme cri et le fer, dans un couinement plaintif, échappa à l'étreinte du bois. Aussitôt, Bill se tourna vers le géant qui n'était plus qu'à quelques mètres, il leva son bras et, de toute sa rage, car il en avait vraiment marre de ce monde insensé, il lança l'arme de toute sa force.

" Il va voir ce que c'est qu'un Écossais en colère, tout demi-dieu qu'il soit", éructa-t-il.

La hache fendit l'air en tournoyant et, après avoir découpé tout net le casque, vint se planter profondément entre les deux yeux de son adversaire, faisant éclater la boîte crânienne. Le géant s'immobilisa et vacilla, ses yeux incrédules louchèrent comme s'ils regardaient l'arme puis se levèrent et se fermèrent tandis qu'un flot de sang noir coulait, abondant et épais, dégoulinant sur sa face, son cou, ses épaules et ruisselait sur son ventre en barrique. Bill ne pouvait le quitter des yeux. Là, dans cet espace dégagé, la très faible lueur de la lune qui donnait au décor une dimension fantasmagorique et irréelle, suffisait pour distinguer ce qui se passait. Sa mâchoire en tomba, ses yeux s'écarquillèrent quand il vit que le sang se tarissait, que le colosse rouvrait les yeux et que d'un geste brusque, il arrachait la hache de son front où la plaie, en un instant, se referma. Et, comme si de rien n'était, le monstre revenu à la vie reprit sa progression, venant lentement vers Bill. Celui-ci se souvint alors des paroles de la sorcière : "… on ne peut les tuer car ils renaissent. Il faut les changer en pierre, en pierre,…". Il regarda désespérément autour de lui sur le sol et il crut reconnaître son P.D.N. à deux mètres devant lui. Il se trouvait juste à égale distance entre lui et son adversaire. Bill plongea, sans penser à la caillasse qui hérissait le sol, sans penser à la douleur. Il saisit le pistolet, se retourna sur le dos. Le géant était sur lui. Il pressa la détente.

 

Pendant ce temps, Bob poursuivait son exploration. Il n'avait encore rien découvert. Il avait bien entendu les quelques bruits amortis de la lutte qui opposait Bill au géant, mais il ne s'inquiétait pas trop pour son ami, le sachant de taille à se défendre. Il avait préféré avancer ses recherches car il fallait à tout prix découvrir cette entrée, surtout que loin à l'est, il lui semblait bien que le ciel pâlissait déjà, même si ici, entre les murs, il régnait encore une obscurité conséquente bien que légèrement moins dense. Il arrivait à cette sorte de cour intérieure. Au centre, il distinguait mieux la silhouette noire de l'arbre. Un petit mur circulaire entourait son pied. Il s'approcha.

 

Bill se releva. La brute, figée pour l'éternité, le regardait de ses yeux qui ne voyaient plus rien. Cette fois, l'Écossais lui mit une petite tape sur le ventre avant de s'éloigner. En marchant, il repensa à la petite vieille et murmura : "Merci, ma sorcière bien aimée…". Levant la tête, il porta sa main à ses lèvres et envoya un baiser dans l'espace. Alors, il crut entendre un petit rire cristallin moqueur. Il en fut tout ragaillardi.

 

*** Note de l'auteur-4. Un amour de Troll… Pour changer un peu des héroïnes super balancées, super belles, super tout ce que l'on veut des aventures de Bob Morane, j'ai pensé à la vieille sorcière super… sympa.

 

Mains en appui sur le bord du petit mur, Bob se pencha en avant. Sa surprise fut grande car il ne s'attendait pas à cela. L'arbre n'était pas planté dans la terre du sol mais montait d'un abîme profond. Ce mur se révélait être la margelle d'un puits dont il ne pouvait déterminer le fond et dans lequel se perdait le tronc de ce frêne. Il comprit, car il connaissait quand même un peu l'essentiel de la mythologie nordique.

"Yggdrasil, l'Arbre du Monde", murmura-t-il sans trop y croire quand même.

"Yggdrasil, le pivot central des mondes nordiques, autour duquel se réunissaient les dieux…Clairembart ne nous en a pas parlé. Sûrement n'en connaissait-il pas la présence ?", poursuivit-il pour lui-même.

Il essayait de distinguer les entrailles insondables de ce gouffre et lui venait aux narines une odeur fétide qui montait des profondeurs, comme une haleine putride exhalée par la gorge de quelque autre monstre souterrain.

" Les légendes nordiques disaient que le serpent Nidhogg, vivait sous les racines de cet arbre et essayait sans répit de le ronger", se souvint-il.

Bob Morane avait allumé sa lampe et en projetait la lumière vers le bas, mais il ne voyait rien de plus. Soudain, comme arrachée par une force surnaturelle, la torche s'échappa de ses doigts et plongea vers ce néant. Longtemps il en vit l'éclat tournoyant dans le vide. Il descendait, descendait, sans fin. S'amenuisant jusqu'à ne devenir qu'un infime point lumineux qui bientôt disparut, éteint par la distance. Mais jamais ne remonta le bruit du choc de la lampe sur le fond.

Perplexe, Morane se redressa. Un léger bruit s'éleva dans son dos et il n'avait plus de lampe. Il leva son pistolet et se retourna. Au coin du mur, partiellement cachée, une ombre massive semblait hésiter, puis elle s'avança d'un coup. Bob n'hésita pas, il pressa la détente de son arme.

 

Bill n'avait plus fait de mauvaise rencontre et il explora rapidement son côté de la bâtisse. Un léger bruit attira son attention. Cela venait de derrière ce mur. Il progressa souplement sur la pointe des pieds. Cette fois, il ne se ferait plus surprendre. Il arriva au coin, hésita puis se décida. Il avança, son arme pointée. Dès qu'il repéra la silhouette sombre là-bas, qui se cachait sous le noir de l'arbre, il tira.

 

A cet instant, un double cri retentit :

-      Bill !

-      Commandant !

 

Mais, il était trop tard. Ils s'étaient reconnus et rendus compte de leur méprise à l'ultime instant, alors que leur cerveau avait déjà envoyé son ordre aux muscles. Nul ne pouvait retenir l'influx nerveux qui courait dans leurs nerfs. Les doigts crispés pressaient les détentes et les rayons pétrifiants se croisèrent et frappèrent l'ami, le frère…

Rapidement, le froid de la pierre les envahit. Tout s'éteignit devant leurs yeux et ils basculèrent dans la nuit noire du néant.

 

*** Note de l'auteur-5. Finalement, n'est-ce pas la meilleure fin pour nos deux héros ? J'entends déjà vos jérémiades, manifestation de votre déception et de votre mécontentement. En fait, cette fin fut l'idée principale de départ de cette nouvelle, avec l'épilogue qui va suivre. Ils ont donc échoués dans leur mission. Il vous reste à lire l'épilogue de cette histoire, car il faut bien que vous sachiez à quoi tout cela rimait ??? Allez donc voir après l'image suivante…

 

 

 

Épilogue

 

Sur le bureau de Bob Morane, quai Voltaire à Paris, un ordinateur était posé. Sur l'écran noir, une fenêtre venait de s'allumer. Une figure rubiconde qui occupait presque la totalité du cadre apparut. La déception se lisait sur le visage, surmonté de sa légendaire tignasse rousse, de Bill Ballantine. Tout en tripotant l'objectif de sa webcam, pour en élargir le champ, il dit :

-      Ah, ça, commandant, j'y comprends rien et puis, j'vous vois plus…

Bob Morane, vêtu de sa robe de chambre, et confortablement assis dans son grand fauteuil en cuir, se pencha sur le clavier posé devant le moniteur. Il pianota rapidement sur plusieurs touches, pressa la touche entrée ; une autre fenêtre s'ouvrit à côté de la première. Il entendit :

-      Ah ! Ça y est, j'vous vois, maintenant !

-      Moi aussi, mon vieux Bill. Nous voilà de nouveau connectés.

-      J'y comprends rien, à chaque fois, non seulement le programme se plante, mais la liaison se coupe et puis tout s'arrête et disjoncte…

 

La voix de l'Écossais résonnait dans les haut-parleurs de Bob. On percevait bien sa colère. Il poursuivit :

-      C'est à rien y comprendre. Z'avez vu, à chaque fois, ça se termine comme ça, et ça ne me plaît vraiment pas. Doit y avoir un sacré bug dans ce programme. Votre ami Lormand, m'a pas l'air si balèze que ça en informatique, contrairement à ce que vous dites.

-      Allons, ne soit pas mauvaise langue, Bill. J'ai longuement parlé avec lui et il m'a assuré que jamais, durant tous les tests effectués par lui et ses collègues, ce phénomène n'était apparu. Il l'a même fait tester par des spécialistes des jeux vidéo. Tout fonctionnait parfaitement. Tu entends, Bill : PARFAITEMENT ! Il n'y a qu'avec nous, quand nous jouons tous les deux, que nous finissons ainsi. De toute façon, rien ne sert de se mettre martel en tête, après tout, ce n'est qu'un jeu !

-      Un jeu, oui, un jeu ! On se descend mutuellement et vous appelez ça un jeu, vous !

-      Nous devons certainement mal nous y prendre, oublier quelque chose, un détail pendant notre approche de la forteresse, je ne sais pas, moi…

-      Mais, commandant, quoi que l'on fasse, ça se termine toujours comme ça : on se tire mutuellement dessus, on se statufie, on se pétrifie. Et, en plus, échec sur toute la ligne pour ce qui concerne la mission. J'crois que nous n'avons jamais été aussi mauvais que sur ce coup-là.

 

Paul Lormand, un Suisse que les deux amis avaient connu lors d'une aventure mouvementée, était un expert en informatique [2]. Il avait collaboré un moment avec Ming qui l'avait abusé avec ses belles paroles sur l'état du monde, mais au contact du Mongol, le jeune homme avait développé ses connaissances dans beaucoup de domaines. C'est en grande partie grâce aux actes courageux de Lormand que l'histoire, dans les Alpes suisses, s'était relativement bien terminée. C'est lui qui avait conçu ce jeu, dont Bob et Bill étaient les héros. Basé sur les légendes nordiques et sur les Ases, mais avec une implication dans notre monde moderne, la partie se jouait normalement en réseau et chacun des participants prenait l'identité de l'un des personnages du jeu.

Bob et Bill, depuis plus d'une semaine, l'expérimentaient à leur tour, jouant leur propre rôle, jusqu'à très tard dans la nuit, reliés par Internet. Aujourd'hui, il était déjà plus de deux heures du matin. Comme à chaque fois, ils n'avaient pas vu passer le temps. Et autour du puits d'Yggdrasil, comme huit fois déjà, ils s'étaient tirés dessus. Ensuite, c'était le trou noir, les ordinateurs plantaient, comme si brusquement la fiction et la réalité quelque part interféraient.

-      Bill, plus j'y pense, plus je me dis que, dans le contexte de ce jeu, cela ne peut-être autrement.

-      Comment ça ? Croyez pas plutôt à un nouveau tour de Ming qui ainsi se vengerait de n'avoir jamais pu nous réduire à néant ?

-      Mais non, écoute ! Lors de notre exploration des ruines, lorsque, chacun de notre côté, nous entendons le petit bruit qui nous alerte, nous imaginons que ce bruit est produit par un ennemi. Comme nous n'avons pas le temps de vérifier qui est l'individu qui va apparaître, surtout que nous ne l'apercevons qu'à peine, toi et moi sommes obligés de tirer rapidement, par réflexe, sur cette ombre noire aux contours imprécis qui vient de surgir en face de lui. C'est notre instinct de survie qui guide notre geste. Et quand je dis : "toi et moi", je parle, bien entendu de nous qui tenons les manettes, nous, en chair et en os, qui savons à priori que celui qu'il aperçoit sur l'écran est son ami. C'est le côté diabolique de ce jeu, car si par extraordinaire l'un de nous ne tirait pas, c'est sûr que le programme ferait apparaître en face de lui un géant ou un monstre quelconque, qui cette fois, risquerait de ne pas le rater. C'est une sorte de fatalité… On sait cela, nous en sommes presque sûrs, certains même, mais nous tirons quand même…

-      Fatalité, fatalité, peut-être ! Mais cela ne me plaît pas que vous et moi finissions ainsi…

-      La fatalité, n'est-ce pas cela qui régit le monde, alors pourquoi n'interviendrait-elle pas dans un jeu vidéo…Pourquoi, à un certain moment, n'imposerait-elle pas sa loi aux neurones électroniques de l'ordinateur, ces petites puces qui paraît-il ne savent dire que "oui" ou "non", prendre une valeur 1 ou 0, s'afficher en tout noir ou en tout blanc, bref, ne posséder qu'un misérable langage binaire. La fatalité change les règles du jeu au moment crucial, apporte un peu de fantaisie dans un univers froid aux règles bien établies. Finalement, ce n'est pas pour me déplaire…

-      Fatalitas, disait Chéri-Bibi…murmura, Bill. Puis : n'empêche, devrait quand même revoir son programme, l'ami Paul !

A cet instant, que ce soit en Écosse ou à Paris, il passa dans les haut-parleurs comme un petit rire clair, cristallin. Les deux amis se regardèrent, par caméras et écrans interposés, doutant de leurs sens, puis ils éclatèrent de rire. Un rire qui dura puis qui s'estompa graduellement les laissant ensuite silencieux un bon moment, encore sous le coup de leur échec et réfléchissant au sens des paroles prononcées par Morane.

 

C'est Bill qui levant la tête, regardant sa caméra, demanda :

-      Dites, commandant, z'en avez pas un peu marre de ces trucs électroniques, du web, de la pollution, des factures, bref de cette vie de dingue ? Ça vous dirait de partir, loin, dans un coin tranquille avec juste ce qu'il faut pour survivre ?

-      Un retour aux sources en quelque sorte, répondit Morane.

-      Ouais, et j'vous promets, j'emporterai pas une goutte de Zat 77.

 

Une nouvelle fois, ils éclatèrent de rire et cette fois leur hilarité dura bien après qu'ils eurent éteint leurs ordinateurs.

 

 

 

                       

FIN

 

 

Serge ALLEMANDJanvier 2007


ANNEXES

 

 

 

1- Le crépuscule des dieux. (Explications prises sur Internet)

 

A la fin des Temps, comme les runes l'avaient annoncé, s'engage le grand affrontement des géants et des dieux. La cohorte innombrable des jotuns et des monstres envahit le Valhöll tandis que Heimdall, guetteur de l'Arc-en-Ciel, souffle dans sa corne Giallar et lance les dieux au combat du Ragnarok.

Le loup Fenrir avance, ouvrant une gueule énorme, crachant des flammes. Le serpent du Midgard vomit des torrents de venin qui empoisonnent l'air. Loki commande la horde maléfique des bêtes sombres de l'abîme et Rymer mène les géants surexcités du Pays du Givre.

Le ciel devient fournaise. Les rochers éclatent. La terre se crevasse. Surt "au souffle brûlant", chef des géants du Feu, embrase le pont Bifrost, qui s'écroule avec fracas. La mer déborde, emportant les humains. Des éclairs livides déchirent la nuée. La foudre tombe sur les colonnes qui soutiennent la voûte céleste.

Odin, protégé par une cuirasse étincelante, coiffé d'un casque d'or et montant son cheval Sleippnir, donne le signal de l'attaque. Mêlée confuse où les épées et les massues se heurtent.

Odin, maître des dieux, périt le premier, dévoré par le loup Fenrir. Vidar le Silencieux venge aussitôt son père en arrachant la tête du monstre. Loki et Heimdall s'entre-tuent. A l'issue d'un corps à corps impitoyable, Thor écrase sous son marteau Mjollnir, son ennemi de toujours : Jormungand le serpent du Midgard, mais il a trop respiré son haleine vénéneuse et tombe mort au bout du neuvième pas. Tyr et le chien Garmar, gardien du pays des Morts, succombent dans un farouche embrassement. Freyr, le dieu de lumière, périt sous les coups de Surt.

Ainsi meurent les géants et les dieux. Et avec eux l'espèce humaine, balayée par les cataclysmes...

Le vieil ordre des choses disparaît, mais tout n'est pas fini. Du néant, un jeune monde, une terre neuve, un ciel régénéré vont naître.

"La verdure couvrira les champs, dit le poème de l'Edda, et le blé poussera, sans qu'il y ait de semences."

Des dieux nouveaux prennent la place des anciens. Baldr le Juste, ressuscité, préside avec bienveillance un nouveau Conseil où siègent les dieux pacifiques, Hödr, Vidar et Vali, autres fils d'Odin, auxquels se joignent Modi et Magui, fils de Thor.

Sur la Terre , un homme et une femme, Lif et Lifthraser, nés de germes éclos à l'intérieur du frêne sacré Yggdrasil, se nourrissent de la rosée du matin et donnent vie à une nombreuse descendance, porteuse d'espérance.

Un soleil plus brillant que l'ancien se lève au-dessus du palais d'or de Baldr, construit sur la montagne d'Ida.

Les peuples heureux prospèrent dans des demeures agréables, bâties autour de Gimle, la province du Ciel.

Au crépuscule des dieux, à l'épouvante, aux ténèbres et à la mort, succède un avenir doré de paix et de joie."

 

2- La représentation de l'univers selon la mythologie nordique. (Source Internet)

                                                                                    



[1] Voir "Le crépuscule des dieux" dans l'annexe

[2] Voir "Les fils d'Orion" du même auteur.

REMERCIEMENTS.

 

A Henri VERNES pour avoir créé le personnage de Bob Morane.

A Jacques ANTOINE (Caoa54), pour sa correction et son invention de la carte du futur.

A Gilles DUBUS (TwinCobra), pour sa correction et ses suggestions.

A Serge PAQUOT, pour ses dessins.

A Dan KELBERT, pour la mise en couleurs des dessins.