L'énigme de la dame blanche
                                  
( Stéphan Lewis )



                                                                                       Extrait de l'histoire :



 

12 juin 2002 ...

Il est un peu plus de vingt deux heures ...

Un sexagénaire à l’aspect distingué reflétant visiblement le flegme britannique, roule tranquillement pleins feux au volant de sa Jaguar E sous un ciel piqueté d’une myriade d’étoiles vers Lavelanet, petite commune de l’Ariège, région Midi-Pyrénées du sud de la France.

Il vient de dépasser la bretelle de Foix et il ne lui reste qu’une dizaine de kilomètres à parcourir. D’un geste machinal, notre homme allume la radio et prête une oreille distraite aux nouvelles condensées, que donne une speakerine à la voix agréable. La nuit est lumineuse, l’air tiède et malsain.
Le véhicule vient de négocier un virage serré, lorsque dans le faisceau de ses projecteurs le chauffeur distingue une forme blanche plantée au milieu de la chaussée à moins d’une cinquantaine de mètres de distance.
Surpris, il décélère jusqu’à stopper à hauteur d’une jeune fille toute de blanc vêtue

Il fait aussitôt coulisser sa vitre...

- Bonsoir mademoiselle ... Vous allez vous faire renverser ! Que faites-vous donc par ici à pareille heure ?... s’étonne ce dernier en s’exprimant avec un léger accent anglo-saxon.

- Je me rends à Lavelanet... Pouvez-vous m’emmener enville ? C’est là que j’habite... indique la jeune personne d’une voix sourde et mécanique, dont le visage reflète une pâleur des plus singulières.

Avec un léger haussement d’épaules, le conducteur lui retourne un sourire pincé, mais indulgent.
Il s'incline pour lui ouvrir galamment la portière et l’invite à s’installer sur le siège avant. Puis le véhicule poursuit aussitôt sa route...

Chemin faisant, notre homme détaille furtivement sa passagère à la dérobée, d’un œil réservé et discret par-dessus ses petites lunettes qu’il porte sur le bout du nez ... 19-20 ans.
Vêtue d’une robe blanche très années 60. Plutôt agréable à regarder, bien que curieusement pâlotte et ... peu bavarde, ne soufflant même le moindre mot ; l’autoradio qui diffuse un programme de musique légère meublant à lui seul cette morne atmosphère.

Le chauffeur fait encore quelques tentatives pour nouer conversation, mais ses efforts demeurent toutefois infructueux, sa passagère ayant adopté une passivité quasi alarmante. Elle demeure inexplicablement silencieuse et immobile, un peu raide sur son siège, étrangement indifférente à tout ce qui l’entoure, presque absente.

Ils roulent depuis maintenant une dizaine de minutes. Un silence gênant, presque pesant règne à bord, lorsqu’une pluie tiède et pénétrante se met soudainement à tomber avec une extrême violence.
De grosses gouttes s’écrasent sur le pare-brise, alors que la  berline vient de dépasser le panneau signalant leur destination.

La pluie s'abat en un véritable déluge, comme si une main géante avait ouvert un titanesque robinet. Une bourrasque souffle même soudainement sur la commune, tandis que la Jaguar emprunte la rue principale de la commune totalement désertée, éclairée succinctement par quelques enseignes au néon restées allumées. 

La jeune fille désigne bientôt une habitation à peine distincte, perdue au fond d’un grand parc.

- C’est ici que j’habite... indique-t-elle d’une voix plutôt froide en remuant à peine les lèvres.

N'y accordant aucune attention particulière, le conducteur lui propose courtoisement son imperméable, le temps pour sa passagère occasionnelle d’aller quérir un parapluie afin d’être en mesure de lui restituer son bien.

Sans la moindre formule de remerciement pour son bienfaiteur, elle a jeté le vêtement de pluie sur ses frêles épaules avant de se diriger d’un pas lent vers le lourd portail qui s’est ouvert en grinçant sinistrement. Puis, elle s'est fondue dans la nuit.

Son moteur tournant au ralenti et après avoir essuyé la buée qui se déposait sur la vitre d’un revers de la main, le chauffeur enfonce une allumette craquante dans le fourneau de son brûle-gueule. Il décide de patienter en écoutant distraitement la radio, sous l’égrenage incessant des va-et-vient monotones de ses balais d’essuie-glace qui se sont emballés pour chasser le voile hydrique ruisselant en continu sur le pare-brise.

La rue est à présent balayée par des trombes d’eau qui se déversent sur la bourgade prise au sein d’un violent orage.

Dix minutes se passent au cœur d’un silence seulement troublé par les battements de la pluie torrentielle qui a redoublé d’intensité, sans que la jeune fille n’ait refait son apparition.

Après avoir réprimé un mouvement d’impatience assorti d’un soupir de lassitude, le conducteur s'est rangé prudemment sur le côté de la chaussée contre la bordure du trottoir, avant de couper les gaz et d'éteindre ses phares.
Puis, il relève frileusement le col de son veston pour se ruer, la tête rentrée dans les épaules, sous la pluie battante et le vent qui souffle en rafales, en direction du portail resté entrouvert.

Il traverse à présent le parc d’un pas pressé en frissonnant dans la nuit froide. Après avoir gravi les quelques marches menant au perron de l’habitation, il a trouvé refuge sous le porche protecteur de la porte d’entrée.

Un léger trait de lumière filtre à travers les volets de l’une des grandes baies vitrées. Avec un geste d’humeur, il s’éponge succinctement le visage, chasse nerveusement une mèche rebelle collée sur son front partiellement dégarni et essuie précautionneusement les verres de ses binocles. Sa redingote ruisselle de pluie, aussi se décide-t-il sans plus attendre et au risque qu’on le prenne pour un importun, à utiliser la sonnette ...

- Quel toupet !... murmure-t-il entre les dents... La jeunesse d’aujourd’hui est d’une ingratitude !

Le parc vient de s’illuminer, dévoilant ses pelouses verdoyantes et les massifs fleuris qui le tapissent…
Mais la porte s'entrouve craintivement sur un homme âgé et squelettique, au faciès en lame de couteau et aux cheveux blancs. Il porte un vêtement d’intérieur. La mine étonnée et méfiante qu’il affiche ne surprend pas outre mesure son visiteur, étant donné l’heure avancée de la nuit.

- Cher monsieur, pardonnez mon intrusion à cette heure tardive ... s’excuse ce dernier sur un ton empressé en prenant un air navré assorti d’un sourire gaufré... J’aurais souhaité récupérer la gabardine que j’ai prêtée il y a un quart d’heure à la jeune personne que je viens de déposer.

Le vieil homme le dévisage d’un air interloqué à l’instant où surgit à sontour une femme d’un âge avancé, certainementl’épouse venue à la rescousse. Elle lui retourne elle aussi un regard sans équivoque, empreint d’une évidente suspicion.

- Il n’y a aucune jeune personne ici... rétorque le vieillard d’une voix sèche et courroucée, visiblement sur ses gardes... Vous devez vous tromper d’adresse monsieur. Il y a assurément erreur... ajoute-t-il d’un air farouche en ébauchant même un geste d’indifférence, voire de mauvaise humeur.

Poussée par une main rageuse, la porte a claqué au nez de ce visiteur visiblement indésirable.

L’attitude du maître de maison, aussi inconvenante qu’inattendue, a pour conséquence d’exaspérer notre homme, lui faisant même perdre une bonne partie de son flegme naturel. Après avoir haussé les sourcils et s’être difficilement contenu, il ne renonce pas pour autant, mais fait aussitôt une seconde tentative avec un air déterminé

Et la sonnette tinte une nouvelle fois...

La porte s’est de nouveau ouverte sur le maître de maison, visiblement agacé. Son visage est empourpré du rouge d’une colère naissante et reflète à présent la mauvaise humeur. Sa voix se hausse même au diapason de l’exaspération ...

- Que voulez-vous enfin monsieur ! ... Permettez-moi de vous faire remarquer que votre insistance s’avère des plus déplacées ! Allez-vous continuer encore longtemps cette plaisanterie de mauvais goût ?... fulmine-t-il, exaspéré, saisi d’un énervement manifestement incontrôlable.

L’autre paraît littéralement secoué par la surprise...

- Calmez-vous mon ami ! Je m’excuse encore une fois de devoir vous importunerde la sorte et je conçois parfaitement l’incongruité de ma visite à pareille heure.
Mais j’ai cru faire plaisir à cette jeune personne qui errait sur la route en la ramenant chez elle. Avec ce fichu temps, je lui ai même prêté mon imperméable. Et voici le résultat !... argumente ce dernier en se passant une main agitée sur ses vêtements mouillés.

- J’habite seul ici avec mon épouse... s’emporte maintenant le vieil homme sur un ton irrité et peu amène, assorti d’une agressivité à peine masquée... Vous n’allez quand même pas nous rejouer cette comédie à tour de rôle !

- Que voulez-vous dire ?

- Ne faites donc pas l’innocent ! Il y a plus d’un mois que cette mauvaise farce persiste ! ... Et à chaque fois qu’il pleut !... indique-t-il avec âcreté, la moue exaspérée, en tendant un doigt accusateur en direction de celui qu’il considère certainement comme un plaisantin de mauvais goût, flanqué d’un importun personnage.

- Mais ... Je vous assure que je ne comprends pas !

- Bon ... Je veux bien vous croire... admet enfin le vieillard d’une voix soudain déconfite, assortie d’un soupir d’énervement... Vous êtes peut-être sincère après tout.
Mais rendez-vous compte ! Vous êtes la quatrième personne à nous réclamer soit un parapluie, soit un ciré, ou encore un imperméable prêtés à je ne sais quelle jeune personne censée habiter cette demeure !

Devant l’air ahuri affiché par son interlocuteur de passage, le maître de maison paraît cette fois perplexe. Sa lèvres’est gonflée en une moue d’ennui. Il semble tout à coup enclin à demeilleures intentions.
Le ton employé s’est même subitement radouci ...

- Bon... Entrez ... Nous serons mieux à l’intérieur ... Quel temps de chien ! Et cette maudite bourrasque ! Pardonnez mon emportement, mais nous sommes sur les nerfs. Si cette plaisanterie au demeurant stupide persiste, nous finirons par aller déposer une plainte au commissariat.

- Je vous certifie pourtant avoir vu cette jeune personne s’introduire dans votre propriété et je puis vous assurer qu’elle n’en est pas ressortie. Je suis formel... insiste le visiteur.

- Nous ne comprenons rien à cette comédie... confie à présent l’homme d’une voix crispée, visiblement au comble de la contrariété... Et je vous garantis que personne, à part vous, n’est entré ici ce soir.

Ils sont à présent dans le couloir. Le visiteur a croisé le regard hostile de la femme qui, sans la moindre indiscrétion, a retourné un œil désapprobateur envers son époux, lui signifiant certainement par là qu’il avait eu tort d’ouvrir leur demeure à cet étranger dont elle désapprouve visiblement la présence, la jugeant même manifestement désobligeante.

- Permettez au moins que je me présente... suggère toutefois ce dernier, plutôt confus, en lui adressant un sourire contraint, conscient de jouer ici et involontairement le rôle de l’intrus, de l’indésirable...
Je suis le professeur Joseph Winter. Je reviens d’un congrès qui s’est déroulé à Perpignan et ...

- Le professeur Winter ! Le célèbre archéologue ! J’aurais dû vous reconnaître ! On parle si souvent de vous à la télévision et dans les journaux... s’enthousiasme subitement le mari d’une voix confuse, la mine soudain penaude... Vous êtes Britannique n’est-ce-pas ? Mais vous possédez une propriété près d’ici.
A Montségur, si je ne m’abuse ?... et le vieil homme semble à présent ne plus vouloir tarir d’éloges sur son visiteur.

- J’étais justement en route pour regagner mes pénates... précise ce dernier avec un sourire discret, à la fois soulagé et visiblement satisfait de la notoriété dont il semble jouir en ces lieux.

- Excusez-nous professeur, mais depuis quelque temps, nous sommes devenus méfiants... s'empresse de bredouiller à son tour la femme, au terme d'un silence gêné...
Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune homme d’une vingtaine d’années peut-être, plutôt vulgaire d’ailleurs, nous a dérangés à peu près à la même heure pour nous conter à peu de chose près les mêmes faits, alors qu’il faisait également un temps épouvantable. Il prétendait lui aussi avoir raccompagné une jeune femme jusqu’à la grille du parc et lui avoir prêté son parapluie. Cette jeune personne l’aurait aussi prié d’attendre qu’elle revienne avec le sien pour lui restituer son bien.

- C’est étrange ... vous me dites que les conditions climatiques étaient identiques à cette nuit... relève Winter, perplexe.

- Je vous prépare une tasse de thé professeur. Cela aidera peut-être à vous faire oublier notre emportement... propose cette fois la femme, devenue soudainement prévenante, invitant même son visiteur à pénétrer dans la salle à manger avec un geste d’insistance.

Winter consulte rapidement son bracelet-montre...

- Vous êtes très aimable chère madame ?...  observe-t-il en esquissant un sourire d’amabilité, butant volontairement sur le patronyme.

- Devaux ... Monsieur et madame Devaux... se hâte de préciser le mari.

- Je vous remercie de votre obligeance madame Devaux, mais j’ai déjà perdu un temps précieux et vous m’en voyez sincèrement navré. Je ne puis m’attarder davantage ... Tant pis pour ma gabardine.
Il faut croire que cette jeune personne qui vous joue cette farce collectionne, à votre insu, les vêtements et les accessoires de pluie... présume Winter avec un sourire contraint... N’excluons toutefois pas la possibilité d’une plaisanterie d’un goût dirons-nous ... douteux. Mais enfin ...

Sans autre commentaire, il s’est déjà hâté vers la sortie, lorsqu’il jette un œil oblique et distrait sur le bahut de la salle à manger … Il n’a pu retenir un tressaillement, tandis que son regard accroche et s’attarde sur l’une des photos encadrées qui garnissent le buffet.
Fronçant les sourcils dans un tic qui lui est familier, il a marqué un temps d’arrêt. Ses hôtes de circonstance, sans comprendre, ont à leur tout dirigé leurs regards dans la même direction, sans cependant interpréter la réaction étrange du professeur.

- La jeune fille, sur cette photo !... s’étonne ce dernier en se penchant sur le portrait.

L'ombre d'une profonde tristesse est passée dans les yeux gris du vieil homme et son visage s’est subitement creusé.

- C’est notre petite Sarah... murmure-t-il, en étouffant un soupir haché.

- Elle nous a quittés il y aura bientôt trente ans ... Elle est décédée dans un accident de la circulation... complète la femme d’une voix rendue rauque par l’émotion, détournant presque aussitôt son regard...
Elle venait d’avoir ses vingt ans. Elle repose dans le petit cimetière, près de notre maison.

Cette fois, le professeur a haussé les sourcils ... Sans en demander l’autorisation, il s’est emparé du cadre renfermant la photographie qui représente une jeune fille au sourire moqueur et insouciant, assise en amazone sur une moto.

- Ou votre fille a une sœur jumelle, ou... extrapole-t-il en hésitant, détaillant les Devaux d’un œil indiscret par-dessus ses binocles.

Les intéressés ont échangé des regards interdits et Paul Devaux considère tout à coup Winter d’un air interloqué.

- Nous n’avons eu que cette enfant... murmure-t-il, la lèvre inférieure légèrement tremblante en exhalant un nouveau soupir.

- Que voulez-vous dire professeur ?... s’étonne à son tour l’épouse.

Un embarras marqué s'est dessiné sur le visage de Winter qui examine à présent la photographie avec une attention soutenue.

- Cela va certainement vous paraître absurde, mais la personne qui se trouvait   tout à l’heure dans ma voiture ressemble à s’y méprendre à votre fille... finit-il par avouer avec une moue de tergiversation.

La femme a pâli. Son époux a sursauté. Ils échangent maintenant tous deux des regards effarés.

- C’est impossible... objecte ce dernier d’une voix étranglée et mal assurée... Vous avez... tente-t-il d’ajouter sans cependant pouvoir terminer sa phrase, ses yeux gris semblant implorer une explication.

Le désarroi s’est manifestement emparé du couple, visiblement paralysé par l’émotion.
Le coup a été rude et difficilement encaissable, accentuant l’embarras du professeur. Celui-ci se trouve à présent dans la plus totale expectative, regrettant amèrement d’avoir ainsi jeté le trouble dans la demeure pour avoir remué involontairement des souvenirs depuis longtemps enfouis et par trop pénibles à évoquer.

- J’avoue toutefois qu’avec l’obscurité... argumente-t-il alors gauchement avec une maladresse quasi étudiée, conscient de cette équivoque et tentant à présent de se reprendre avec un frisson de regret dans la voix... Et puis, il est vrai que cette jeune personne est restée de marbre durant le trajet. Nous n’avons échangé que quelques brèves banalités ...
Après tout, j’ai très bien pu me tromper ... Et si vous me dites qu’elle était votre unique enfant ... Pardonnez mon erreur... finit-il par bredouiller, visiblement contrarié de s’être fourré dans une situation aussi délicate.
Puis, après un ultime instant d’hésitation... Il est temps que je reprenne la route... argumente-t-il en toussotant... Fort heureusement, il ne me reste qu’une douzaine de kilomètres d’ici Montségur. Ravi d’avoir fait votre connaissance... ajoute-t-il en esquissant un sourire gêné, saluant ses hôtes occasionnels d’une main tendue, masquant maladroitement sa déconvenue.
Puis, sans plus se faire prier, il s’est dirigé vers la sortie, suivi du couple qui semble à présent agir à la façon de deux automates, absent et le regard lointain, vide de toute expression.

Trempé de la tête aux pieds, le professeur Winter a repris place au volant de sa Jaguar. La mine dubitative, son regard erre d’abord au hasard, épiant les alentours de la propriété. Puis, il détaille les environs avec une attention soutenue, guettant l’hypothétique apparition de la mystérieuse et audacieuse jeune fille. Mais l’endroit reste désert.

Plus qu’à son tour partie prenante pour les intrigues et dévoré par une curiosité quasi pathologique, une étrange intuition vient de lui traverser l’esprit ...

Les époux Devaux lui ont bien précisé que leur fille était enterrée dans le petit cimetière contigu à leur habitation ! Celui-ci doit donc se trouver dans le voisinage.

Il se gratte pensivement la nuque, la mine réfléchie, étouffant trois ou quatre bâillements.
Puis, avec des gestes lents trahissant sa perplexité, il a allumé sa courte pipe et contemple durant un instant les volutes de fumée bleue qui s’étirent paresseusement vers le plafonnier, en tapotant machinalement le cuir de son volant. Notre homme est visiblement intrigué, hésitant encore sur la décision à prendre, mais qui maintenant s’impose malgré l’heure avancée ... Dehors, la pluie a cessé de tomber ... Après une dernière hésitation et bien qu’il ne soit pas loin de vingt trois heures, son sens inné de la curiosité finit par prendre le dessus. Aussi se décide-t-il brusquement à en avoir le cœur net. Après avoir emprunté une lampe électrique dans le vide-poches, il abandonne une nouvelle fois son véhicule pour longer les murs du parc des Devaux.

Il n’a parcouru qu’une cinquantaine de mètres, qu’il est déjà rendu devant l’entrée du cimetière. Les grilles sont ouvertes, mais les lieux ne sont pas éclairés. La nuit est noire, épaisse et inquiétante, aussi se glisse-t-il comme une ombre dans l’allée menant aux tombes.

La silhouette sombre des arbres et la brise un peu forte qui agite les branches qui bruissent dans les ténèbres créent une atmosphère angoissante. On ne perçoit plus que le léger bruit de son pas qui crisse sur le gravier.
C’est le cœur battant la chamade, qu’il est arrivé en vue des premiers tombeaux.

Les pinceaux de sa lampe fouillent fébrilement l’obscurité. Impressionné par le silence et la solitude qui règnent dans l’endroit, il inspecte minutieusement chaque sépulture, à la recherche de celle portant le nom de Sarah Devaux … Mais il vient de tressaillir à l’approche d’un tombeau ... Il en reste même figé de saisissement ... Une boule d’angoisse lui bloque la gorge ...
Ce n’est pas le patronyme gravé sur la pierre qui en est responsable. C’est le vêtement de pluie qu’il vient de reconnaître pour être le sien et qui recouvre le caveau sur lequel il lit avec stupéfaction ... « Ici repose Sarah Devaux. »


extrait de :L'énigme de la Dame blanche  ( de Stephan LEWIS )

 

Sur la piste du Graal ( Stephan LEWIS )

‘’ L'Enigme de la Dame Blanche ‘’

 

CHAPITRE I

 

La planète Terre, si c’est bien elle, semble méconnaissable. La troisième guerre mondiale qui s'est déroulée en 2015, opposant la Russie aux Etats Unis d'Amérique et d'Europe, en a fait le témoin d'une gigantesque destruction et d'un anéantissement quasi total de l'espèce humaine.
Sa surface ne reflète plus qu'un monde apocalyptique, désormais hanté par des mutants ; exception faite des régions polaires de l'extrême Nord du Groenland, où quelques milliers d'êtres humains ont été miraculeusement épargnés.

17 août 2017 ... 10 h 16 ... ( deux ans plus tard ) -

Un ancien camp de prospecteurs américains proche d'un village esquimau, quelque part au milieu de ces glaciales contrées d'Arctique qui ont échappé à la catastrophe planétaire...

Dany Ballantine, un solide gaillard de 41 ans aux cheveux noirs taillés en brosse et aux yeux verts, de nationalité anglaise, et ingénieur en électronique de son état, est occupé à bavarder avec Roy Marteen.Leur conversation est subitement troublée par la diffusion d'un brouillard flou qui se manifeste à une vingtaine de mètres dans les airs, à proximité de l'endroit où ils se trouvent.

Presque aussitôt, une forme discoïdale d'apparence imprécise et vaporeuse, aux contours encore irréguliers et indistincts, finit par se matérialiser au milieu d’un sifflement de réacteurs d'avion. Un "bang" supersonique, semblable à un coup de canon, a retenti et se répercute en un chapelet d’échos durant un instant à plus de cent lieues à la ronde.

Un vaisseau galactique de la Patrouille Temporelle des Lunariens vient d'émerger de l'espace-temps.

Ballantine et Marteen, qui sont maintenant habitués aux fréquentes visites que leur rendent leurs amis Lunariens, ne s'en émeuvent pas autrement. Ces derniers sont d'origine terrienne et américaine.
Ils viennent du futur. De l'an 2210. Ils se déplacent dans le temps, que leur technologie a maintenant maîtrisé depuis longtemps. Leurs ancêtres, en prévision de l'affrontement qui menaçait de se dérouler entre les trois super puissances et des conséquences désastreuses qui ne manqueraient pas de s'en suivre, se sont installés sur l'astre lunaire entre 2010 et 2015, dans le plus grand secret. Ils y ont expédié, durant les cinq dernières années et avant le début de la troisième guerre mondiale, l'élite de leurs scientifiques, ainsi qu'un grand nombre de représentants de l'espèce humaine de toutes races, dont le choix portait essentiellement sur leurs compétences.

Le vaisseau, qui a stoppé ses réacteurs, repose sur la banquise et le sifflement s'atténue peu à peu.
Le sas s'est ouvert avec un petit bruit sec d'air comprimé et la rampe d’un escalier métallique est sortie de ses flancs pour se déplier automatiquement avant de toucher le sol glacé de la contrée.

Trois hommes en descendent les marches. Les deux premiers sont revêtus d'une combinaison bleue et un ceinturon de cuir noir dévoile le pistolet atomique qui pend dans son étui. Le troisième passager porte une tenue orange. Ils ont tous trois le sigle TP (*) imprimé sur la poitrine.

(* Time Patrol )

Ballantine et Marteen ont aussitôt reconnu le commandant Boivant, le responsable de la Patrouille du Temps, qui s'avance, son éternel sourire aux lèvres.

- Dany ! Roy! Comment allez-vous ? Comme je suis heureux de vous revoir !

- Quelle bonne surprise commandant !… se réjouit Ballantineen répondantau salut de l’homme du futur, serrant avec empressement la main qui lui est tendue, à l’instar de son compagnon… Comment se fait-il que ce soit vous qui vous déplaciez personnellement ! Ca fait un bout de temps !… ajoute-t-il sur un ton de reproche amusé.

- Que voulez-vous... déplore ce dernier, l'air navré assorti d’un geste d'impuissance... Je suis hélas trop pris avec nos voyages spatio-temporels. Et avec toutes ces responsabilités qui m'incombent !

- Je plaisantais commandant. Je suis vraiment heureux de vous voir... sourit Ballantine en lui donnant une tape amicale sur l'épaule.

- Et Peluche ! Comment va-t-il ?… s'enquiert aussitôt Boivant.

Celui qu'il vient de nommer est un robot des plus perfectionnés créé par les Lunariens et ayant l'apparence d'un grand singe. Sa taille frise les 2 m 50 et sa dénomination exacte est Z 24. L'amusant sobriquet dont il est affublé lui a été attribué par Ballantine, à qui il a été offert en reconnaissance de la réussite de la précédente mission que les hommes du futur lui avaient confiée.

- Les Esquimaux l'ont emmené chasser le phoque. Il n'a pas son pareil pour les traquer... indique ce dernier.

- Je n'en suis guère étonné. Avez-vous rencontré d'autres survivants depuis tout ce temps ?… ajoute Boivant, la mine grave.

- Hélas commandant. Notre monde est désormais un désert. C'est une planète morte que nous habitons. Mais ... ne me dites pas que vous êtes seulement venu jusqu'ici pour nous poser toutes ces questions ?

- En effet Dany. J'avoue que ma visite n'est pas tout à fait désintéressée... admet Boivant, l'air embarrassé… J'ai bien peur d'avoir une nouvelle fois recours à vos services… ajoute-t-il presque timidement, après un bref instant d’hésitation…
Vous n'ignorez pas que notre rôle se limite essentiellement à une mission de surveillance du passé comme du futur dans toute la galaxie. Nous ne pouvons intervenir directement pour changer ou modifier en quoi que ce soit le cours des événements qui se sont déroulés ou se dérouleront. Nos lois nous l'interdisent... rappelle-t-il comme pour se trouver bonne excuse à la requête qu'il ne devrait pas tarder à présenter.

Ce disant, Ballantine et Marteen ont entraîné le commandant vers le plus vaste des baraquements, qui leur sertà la fois de bar et de cantine ; tandis que les quelques prospecteurs qui se trouvent à l'intérieur se sont avancés pour saluer le nouvel arrivant.

Tous trois se sont accoudés au comptoir et la personne faisant office de barman du moment s’empresse de leur servir un whisky.

Ballantine après en avoir absorbé une gorgée, s’est tourné vers l'homme du futur.

- Je vous en prie commandant. Je vous écoute.

- Bien ... Voici ce qui m'amène. Comme vous le savez déjà Dany, la Patrouille Temporelle que j'ai l'honneur de commander a vu le jour en l'an 2208 de notre temps à nous les Lunariens, qui venons de l'an 2210.
Nos vaisseaux ont la possibilité de se déplacer dans l’espace comme dans le temps. Nous pouvons donc visiter l'époque que nous désirons et nous rematérialiser à l'endroit que nous avons choisi. Mais j’en viens rapidement à l'objet de nos préoccupations …

Comme vous allez le constater, il n'est pas des moindres... l’avertit déjà Boivant, après avoir trempé timidement ses lèvres dans son breuvage... Pour une raison indéterminée, une porte naturelle du continuum, directement en relation avec une autre dimension de l'espace-temps, vient de s'ouvrir sur la Terre dans votre passé. Le 3 juin 1999 pour être précis.
Cette date correspond, je vous le rappelle, à l'année de l'Antéchrist. Nous pensons à une distorsion spatio-temporelle. Cette fissure au niveau de votre trame temporelle qui a ouvert un passage sur un autre univers, va engendrer une réaction en chaîne de par les intervenants qui vont se manifester. Elle laisse le libre accès à des êtres indésirables qui risquent, comme nous le craignons, de modifier le cours des événements futurs ; voire même remettre l'existence des Lunariens en cause.

Ballantine et Marteen n'ont pas été sans remarquer le ton sur lequel le commandant a prononcé ces dernières paroles.

- Vous insinuez que votre nouvelle patrie, en quelque sorte, risquerait de ne jamais avoir vu le jour ?… réalise Ballantine, les sourcils en accents circonflexes.

- Affirmatif Dany. Vous comprenez mieux à présent notre légitime inquiétude. Cette porte naturelle de l'espace-temps s'est ouverte sur un univers parallèle. Un monde parasite, peuplé de créatures des plus étranges.
Nous sommes bienentendu allés explorer le passé. Il s’avère que ces entités auraient vécu sur Terre, avant d'être condamnées à errer pour l'éternité dans cette dimension où leurs âmes auraient été, depuis, emprisonnées.

- Vous voulez dire que ces ... êtres sont enquelque sorte décédés !… l’interrompt Marteen… Vous parlez de leurs âmes. Il s'agirait en somme d'un retour de l'au-delà !

- Le mystère reste entier à l'heure où nous en parlons... précise Boivant avec une grimace de contrariété... Ce dont nous sommes certains par contre, c'est le fait que nous allons avoir affaire à des moines cathares. Ils n'ont plus rien d'humain. Ils viennent d'une autre dimension de l'espace-temps. D’une région indéterminée de l’au-delà, où leurs âmes errent depuis qu'ils ont été traqués et massacrés par la Très Sainte Inquisition qui les a brûlés vifs sur le bûcher en 1244, au pied du château de Montségur.

- Comment peut-il se faire qu'ils puissent revenir sur Terre s'ils ont été massacrés depuis près de 800 ans !... s'effare Ballantine. Aurions-nous affaire à des morts vivants !

- Comme je vous le disais, le mystère reste entier. Leurs âmes se sont trouvées dotées d’un nouveau corps sans avoir dû pour cela passer par une gestation dans le sein maternel. Mais ils sont maintenant sous le joug de Satan. Leur aspect corporel actuel qu'ils conserveront sur la Terre est des plus terrifiants. Leur enveloppe physique qui sera la leur dans la nouvelle réalité, correspond certainement à celle qu'ils ont dans l'espace-temps où ils étaient jusque là retenus captifs.

- Mais en quoi ces êtres peuvent-ils représenter une menace aussi sérieuse ?… s’étonne de nouveau Ballantine, impatient d'en apprendre davantage.

- A présent qu'ils ont la possibilité de revenir sur Terre en empruntant ce couloir extra-temporel, nous sommes assurés qu'une menace pèse sur votre monde ainsi que sur le nôtre. Nous sommes formels Dany …
Ils reviennent pour modifier le cours du temps et surtout pour se venger de l'humanité.

- Se venger de l’humanité !… s’effare à son tour Marteen … Quelle en est la raison ! Et comment compteraient-ils s'y prendre ?

- Désireux d’en apprendre davantage, nous avons remonté le cours du temps jusqu’en l’an 1244.Nousavonspu assister à l'exécution de 215 de ces derniers Hérétiques, brûlés vifs sur le bûcher au pied du château de Montségur.
Ils furent exécutés en regard de leur doctrine, selon laquelle le monde matériel serait la création du démon et que le royaume du Dieu de bonté ne saurait se trouver sur la Terre. Ce serait Satan qui aurait obligé des Anges à s'incarner en hommes pour peupler la planète. D'où le rejet et la colère de l'église romaine, qui condamna leurs âmes à errer pour l'éternité dans une autre dimension.*

- Mais que rechercheraient-ils sur Terre en 1999 ! Et comment pourraient-ils remettre votre existence en cause ?... s’effare Ballantine, l’air ébahi.

- Profitant de cette faille extra-temporelle et afin de tenter d'échapper au néant auquel ils ont été condamnés pour l'éternité, il n'existe pour eux qu'un seul et unique remède à leur grande et profonde détresse : Retrouver le très précieux Graal.
La coupe du sang du Christ. Seule la possession de cet objet des plus sacrés leur permettrait de mettre un terme à la solitude à laquelle ils ont été condamnés depuis ces siècles et pour ceux à venir. Comme vous le savez, le Graal est censé donner un pouvoir sans limite à celui ou à ceux qui le détiendraient.
Et dans un esprit de revanche, ils se sont voués depuis, à Satan.

- Si ma mémoire ne me fait pas défaut, le Graal, d'après la légende, faisait partie du trésor des Cathares… souligne Ballantine, la mine réfléchie… Il était donc en leur possession avant leur fin tragique !

- Nous n’en sommes pas certains... grimace Boivant... Mais si vous le permettez, je vais reprendre les choses à leur début. C'est à dire à Montségur.

Construite au faîte d'une montagne, Montségur était une forteresse occupée par les moines cathares, secte religieuse prospère aux XII° et XIII° siècles mais qui, pour cause d'hérésie décrétée par Rome, fut donc persécutée et réduite par les armes en 1244. Vous allez voir, comme vous en avez d'ailleurs fait la remarque Dany, qu'il y aurait en effet de bonnes raisons pour associer le Graal aux Cathares.

Il est dit que, parmi les trésors entreposés à Montségur, figurait une riche coupe. Il n'est pas précisé que celle-ci possédait des vertus extraordinaires, mais elle était utilisée par la secte lors de fêtes mystiques. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le rituel de ces cérémonies ressemblait fort aux banquets célébrés par les Chevaliers d'Arthur, décrits dans les légendes du Graal. Cette coupe dont il est question, revêtait une valeur particulière pour les Cathares.

En effet, quelques jours seulement avant que Montségur ne soit encerclée par les catholiques, quelques moines dévalèrent, au péril de leur vie et en pleine nuit, l'à-pic de la montagne. La légende veut qu'ils emportèrent la précieuse coupe pour la dissimuler en un lieu secret, quelque part aux environs de la citadelle.

- Il se pourrait alors que le Graal se trouve toujours à Montségur… imagine aussitôt Ballantine, la mine réfléchie.

- Nous n'en sommes hélas pas persuadés… soupire Boivant…
Ce n’est qu’un mythe. Comme je vous le disais, le calice n’était peut-être plus en possession des hérétiques. Sa piste ne s'évanouit d’ailleurs pas aux pieds de Montségur. Elle rebondit pour rejoindre l'Ecosse et la tragique destinée des Templiers. Il faut savoir que de nombreux Chevaliers du Temple étaient originaires des domaines cathares du Languedoc. Leur sympathie à l'égard de la secte, et parfois même leur adhésion au mouvement cathare étaient notoires. Il reste donc dans le domaine du possible que la coupe ait été placée sous leur protection après la chute de Montségur.

- Au cas où ces moines, au demeurant ressuscités, réussiraient à mettre la main sur le Graal, que se passerait-il exactement ?… se soucie Ballantine.

Le commandant a tressailli et son visage a changé d’expression.

- Ils ne doivent en aucun cas s'emparer de cet objet sacré !... s'émeut-il aussitôt... En envisageant ce cas de figure, votre planète deviendrait le fief des démons de l'enfer. Seul le Graal a toujours évité aux humains une présence matérielle de Satan sur la Terre.
Si ces hérétiques parvenaient à leur fin, ce serait dans le seul but d’emporter la précieuse relique dans leur dimension, au sein de cet univers parallèle, afin d'assouvir leur vengeance vis à vis de la race humaine.
Plus rien alors ne pourrait s'opposer à la venue de Satan sur la Terre. Votre planète subirait un sort identique à celui qu'elle vient de connaître, mais plus tôt dans le temps. Votre civilisation ne serait pas anéantie en 2015 mais en 1999, l'année de l'Antéchrist, car de gigantesques cataclysmes dévasteraient le globe en peu de temps. Nos aïeuls n'auraient donc pas la possibilité de coloniser l'astre lunaire à partir de 2010. Ce qui signifie que nous, les Lunariens, n'existerions pas.

Marteen et Ballantine sont restés muets après les derniers propos tenus par l’homme du futur.

- Nous avons absolument besoin de votre aide Dany ! Pouvons-nous compter sur vous ?… s’empresse d’ajouter fébrilement Boivant.

- En douteriez-vous commandant ?... le rassure aussitôt notre ami en esquissant un sourire d’obligeance... Mais quel sera exactement mon rôle dans cette affaire ?.. ajoute-t-il, la mine attentive.

Un soulagement évident s'est aussitôt inscrit sur les traits de l’homme du futur.

- Votre mission, puisque vous l’acceptez et nous vous en sommes gré, consistera principalement à contrer ces entités.
Il vous faudra impérativement retrouver le Graal avant qu’ils ne se l’approprient et l’emportent dans leur univers.
Nous n’avons hélas que très peu d’indices quant à l’endroit où il a été dissimulé et nous vous donnons carte blanche pour mener votre enquête et agir en conséquence. Tous les moyens seront bons.
Mais il faut faire vite ! Cette porte de l'espace-temps qui communique entre ces deux dimensions, s'est ouverte dans le Midi de la France, à Montségur. Les Cathares vont d'ores et déjà chercher à se rendre sur les ruines de leur forteresse. Si vous êtes d'accord, vous partirez dès ce soir. Un vaisseau temporel sera mis à votre disposition.
Vous devrez effectuer un saut de 18 années dans le passé. Votre appareil devra se rematérialiser dans les environs de Montségur, la veille de l'ouverture de cette faille temporelle, le 2 juin 1999 à 18 heures précises.
Vous devez bien entendu emmener votre androïde avec vous. Il vous sera indispensable. Maintenant, et si vous le voulez bien, nous allons examiner les détails de l'opération.

 


CHAPITRE II

 


Jeudi 17 août 2017... 21 h 00.

Dany Ballantine et Z 24 sont installés aux commandes du vaisseau temporel mis à leur disposition par le commandant Boivant. Ballantine en connaît maintenant parfaitement le maniement et le robot peut lui être d'une aide précieuse, le pilotage de la soucoupe n'ayant aucun secret pour lui.

Le sas d'accès s'est refermé dans un soupir d’air comprimé, après que Boivant et les prospecteurs présents leur aient souhaité bonne chance pour leur mission. Le compte à rebours a aussitôt été enclenché. L'horloge temporelle du tempomètre est calée sur le 2 juin 1999 à 18 heures, ce qui correspond à l'époque de résurgence choisie.

Après que le vaisseau se soit élevé d’une vingtaine de mètres en douceur dans le vrombissement de ses réacteurs nucléaires, Ballantine a manœuvré délicatement les commandes de translation temporelle.
Les voyants verts ont viré au rouge et la soucoupe a commencé à vibrer. C’est avec une certaine émotion qu’il ressent les premières secousses de la dématérialisation, aussitôt suivies du « bang » sonore qui caractérise toujours le phénomène. Une certaine émotion l’étreint, à l'idée de retrouver un monde où la vie fourmille encore et qui ignore le sort funeste dont il va faire l'objet.

Une espèce de plissement, semblable aux vagues d’un tissus flottant, déforme à présent l’horizon. La contrée glacée qui défile au travers des hublots s'est soudainement mise à trembloter puis à onduler, pour finir par s'évanouir complètement, vite remplacée par un flou vaporeux.
Tandis que retentit pour la seconde fois le « bang » significatif annonçant le brusque changement de dimension temporelle, un soleil généreux filtre subitement le dôme vitré de la soucoupe, baignant de ses rayons un panorama verdoyant où se profile une vaste forêt.

Le vaisseau s’est posé délicatement à l'orée d'un petit bois. Le vrombissement de ses réacteurs n'aura troublé que l'espace d'un instant le calme environnant.

Ballantine et l'androïde ont aussitôt mis pied à terre, avant de placer la soucoupe en état d'invisibilité derrière son écran anti-optique, afin qu'elle échappe à l’indiscrétion des habitants de la contrée.

Le paysage escarpé qui les entoure, perché sur un piton calcaire d'une sauvage beauté, surplombe le village de Montségur. Ils peuvent à présent distinguer les ruines de la citadelle, dont quelques murs sont encore debout.

La faille temporelle doit s'ouvrir dans 12 heures et 7 minutes, le vendredi 3 juin à 6 heures 07.
Aussi ont-ils devancé l'événement, afin de se préparer à toute éventualité consécutive à la venue des créatures qui surgiront du néant à cet instant précis.
Afin de ne pas attirer l'attention de la population du petit village qui compte à peine plus d'une quarantaine d'habitations, Ballantine a quitté sa combinaison bleue des voyageurs du temps.
Il lui a préféré pour la circonstance des habits d'époque, après avoir toutefois conservé son pistolet atomique ainsi que quelque monnaie du moment. Z 24 restera près de la forteresse, le temps qu'il enquête discrètement au village et qu’il puisse recueillir tout renseignement propre à leur mission.*

Sitôt après s'être momentanément séparé de l'androïde, il a emprunté un petit sentier qui s'enfonce dans la vallée.
C'est le cœur serré qu'il se prépare à faire une première rencontre.
A l'exception de ses amis prospecteurs restés dans leur époque au Groenland, la peuplade des esquimaux et les quelques Lunariens qu'il a rencontrés, il y a bien longtemps qu'il n'a plus fréquenté d'autres êtres humains, les Terriens ayant tous péri dans la catastrophe qui a ravagé sa planète en 2015. Il reste conscient du risque qui pèse à présent sur l’humanité d’être anéantie prématurément dans les jours à venir.

Perdu dans ses pensées, il n'a pas remarqué qu'il était arrivé à proximité du petit cimetière de Montségur, situé à quelques centaines de mètres de l'entrée du village. Le commandant lui a indiqué que la faille temporelle devait s'ouvrir dans son voisinage. Il est un peu plus de 18 h 15, aussi décide-t-il de commencer son enquête en ces lieux saints.

Le soleil est encore haut dans le ciel et l'endroit est désert.
Quelques tombes sont alignées le long de l'unique allée, mais il est conscient qu’il y a peu de chances que le tombeau à l’intérieur duquel auraient été déposées les cendres des derniers hérétiques soit encore d’actualité. Apparemment, plus aucun indice ne paraît même en faire état. La méthode lui semblant la plus appropriée réside certainement dans le fait de se rendre au village pour tenter de glaner quelque renseignement à ce sujet. Les habitants ne doivent pas être sans connaître l'historique du château de Montségur. C’est donc pourvu de cette conviction, qu’il poursuit sa route et ne tarde pas à pénétrer dans le petit bourg.

Trois ou quatre commerces sont installés côte à côte dans la rue principale, ne proposant que le strict nécessaire. Ballantine s'est dirigé vers l'unique hôtel, dont l'enseigne rongée par les ans pend lamentablement au-dessus du portail. Le hall est désert, dénotant la rareté des voyageurs et le réceptionniste, en admettant qu'il y en ait un, n'est pas présent à l'accueil.
Aussi Ballantine se voit-il contraint de s'annoncer à haute voix.

Malgré sa bonne volonté et l’obstination dont il fait preuve, aucune présence ne semble toutefois se manifester.

Dépité, il s’est déjà dirigé vers la sortie, lorsqu'un homme âgé pénètre dans le hall. D’un air étonné, mêlé d'une évidente curiosité, le vieillard dévisage sans la moindre indiscrétion cet étranger qui semble chercher quelque chose.

- Qu'y a-t-il pour votre service jeune homme ?… demande-t-il, intrigué et d’une voix presque aphone.

L’interpellé, qui ne doute pas un seul instant avoir le propriétaire des lieux en face de lui, n'a pu s'empêcher d'esquisser un sourire discret.

- Pardonnez mon intrusion monsieur. Je cherche une personne qui pourrait me renseigner… indique-t-il dans un français presque sans accent et qu’il maîtrise parfaitement.

L'hôtelier a sorti une paire de lunettes de la poche de son veston, sans doute pour mieux distinguer son interlocuteur.

- Vous n'êtes pas d'ici jeune homme ... Si je peux vous être utile ! ... Que désirez-vous savoir ?

- Voici ce qui m'amène … Je travaille pour un journal et j'enquête actuellement sur les événements qui se sont déroulés au XIIème siècle à la forteresse de Montségur.

- Ah ... Vous êtes journaliste ! Pour cela jeune homme, il faudrait que vous rencontriez le professeur Winter. C'est un archéologue anglais. Il possède une résidence dans le village et s'intéresse comme vous à la forteresse. Il y a même effectué des fouilles récemment. Vous avez de la chance, car à cette période de l’année, il est toujours à Montségur.

Ce disant, le vieil homme a entraîné Ballantine vers la sortie ...

- Vous voyez l'église ?... Vous prendrez le deuxième chemin sur votre gauche. A environ deux kilomètres, vous verrez un ensemble de bâtiments restaurés. C’est une ancienne exploitation agricole. Elle est isolée, vous ne pouvez pas vous tromper. C'est la résidence du professeur.

Encore amusé par la personnalité bon enfant du vieil homme, Ballantine s'est empressé de le remercier et a aussitôt pris congé.

Mais le tenancier s’étonne de le voir se diriger à pied dans la direction indiquée.

- Vous n'avez pas d'automobile, jeune homme ?

- Je suis venu en taxi. Une petite marche me fera le plus grand bien… argumente notre ami en souriant, évitant d’éveiller davantage sa curiosité.

L’hôtelier, après avoir haussé les épaules et marqué son indifférence, a refermé sa porte derrière lui.

Le trajet n'aura duré qu'une vingtaine de minutes, au terme desquelles Ballantine est arrivé devant un corps de ferme entièrement rénové, transformé en une élégante et spacieuse résidence imposante.
Elle est emmitouflée au cœur d’un immense parc planté et fleuri. Ce ne peut être que l'habitation du professeur, car aucune autre bâtisse n'est visible aux alentours.

Après avoir franchi la grille, il a frappé un coup discret à la porte d’entrée.

Un domestique en livrée, portant l'habit de majordome avec gilet jaune rayé de noir a aussitôt fait son apparition. C’est avec discrétion qu’il détaille Ballantine, en le saluant avec courtoisie dans la plus stricte tradition du protocole anglo-saxon, y ajoutant même une respectueuse inclinaison du buste.

- Pourrais-je voir le professeur ?… s'enquiert notre ami dans la langue de Molière.

- Mais très certainement monsieur. Qui dois-je annoncer ?

- Dany Ballantine, je vous prie.

- Si vous voulez bien vous donner la peine d'entrer monsieur Ballantine.

L'accent avec lequel s'est exprimé le majordome ne laisse aucun doute quant à sa nationalité.

- Si monsieur veut bien me permettre, je vais prévenir monsieur le professeur… a-t-il ajouté, en priant le visiteur de bien vouloir patienter dans le petit salon qui jouxte le hall d’entrée.

L'attente n'aura duré qu’une poignée de secondes, au terme desquelles le majordome est réapparu, signifiant à Ballantine de bien vouloir le suivre.

D'un geste avenant, il le convie aussitôt à pénétrer dans la pièce principale, dont les murs sont garnis de toiles de maîtres.
Un personnage accusant la soixantaine bien sonnée, planté devant la bibliothèque monumentale qui regorge d’ouvrages, semble l’attendre. Il a le front partiellement dégarni et porte de petites lunettes cerclées d'acier sur le bout du nez. Sa veste d’intérieur laisse voir un col de chemise orné d'un nœud papillon des plus volumineux, le mettant parfaitement en harmonie avec son univers.


extrait de : Sur la Piste du Graal (de Stephan LEWIS)