LES
SONDEURS DU TEMPS
( Stéphan Lewis )
Extrait de l'histoire :
L'invitation a été
lancée par un homme jeune à la carrure athlétique, portant pour tout vêtement
un simple pantalon de toile kaki.
Il est coiffé d'une casquette à large visière
et son torse musclé luit sous les rayons d'un soleil brûlant.
Nous sommes
quelque part dans le Peten, un territoire grand comme la Suisse, situé au plus
profond des jungles tropicales du Guatemala.
Deux aras, grands perroquets grimpeurs, brusquement dérangés dans leur
tranquillité, affolés et criards, s'envolent bruyamment vers les hautes
branches en étalant la splendeur de leur plumage bleu et or, faisant lever la tête
au personnage interpellé…
Ce dernier, qui
accuse la soixantaine, se tient agenouillé près du fronton d'un temple maya,
au milieu des vestiges de ce qui fut jadis une cité à présent enfouie et dévorée
par la forêt tropicale.
Il est occupé à déchiffrer des hiéroglyphes gravés
sur une stèle prismatique en stuc de plusieurs mètres de hauteur, dont l'une
des faces représente un personnage étrange et d'une taille démesurée.
Tout en tentant
vainement de chasser une nuée de moustiques virevoltant en un nuage déplaisant,
il s’est aussitôt retourné en direction de l'interpellateur, pour
l'interroger du regard par-dessus ses petites lunettes cerclées d'acier qu'il
porte en permanence sur le bout du nez.
- Qu'y-a-t-il
donc Dany ? Vous avez trouvé quelque chose d'intéressant ?
Sans répondre,
le solide gaillard de 41 ans, aux yeux verts et cheveux noirs taillés en
brosse, sujet de sa gracieuse majesté britannique à l'instar de son compagnon,
ingénieur en électronique de son état et répondant au nom de Dany
Ballantine, brandit un objet qu'il a déjà sommairement débarrassé de la
gangue de terre et d'argile qui l'enveloppait.
- Mais ... C'est
un crâne humain que vous tenez entre les mains !
- En effet
professeur. A la différence prés, c'est que celui-ci semble être en cristal.
Tout en haussant
les sourcils, le professeur Joseph Winter, éminent archéologue au front
partiellement dégarni, portant pour la circonstance un chapeau de brousse à
large bord et revêtu d'un léger pantalon detoile et d'une simple chemisette en
coton, a épongé la sueur qui perle sur son front. Il s'est empressé de
s'essuyer les mains sur sa chemise déjà maculée de poussière, dont le col
largement échancré lui permet de supporter plus facilement lachaleur torride
du climat tropical de l'Amérique Centrale, en cette journée du 12 septembre
1999.
- En cristal
dites-vous ?
- Voyez vous-même
professeur... propose Ballantine, qui s'est déjà approché en continuant de
nettoyer son étrange trouvaille.
Winter, qui s'est
redressé, détaille aussitôt la pièce avec la plus vive curiosité.
Les
quatre Mexicains qui les assistent dans leurs fouilles et parlent leur langue,
coiffés de l'inévitable sombrero à jugulaire de cuir, se sont avancés à
leur tour.
- Vous avez
raison. On dirait bien du cristal !
L'objet en
question, qui vient maintenant d'être correctement nettoyé, s'avère être la
réplique anatomiquement parfaite d'un crâne humain grandeur nature. Il
s’agit certainement de celui d'un homme qui, à première vue, a été sculpté
dans un seul morceau de cristal de quartz.
- Quelle curieuse
chose ! Regardez Dany !
Il est pourvu d'une mâchoire détachable et... de 31
dents !... s'étonne Winter, en constatant que l'une d'elles se rapportant à la
partie postérieure fait défaut à la mâchoire.
- Comme c'est étrange.
Voyez professeur. L'emplacement de la trente-deuxième est pourtant prévu.
Mais
la cavité paraît volontairement vide, car il ne semble pas que l'on ait ôté
l'une des dents. D'ailleurs, comme vous pouvez le constater, les autres font
partie intégrante de la mâchoire, tandis que l'espace prévu pour la molaire
manquante n'a pas le même aspect.
Il comprend une espèce de pivot. Et cette
chose fait bien dans les cinq kilos, si je ne m'abuse !
- Sans aucun
doute… acquiesce Winter… Ce qui me déroute, c'est que ce crâne ne semble
pas présenter le moindre défaut ! Aucune marque d'un quelconque outil qui
aurait pu servir à sa fabrication!
- Il y a assurément
des lustres qu'il est enfoui à cet endroit.
- A ma
connaissance, aucun de mes confrères n'a encore eu vent de ces ruines mayas en
ces lieux perdus. C'est une aubaine que d'avoir dégoté ce sanctuaire! Sans
grand risque d'erreur, je peux m'avancer en déclarant que cet objet est
certainement ici depuis un bon millier d'années. Ce qui est étonnant, c'est
que nous l'ayons découvert au milieu de ces vestiges d'une ancienne
civilisation maya.
- C'est à tous
les coups le grand-père des boules de cristal... plaisante Ballantine avec un
gloussement amusé.
- Notre
trouvaille va vraisemblablement faire plancher bon nombre de mes confrères. Ce
crâne est une pure merveille. Aucun défaut apparent. Et comme je vous le
disais, même en y regardant de près, il ne porte pas la moindre trace d'un
quelconque outil ayant pu servir à sa création. C'est déroutant ! Nous
pouvons sans aucun doute prétendre que toute la technologie du XXème siècle
serait dans l'incapacité totale de réaliser un travail aussi délicat, pour
obtenir un résultat d'une telle perfection... finit par déclarer le
professeur, la mine dubitative, en manipulant l'objet qu'il examine avec une
attention soutenue.
- Mais que !...
s'étonne soudain Ballantine ...
L'un des quatre
chicleros (forestiers mexicains) s'est aussitôt incliné pour ramasser le petit
tube métallique qui vient de glisser du crâne de cristal, pour le remettre à
Ballantine.
- Un cylindre de
métal !... indique machinalement Winter, dont le visage reflète à présent la
plus vive surprise.
- Il y a un
rouleau de papier gommé à l'intérieur. C’est un écrit, libellé je crois,
en espagnol... mentionne Ballantine, après avoir déroulé le parchemin.
Celui-ci, réduit
à une simple bande de papier grossier, jauni et tout craquelé, d'une vingtaine
de centimètres sur huit de largeur, a visiblement été rédigé d'une main
malhabile et hésitante.
- C'est bien de
l'espagnol... confirme Winter, qui maîtrise parfaitement cette langue encore
utilisée officiellement au Mexique.
D'une voix
chevrotante, il en entreprend la lecture après avoir correctement rajusté ses
petites lunettes ...
- " Mexico
... le 8 juin 1882 ... Je suis porteur d'un message à l'intention de celui ou
ceux qui découvriront le Crâne de Cristal ... Que Dieu me pardonne. Je ne peux
que leur transmettre une mise en garde, car je suis porteur d'un terrible
secret. Mon nom n'a guère d'importance ... Voici l'histoiredu Crâne de Cristal
...
Tout a commencé
deux ans plus tôt. Le 15 mai 1880. Je faisais alors partie d'un groupe
d'aventuriers embarqués pour l'Amérique Centrale. Direction le Peten,la région
la plus grande mais la moins peuplée et la plus inhospitalière du Guatemala, où
nous partions à la recherche de la civilisation perdue de l'Atlantide...
Après plusieurs
jours d'une marche harassante à travers la jungle, nous découvrîmes ces lieux
par hasard, vestiges d'une cité secrète construite jadis par les Mayas.
Nous nous attelâmes
aussitôt à l'exploration du site.
C'est en creusant
sous l'autel du temple, que nous mîmes à jour le Crâne de Cristal,
certainement enterré depuis des millénaires à cet endroit.
J'ignorais alors
que nos existences allaient s'en trouver à ce point bouleversées, et que ma
vie et celle de mes infortunés compagnons s'en trouverait menacée.
Sachez tout
d'abord qu'en ce qui vous concerne, il n'est pas trop tard pour inverser les éléments
terrifiants et irréversibles qui ne vont pas tarder à se déchaîner dans
votre entourage et auxquels je n'y puis malheureusement rien. Vous êtes en
possession du Crâne deCristal, révélateur d'un terrible secret, s'il faut en
croire la Confrérie des Descendants de la Première Lumière. Si vous ne le
replacez pas immédiatement à l'endroit où vous l'avez trouvé, vous allez à
votre tour réveiller le Golem, le Gardien des Capsules du Temps.
Mes révélations
vont certainement vous paraître fantaisistes, mais votre vie est d'ores et déjà
en danger si vous n'accordez aucune attention à cet avertissement. Le Golem,
cette créature maléfique, est programmé pour intervenir et anéantir celui ou
ceux qui se seront emparés du Crâne de Cristal.
Mes sept
compagnons en ont fait la triste expérience, pour avoir été, les uns après
les autres, exterminés en moins de quelques jours. Les personnes ayant été en
contact avec le crâne, ont été confrontées par la suite à des événements
bizarres et horribles ou à d'inexplicables et étranges phénomènes. Je suis
maintenant conscient que cette monstruosité est sur mes traces, restant le seul
et malheureux survivant de cette triste et pour le moins étrange aventure.
Aussi, avant d'en finir, me reste-t-il de tenter d'apaiser la colère du Golem,
en replaçant le crâne à l'endroit exact où nous l'avons trouvé, sous
l'autel du temple.
Je ne sais si je
survivrai à cette dramatique aventure, car il est assurément trop tard ... Que
Dieuvous garde ..."
Winter, tout en
pinçant légèrement leslèvres, leur signifie que le texte du message s'arrête
ici.
- Si c'est une
plaisanterie, je la trouve plutôt d'un goût douteux!... ricane Ballantine en
haussant les épaules, tout en esquissant un sourire amusé.
- Et si l'auteur
de ce message était sérieux ?... relève le professeur avec une moue
circonstancielle, regardant son ami par-dessus ses besicles, laissant néanmoins
penser qu'il n'en gobait assurément pas un traître mot.
- Et cette menace
viendrait d'un ... golem ! … Si l'on se réfère à la légende, le golem
serait une créature artificielle à forme humaine, constituée essentiellement
d'argile. Difficile d’admettre qu'une telle chose puisse s'en prendre à qui
que ce soit !
A moins de rêver tout haut... raille Ballantine avec un rire étouffé,
en se vrillant l'index sur la tempe.
- Dans la Bible,
le mot golem est employé à propos d'Adam, lorsqu'il est encore sans forme et
que le souffle divin nel'a pas encore atteint... complète Winter en se grattant
ce qui lui reste de cuir chevelu... Le golem réapparaît dans la mythologie
juive et en Europe Orientale, pour semer la mort et la désolation. Des
puissances invisibles l'habitent et l'animent. Il est comme guidé par une
volonté extérieure démoniaque.
- Que décidez-vous
professeur ? On emmène ce truc ou ... on le remet vivement en place ?...
taquine Ballantine, en adressant un clin d'œil aux métis qui assistent à la
conversation, un sourire narquois naissant à la commissure des lèvres,
anticipant déjà intérieurement la réponse de son ami.
- Une pièce
d'une telle rareté ! Vous plaisantez ! Ce serait un crime envers l'archéologie
que de dédaigner ce que le hasard a bien voulu nous offrir ! Je voudrais bien
voir ça !... se défend sans aucune retenue Winter, en fourrant vivement
l'objet dans son havresac sous l'œil amusé de Ballantine et des quatre
Mexicains, qui n'ont pu retenir un rire étouffé.
Le soleil se
couche déjà sur l'horizon. La chaleur s'est tout à coup faite moins
accablante et d'autant plus supportable, et il a été décidé de regagner le
campement. Celui-ci, réduità trois tentes légères, dont une compartimentée
pour la servitude, a été installé à une vingtaine de mètres du site,
auxabords d'une petite clairière perdue dans l'immense forêt vierge. C’esten
son centre que s'estposé la veille le petit hélico pilotépar Ballantine, loué
pour quelques jours en même temps que le matériel de camping à Florès, la
capitale dudistrict du Peten.
Les Mexicains ont
allumé un feu et l'un d'eux retourne d'une main experte les steaks sur le
grill. Ballantine s'est installé auprès du professeur qui, à l'aide d'une
puissante lampe torche, inspecte à présent et minutieusement chaque détail de
leur énigmatique découverte. Maintenant qu'ils l'examinent en pleine lumière,
l'objet présente toutes les caractéristiques d'un crâne véritable. Il se révèle
être on ne peut plus finement ouvragé, reflétant un mélange de travail
artisanal de haute précision, technique requérant au moins trois cents ans
d'efforts humains, ce qui déroute totalement le professeur. Alors que celui-ci
poursuit méticuleusement son inspection, Ballantine, qui jette machinalement un
coup d'œil sur le crâne, a brusquement senti ses pulsations s'accélérer …
Son compagnon en laisse même choir la courte pipe en écume qu'il tenait entre
les dents.
- Mais ...
Qu'est-ce que c'est encore que !... s'effare Ballantine en écarquillant les
yeux.
- Il me semble
que cela vient de l'intérieur du crâne !...balbutie Winter.
Stupéfaits, tous
deux constatent que les orbites viennent de s'allumer pour s'éteindre presque
aussitôt, lorsque le professeur, aussi déconcerté que son compagnon, a
vivement éteint la torche dont le faisceau de lumière inondait l'intérieur de
l'objet.
- Cette chose
semble contenir une quantité phénoménale d'énergie !... murmure encore
Winter, l'air ahuri.
- Cela se
pourrait... relève Ballantine... Mais les yeux se sont éteints aussitôt que
vous ayez cessé d'éclairer l'intérieur du crâne. J'imagine qu'une partie du
palais doit jouer le rôle d'un prisme. Lorsqu'une source lumineuse, tels les
rayons de votre torche en l'occurrence, est placée sous le crâne, le prisme
projette la lumière vers le haut et à travers les yeux.
Comme pour accréditer
sa version des faits, le même phénomène se reproduit aussitôt, Winter ayant
rallumé sa torche et l'ayant placée de nouveau sous l'objet. Les rayons
lumineux convergent vers les orbites en une lueur diffuse et intense.
- Vous voyez !
C'est étonnant, mais c'est bien ce que je pensais... conforte Ballantine,
toutefois aussi dérouté que son compagnon ; lequel paraît on ne peut plus
impressionné par la facture de l'objet.
- La complexité
de ce montage optique doit certainement servir à quelque chose... finit par
admettre ce dernier, de plus en plus intrigué par l'étrangeté du phénomène.
- Un peu de
patience professeur. Je crois que nous avons la réponse à votre question. Nous
n'allons pas tarder à être fixés... murmure Ballantine, le regard rivé sur
le crâne de cristal, dont le rayonnement s'est brusquement accentué ; tandis
qu'à leur plus profond désarroi, une aura brillante et verdâtre entoure à présent
l'objet.
Le spectacle
hallucinant qui prend alors forme sous leurs yeux, est tellement insolite qu'ils
en restent un court instant déconcertés et abasourdis … Une image floue,
mais en trois dimensions, semblant en suspension à quelques mètres du sol,
comme projetée par un puissant rayon lumineux sur un écran invisible, émane
à présentdes orbites du crâne.
- Nom d'une pipe,
une projection holographique !... s'effare le professeur, bouche bée, en se
tamponnant le front à l'aide d'un mouchoir, tandis que les Mexicains, stupéfaits,
ont cessé toute activité.
Ballantine, sans
souffler mot, s’est passé une main ouverte dans sa courte brosse en ayant un
froncement de sourcils.
Les lueurs de
l'image en relief projettent à présent d'étranges reflets sur la toile des
tentes, tandis que l'hologramme paraît de plus en plus net.
Winter et
Ballantine l'ont immédiatement interprété …
- La
configuration de notre système planétaire!... commente ce dernier en échangeant
un regard éberlué avec le professeur.
Ils assistent
alors à la lente apparition des neuf planètes du système solaire, qui se
positionnent successivement et exactement à la place qu'elles occupent par
rapport au Soleil. La quatrième, immédiatement reconnaissable en raison de sa
couleur orangée, s’est subitement désolidarisée du système. Elle paraît
à présent en gros plan, tandis que le cortège des huit autres s'estompe
progressivement, laissant exclusivement la planète rouge envahir l'écran
qu'elle traverse d'une seule traite en diagonale.
- Mars
!...indique machinalement le professeur en se tournant vers son ami.
Les six hommes,
effarés, observent à présent l'étrange balai qui se déroule sous leurs
yeux, sans plus de commentaire. Un serpent est maintenant représenté aux côtés
de la planète rouge. Puis, bien que la lampe du professeur soit toujours en
action, l'hologramme a brusquement disparu, comme une bulle de savon qui éclate.
- C'est
incroyable ! Cette œuvre d'art a bien emmagasiné des énergies qu'elle est à
même de restituer sous formes d'images holographiques ! C'est vraiment stupéfiant
!... souffle Ballantine.
- Mon cher Dany,
je crois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises ... Cet objet ne peut
de toute évidence être apparenté à tout ce qui touche de près ou de loin la
civilisation maya et sa présence en ces lieux m'intrigue. Les images
holographiques de notre système solaire sont d'ailleurs là pour en témoigner
!... résume pensivement Winter… Les Mayas n'avaient incontestablement pas à
leur portée la technologie nécessaire à la démonstration à laquelle nous
venons d'assister... souligne-t-il encore, visiblement tracassé.
- Cette chose est
peut-être atterrie ici par hasard et l'auteur de ce message ignorait
certainement la véritable origine du crâne... hasarde Ballantine.
- Venez voir !...
le convie alors Winter en se dirigeant sans plus attendre vers le site, après
avoir rallumé sa torche, l'obscurité commençant progressivement à envahir
les lieux... Lorsque vous m'avez interpellé tout à l'heure, j'étais occupé
avec ceci... confie-t-il encore en éclairant la stèle de tuf prismatique qui
s'élance devant l'édifice à plus de sept mètres de hauteur sur deux de
large, légèrement effritée et encore toute couronnée de broussailles et
d'arbustes.Sur sa face est représenté le portrait stylisé d'un colosse, dont
la taille frise les trois mètres. La silhouette générale est anguleuse et la
tête carrée est surmontée d'antennes. Les jambes sont droites et rigides
comme des échasses.
Ballantine a
haussé les sourcils ...
- A quoi cela
vous fait-il penser ?... demande alors à brûle pourpoint Winter, en se
caressant pensivement le menton.
Après quelques
secondes de réflexion, tant la chose semble incroyable et se grattant l'oreille
d'un air perplexe …
- Vous allez
certainement rire professeur, mais j'opterais pour ... disons ... un robot…
risque Ballantine, d'une voix hésitante.
- C'est justement
ici que le bât blesse Dany … Je pense effectivement qu'il s'agit là de la
représentation d'un robot. Mais ce n'est pas terminé. Suivez-moi !... Et il
s'arrête aussitôt devant une seconde stèle aux dimensions plus modestes, sur
laquelle est cette fois représenté un personnage habillé, dirait-on, en
cosmonaute.
- Bon sang !
Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Où voulez-vous en venir professeur ?... s'étonne
Ballantine, visiblement intrigué, mais certainement impatient d'en apprendre
davantage
- Je dois vous
avouer que j'ignore totalement où nous avons mis les pieds Dany. Ces ruines
sont certes d'origine maya. Mais comme vous venez de le constater, certains de
ces glyphes hors du temps sont autant d'indices, autant de témoignages, qui
illustrent et tendent à démontrer à l'évidence qu'il y a eu également en
ces lieux une présence ou tout au moins une manifestation autre que la
civilisation maya. La mise à jour de ce crâne de cristal avec ce qu'il
contient nous amène à la conclusion suivante : Nous venons indubitablement de
découvrir les signes d'une ancienne présence pour le moins en avance sur son
temps. J'irai même jusqu'à prétendre que tout cela porte à croire qu'un
Futur Antérieur ait déjà existé quelque part sur cette planète !
CHAPITRE II
Le lendemain ...
8 h du matin ...
Ballantine et
Winter prennent leur petit déjeuner à l'abri des rayons d'un soleil brûlant déjà
haut dans un ciel bleu azur. Leur conversation est essentiellement axée sur le
déroulement des derniers événements et concernant bien entendu leurs étranges
découvertes de la veille. Ils se sont attardés sur le message contenu dans le
Crâne de Cristal.
- Ce type aurait
donc monté une seconde expédition depuis Mexico, uniquement dans le but de
remettre le crâne à sa place sous l'autel du temple, afin de tenter d'échapper
à la colère de ce prétendu golem !... souligne Ballantine, la mine perplexe.
- Et ce terrible
secret dont il est question ! Que veut-il dire par-là ?... rappelle Winter en
avalant sa tasse de thé à petites gorgées.
- Cet
avertissement lui aurait été adressé par la Confrérie des Descendants de je
ne sais plus quoi au juste. Mais je suppose qu'il a eu, comme nous, accès à
l'image holographique de notre système solaire... imagine Ballantine en
terminant son bacon.
- Il est également
question dans son message de Capsules du Temps ! Et si nous voulons en croire
cette personne, le golem en serait le Gardien !... complète Winter, qui s’est
redressé en se tamponnant les lèvres, son petit déjeuner étant achevé.
- Nous ne sommes
ici que depuis hier et nous avons, comme on dit en France, du pain sur la
planche.. présume Ballantine en quittant la table à son tour.
10 h 25 ...
Ballantine et
Winter dégagent de la végétation qui l'a envahie, une stèle sur laquelle
sont représentées huit des neuf planètes de notre système solaire, situées
exactement à la place qu'elles occupent effectivement par rapport au soleil.
- Vous voyez
Dany, l'énigme s'épaissit encore... observe le professeur en soufflant légèrement
sur la roche, afin d'éliminer la légère couche de poussière qui la
recouvre... Cette représentation de notre système stellaire est on ne peut
plus fidèle, mais la question demeure la suivante : De qui les habitants de
cette petite cité tenaient-ils ces connaissances astronomiques ?
- Et ici ! Cette
gravure représente un serpent comme sur l'hologramme ! Ces dessins sont sans
aucun doute possible en rapport direct avec ce que nous a révélé le crâne de
cristal... ajoute pensivement Ballantine.
- Depuis
l'antiquité, le serpent a toujours été le symbole de l'immortalité. Il est
indéniablement lié à la représentation figurative d'apparitions cosmiques...
remarque le professeur... De plus, chez les Mayas, le serpent était également
le symbole de la maîtrise des airs.
- Mais pourquoi
diable est-il représenté ici seulement huit des neuf planètes du système
solaire ?... observe judicieusement Ballantine.
- Il faut croire
que, bien que la figuration de la position de toutes les planètes soit
curieusement et scrupuleusement respectée, les Mayas ou les habitants de cette
mystérieuse cité ignoraient certainement l'existence de la neuvième ... Peut-être
manque-t-il la dernière, Pluton... imagine naturellement Winter, en tirant
nerveusement plusieurs bouffées d'affilée de sa courte pipe en écume, la tête
entourée d'un nuage de fumée.
- Justement non
professeur, et c'est bien ce qui m'intrigue !... se presse de corriger
Ballantine, visiblement incommodé par les miasmes tabagiques de son ami, lui
faisant même comprendre la gêne ressentie et son incommodité à force de
gestes appropriés à chasser le panache de fumée qu'il vient d'engendrer...
Regardez !… Si l'on part du soleil, nous avons bien Mercure. Mais aussitôt,
aux lieux et place de Vénus il y a, si je ne m'abuse, un espace inoccupé. Car
voici la Terre, puis Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et enfin la dernière
... Pluton.
- Mais ...
Pourquoi avoir omis d'y faire figurer Vénus ?... s'étonne cette fois Winter,
l'air dubitatif et se caressant machinalement le menton... D'autant plus qu'ils
n'étaient pas sans connaître son existence ! Elle était pour le peuple maya
l'objet d'un véritable culte. La plupart de leurs pyramides sont d'ailleurs dédiées
à l'étoile du berger ! Je vous avoue que j'y perds mon latin.
- C'est ma foi
fort curieux en effet.
De nouvelles stèles
et dessins découverts sur les murs du temple, représentent soit des
personnages revêtus d'une combinaison de cosmonaute, on ne saurait s'y tromper,
soit des engins volants. La plupart sont en forme de disques. Certains sont même
équipés d'antennes.
- C'est
fantastique !... s'émeut encore Winter... Il n'y a plus aucun doute. Si ce sont
bien des Mayas qui résidaient dans cette cité et si c'est bien eux qui sont
les auteurs de tous ces témoignages, nous avons ici la preuve formelle qu'ils
ont été, à un moment donné, en contact avec les représentants d'une
civilisation plutôt en avance sur son temps.
- Autrement dit,
avec des êtres originaires d'un autre monde... anticipe Ballantine.
- Ma foi, je ne
sais que penser. Mais si nos suppositions s'avéraient exactes, et nous sommes
assurément sur la bonne voie pour le prouver, la découverte de ce site sera
incontestablement l'événement archéologique le plus extraordinaire de tous
les temps... souligne le professeur, bouleversé, en épongeant la sueur qui lui
dégouline sur le front.
- J'ai la ferme
conviction que si nous poussons plus loin nos investigations, nous ne sommes pas
au bout de nos surprises... gage Ballantine avec un enthousiasme non dissimulé.
- Regardez les
gravures sur ce mur Dany. Elles représentent Quetzalcoatl le Serpent à plumes,
que les Mayas appelaient aussi Kukulcan. C'est le plus grand dieu du panthéon
maya et aztèque. Il incarne justement la personnification de la planète
brillante. Il paraît s'agenouiller devant l'apparition d'une comète. Comme
c'est étrange... s'émeut encore Winter.
Deux
reproductions de la voûte céleste gravées sur le plafond du temple leur
offrent à présent une nouvelle et non moindre énigme ... Les points cardinaux
sont placés correctement sur l'une, tandis qu'ils sont renversés sur l'autre,
comme si la Terre avait subi un choc, comme si elle s'était retournée lors
d'un cataclysme cosmique. Mais l'un des chicleros vient de pénétrer à son
tour à l'intérieur de l'édifice. Il leur signifie que ses compagnons ont mis
à jour quelque chose susceptible de les intéresser.
Les Mexicains ont
déterré trois tablettes de pierre qu'ils sont en train de débarrasser
sommairement de la mousse qui les recouvre. Le professeur exulte et trépigne
sur place, tant il bouillonne d'impatience. Il a, comme d'habitude et en de
telles circonstances, eu le réflexe de rajuster ses petites lunettes sur le
bout de son nez, comme pour mieux distinguer les glyphes gravés dans la pierre.
Après avoir déchiffré
quelques lignes de la première tablette, il marque aussitôt une pause, en
proie au plus vif désarroi…
- Inouï ! C'est
tout à fait inouï !... Ces textes ont rapport au déluge ! Vous vous rendez
compte !... rapporte-t-il d'une voix enthousiasmée et brisée par l'émotion.
- Si je ne
m'abuse, ce légendaire désastre se serait produit il y aurait environ douze
mille ans ... se remémore rapidement Ballantine.
- En fait, nul ne
sait exactement à quel moment de l'histoire de l'humanité s'est produit le
cataclysme universel. Vouloir déterminer la date de la titanesque catastrophe
qui détruisit la presque totalité du genre humain, est sans aucun doute une
tentative bien téméraire... souligne le professeur en affichant une moue de
perplexité... C'est extrêmement curieux... poursuit-il en revenant vivement
sur les caractères hiéroglyphiques de la première tablette, devant les mines
interrogatrices de Ballantine et des quatre métis qui se sont regroupés autour
de sa personne... On peut en fait interpréter ce texte comme une prophétie.
Tout d'abord, on nous décrit ici les circonstances du déluge. Mais il est
affirmé en outre et je traduis, qu'après la naissance du sixième soleil,
peut-être est-il question d'une succession d'éclipses … Donc, après la
naissance du sixième soleil disais-je, ces écrits précisent que les Maîtres
des Etoiles ou Messagers du Destin doivent revenir. Si on se fie à ce
calendrier, ce serait, tenez-vous bien, avant la fin de ce millénaire. Soit la
période inaugurée par l'éclipse de 1999. En septembre de l'année où nous
sommes, plus exactement. Il est également dit qu' au cours de l'ère du sixième
soleil, tout ce qui est enfoui sera découvert. La vérité sera la semence de
la lumière. Et les fils du sixième soleil voyageront à travers les étoiles.
- Si c'est une
prophétie, elle nous annonce clairement la venue prochaine d'extraterrestres
sur la Terre... sourit Ballantine, manifestement peu enclin à suivre son ami
sur ce terrain.
Winter s'est
approché de la seconde tablette. Prenant assise sur ses talons, la tête entre
les mains, il ne cesse de lire et relire l'inscription millénaire qui y est
gravée...
- Ce texte a
encore rapport au déluge… enchaîne-t-il au terme de quelques secondes… Il
est dit que le ciel se rapprocha de la Terre et que tout périt en un seul jour.
Même les montagnes disparurent sous les eaux. Ces écrits décrivent la
disparition du monde d'une façon imagée. Regardez Dany, ce que vous voyez ici
représente encore un serpent installé dans les cieux et déversant de sa
bouche des torrents d'eau. Quant à ces différents signes, ils indiquent des éclipses
de la Lune et du Soleil. Cette gravure figure la déesse de la Lune, maîtresse
de la mort. Comme vous pouvez le constater, elle est représentée ici sous un
aspect terrifiant. Elle tient entre les mains une coupe renversée de laquelle
coulent des flots destructeurs.
Nom d'une pipe !
Ce qui est décrit ici, dans la troisième tablette, est tout simplement
effarant !... s'exclame le professeur, subitement en proie à la plus vive
stupeur... Les deux premières tablettes reprennent en fait certains détails du
Livre Sacré des Mayas du Guatemala, le Popol Vuh. Ce qui me surprend, c'est que
jusqu'ici les origines du déluge n'ont jamais vraiment pu être expliquées et
encore moins élucidées. La science ne connaît toujours pas de causes qui
auraient pu engendrer une secousse telle, que l'axe terrestre en aurait été à
ce point ébranlé. Mais si ces écrits s'avéraient exacts, ce qui est dit ici
nous fournirait la réponse à cette énigme. C'est tellement incroyable !...
poursuit Winter en se tamponnant nerveusement le visage à l'aide de son
mouchoir.
- Remettez-vous
professeur !... sourit Ballantine d'une voix amusée, en lui donnant une tape
amicale sur l'épaule.
Semblant ignorer
la remarque et évitant de faire mentir plus que de raison son enthousiasme,
l'intéressé n'en poursuit pas moins ses commentaires d'une voix chevrotante…
- C'est bien la
première fois qu'un texte maya donne de telles précisions sur les causes du
cataclysme universel ! Il est encore dit ici que cette catastrophe n'aurait pas
concerné que notre planète … Ce fut un bouleversement cosmique aboutissant
à un réalignement des astres de notre système solaire. Les planètes modifièrent
leur trajectoire. La grande harmonie de l'univers et de la nature en fut ébranlée.
Voilà, tout est expliqué ! Le déluge aurait eu pour origine l'attraction
exercée par un astre encore inconnu et pénétrant dans notre système solaire
... Sa force cosmique aurait déclenché un immense raz de marée. Les eaux du
globe se seraient alors soulevées, pour ensuite refluer avec l'éloignement de
ladite planète en question, déposant ici et là les restes de faune et de
flore dont on a d'ailleurs découvert des traces inexplicables dans différentes
régions du monde... se presse de préciser Winter. (véridique).
- En fait, cela
semble tout à fait plausible professeur. La seule force capable de provoquer
des bouleversements de cette ampleur pourrait effectivement avoir été celle
produite par un corps céleste de grande taille passant à proximité de la
Terre... relève Ballantine d'un air songeur.
- Tout à fait
Dany. D'ailleurs, bien que l'on n'ait pas encore élucidé la question, il a
toutefois été envisagé qu'une collision avec un immense météore aurait pu
provoquer le cataclysme atlantéen, certainement lié au désastre universel.
Nous savons que l'attraction lunaire, par exemple, est à l'origine du phénomène
des marées. Comme vous le faites si judicieusement remarquer, l'arrivée de cet
astre dans le système solaire aurait pu provoquer un déséquilibre de la planète.
En déplaçant de quelques degrés son axe de rotation tout en exerçant une énorme
pression sur l'écorce terrestre, l’incident aurait entraîner les inondations
et déluges que l'on retrouve dans les légendes de tous les peuples à la
surface du globe. Mais ce qui est stupéfiant, c'est que, d'après les écrits
mayas, cet astre ne serait autre que ... tenez-vous bien ... la planète Vénus
!
- Vénus !... Ce
serait assurément extraordinaire professeur ! Mais celle que l'on connaît plus
communément sous l'appellation d'étoile du berger étant donné son éclat
nocturne, a toujours fait partie de notre système solaire ! Aucun doute n'a
jamais été émis à ce sujet que je sache !... stipule Ballantine, la mine
perplexe.
- C'est en tout
cas ce qui est prétendu ici. Vénus serait en fait originaire d'une autre
galaxie que notre Voie Lactée. Elle serait entrée dans notre ciel avec
l'apparence et les effets maléfiques d'une comète. Elle aurait provoqué
l'embrasement du globe et le déluge universel, avant de s'installer définitivement
sur l’orbite que nous lui connaissons. Après voir frôlé la Terre, elle
aurait anéanti la presque totalité de l'humanité.
- Si le fait s'avérait
exact, ce serait alors la raison pour laquelle il n'était représenté que huit
des planètes du système solaire sur le monument que nous avons découvert. Vénus
aurait été volontairement omise... réalise Ballantine, la mine réfléchie.
- Et la comète
devant l'arrivée de laquelle est prosterné Quetzalcoatl, serait donc l'Etoile
du Berger ! Cette planète a toujours fait l'objet d'un véritable culte dans la
civilisation maya. C'est elle qui régissait leur religion. D'ailleurs, comme je
vous le disais, la plupart des pyramides mayas lui sont dédiées. On ignorait
jusqu'ici quelles en étaient les raisons. Les Mexicains en ont même conservé
la tradition. On a en effet constaté de nos jours, que de nombreux édifices
comme le palais du Gouverneur à Uxmal au Mexique, étaient alignés et disposés
en fonction du lever et du coucher de l'étoile du berger. Toujours est-il que
vous pouvez être assuré que notre découverte va certainement ébranler et déranger
le monde bien ordonné de nos astrophysiciens et soulever bon nombre de
controverses... confie le professeur, on ne peut plus enthousiasmé.
- Je reviens sur
ce qui est écrit sur la première tablette, où il est question du retour des
Maîtres des Etoiles. Est-ce que cette prophétie signifie quelque chose pour
vous professeur ?... s'enquiert Ballantine, songeur.
- Eh bien
voyez-vous Dany, incidemment, la tradition populaire maya parle d'une promesse
faite par " les Fils du Ciel " de revenir dans douze mille ans. Soit,
comme le précise en effet ces écrits, à notre époque. Et plus précisément
d'ici peu s'il faut en croire ce qui est dit ici et si nous devons nous fier à
la légende. Ces Fils du Ciel seraient leurs ancêtres de l'Atlantide, dont la
civilisation n'avait, toujours d'après la légende, rien à envier à la nôtre.
Bien au contraire.
- En tout cas, le
type qui a laissé ce message a tout de même eu une part de chance non négligeable
!... Il prétend être parti à la quête du continent perdu de l'Atlantide, et
découvre comme nous, par hasard, cette ancienne cité maya dont vous me dites
professeur que les ancêtres pourraient justement être les Atlantes !
- C'est ma foi
exact. Mais ce qui relève du domaine du fantastique, voire de l'incroyable dans
cette histoire, c'est le fait que la population d'un site maya semble avoir fait
l'objet d'un contact avec une civilisation avancée. J'en suis à présent
pratiquement convaincu Dany. Les habitants de ces lieux ont reçu la visite de
cosmonautes venus d'une autre planète. Ou ils ont été directement en contact
avec des Atlantes. Mais cette hypothèse relève bien évidemment du domaine de
l’impossible... murmure-t-il encore, comme pour lui-même.
- Toujours est-il
que la découverte que nous avons faite sur l'hypothétique arrivée de Vénus
dans notre système solaire, ne concerne en rien le terrible secret dont ce type
parle dans son message. Mais peut-être allons-nous finir par découvrir quelque
chose en rapport avec ce que prétend ce curieux personnage ... imagine
Ballantine en se passant machinalement une main ouverte dans les cheveux.
La fin de la
journée approche. Le soleil commence à fléchir sur l'horizon. Bien que depuis
quelques heures l'atmosphère se fasse lourde et orageuse, il ne pleut toujours
pas. L'air est de plus en plus chaud, figé, comme si la nature était en
suspens. Ballantine et Winter ont encore découvert de nouvelles preuves renforçant
leurs convictions, quant à la visite d'hypothétiques visiteurs de l'espace
faite aux habitants de cette mystérieuse cité en des temps très reculés. Ils
n’ont cependant pu déceler la moindre analogie avec la mise en garde du
parchemin adressée par l'énigmatique personnage à l'intérieur du crâne de
cristal, ayant trait au terrible secret auquel il est fait allusion.
Mais leur
attention est brusquement attirée par les Mexicains … Ces derniers viennent
de dégager une dalle triangulaire enfouie sous l'humus au centre du temple,
dont l'atmosphère ambiant s'avère humide et mal aéré, la lumière n'y pénétrant
que par d'étroites lucarnes. Ballantine, avec l'aide de l'un des forestiers, décide
aussitôt de faire éclater un petit espace rempli de chaux et de cailloux à
l'aide d'une barre à mines.
Poussé par la
curiosité et sous l'œil attentif et combien impatient du professeur qu'une
sorte d'excitation sourde pince le cœur, Ballantine s'est agenouillé sans plus
attendre, pour coller un œil contre l'ouverture en éclairant partiellement les
lieux avec sa lampe-torche. Il en reste aussitôt muet durant quelques secondes
… Winter, qui ne peut contrôler son état d'énervement, le presse de
questions, réprimant même difficilement quelques mouvements d'impatience.
Ballantine vient
de se redresser. Il lui décrit alors une grande salle voûtée aux murs décorés
de reliefs en stuc, au centre de laquelle trône un énorme bloc sculpté qui la
remplit presque entièrement.
Sans plus
attendre, ils ont déplacé la lourde dalle condamnant la crypte.
Une vingtaine de
marches aux degrés usés et patinés par le temps y descendent.
Ballantine, suivi
du professeur, emprunte aussitôt l'escalier de pierre qui s'enfonce à une
douzaine de mètres sous le temple, où règne l'obscurité la plus totale.
Leurs torches électriques, dont la lumière a fait fuir précipitamment un
iguane, accrochent aussitôt le grand bloc,dont les côtés sont sculptés d'une
douzaine d'étranges personnages. Il repose sur huit supports, ornés eux aussi
d'étonnantes sculptures.
A leur plus vive
stupéfaction, l'œuvre décorée en bas-relief représente une grande
composition du cosmos. On y voit distinctement un être humain assis aux
commandes d'un véhicule spatial, la partie supérieure du corps penchée en
avant, comme celle d'un coureur motocycliste. En arrière de la proue pointue de
l'engin qui est représenté, de curieuses entailles cannelées figurent des
lumières d'admission. Puis le tout s'élargit et sa queue se prolonge par un
jet de flammes.
N'importe quel
enfant d'aujourd'hui comparerait sans aucun doute possible l'engin dans lequel
il est installé à une fusée. L'être représenté à l'intérieur de
l'habitacle est vêtu de pantalons moulants tenus par une large ceinture, d'un
blouson dont l'encolure dégage la nuque, très ajusté sur les bras et les
jambes. Il porte un casque muni d'un tube et sur le sommet figure quelque chose
ressemblant à une antenne. L'astronaute - car c'en est manifestement un - est
non seulement penché vers l'avant, mais il regarde avec attention un objet
suspendu devant son visage. Ses mains paraissent occupées à manipuler des
commandes, la droite semblant procéder à un réglage précis, la gauche tenant
un levier. Le talon gauche repose sur une sorte de pédale à plusieurs crans,
comme une commande au pied. Derrière le pilote, on reconnaît sans difficulté
le réacteur nucléaire. Deux atomes sont même représentés schématiquement
sans aucun risque d'erreur, probablement un atome d'hydrogène et un atome d'hélium.
Chose importante, la traînée du réacteur est représentée à la queue du
vaisseau, brisant la ceinture de glyphes qui court autour du bas-relief chargé
de caractères cette fois indéchiffrables par le professeur, qui s’est
contenté de prendre une série de clichés à l'appui de quelques notes. Les
Mayas paraissent avoir laissé ici le portrait de leurs "messagers du
ciel". Ce relief dans la pierre est bourré d'indications techniques
incompréhensibles et le professeur vient de se pencher sur des glyphes courant
sur la pierre.
- Les dieux
mayas, si l'on en croit ce texte, vinrent des étoiles, communiquèrent avec les
étoiles et retournèrent aux étoiles après avoir séjourné sur Terre...
rapporte-t-il avec une moue circonspecte.
Une monumentale
arcade en pierre soutenue par deux colonnes serpentiformes, la gueule au niveau
du sol, le corps constituant le fût et la queue soutenant le linteau, s'ouvre
sur une seconde salle. Elle présente des innovations architecturales tournant
presque toutes autour du thème du Serpent à Plumes. Au fond s'élève une
pyramide à cinq ou six mètres du sol. Chacune de ses faces représente des
corps de serpents, dont les têtes humaines reposent au pied de l'édifice.
Des sculptures,
disséminées aux quatre coins, figurent toutes des créatures serpentiformes,
soit à têtes bestiales, soit à têtes humaines, représentées dans différentes
positions. Un reptile encore plus énorme que les autres trône dans une
attitude hiératique. A ses côtés, des personnages à têtes de serpents, vêtus
d'un vêtement pour le moins futuriste, l'entourent et semblent l'acclamer.
Certains sont des sauriens complets, d'autres, moitié humain, moitié reptile.
Les gravures murales sont remplies d'annotations mystérieuses.
- Qu'est-ce que
tout cela veut dire ?… s'émeut le professeur d'une voix rendue rauque par l'émotion,
visiblement déconcerté.... Regardez Dany. Toutes ces sculptures et ces
bas-reliefs sont dédiés à la gloire, dirait-on, d'un roi ou d'un dieu serpent
!
Miguel, l'un des
deux métis qui les ont rejoints, vient de pousser un cri, assorti d'une grimace
de dégoût, tandis qu’il décroche vivement de sa chemisette une espèce de lézard
à six pattes qui s'y cramponnait. Mais leur attention est de nouveau accaparée
par une sculpture représentant des humains casqués, encore revêtus d'un
habillement futuriste. Ils brandissent des armes à rayons, semblant terrasser
des hommes-lézards aux allures belliqueuses. Des motifs ciselés figurent
d'autres personnages humains engoncés dans des espèces de scaphandres, aux côtés
d'êtres indéfinissables qui manipulent de singuliers appareils. L'autre pan de
mur fourmille littéralement de personnages aux masques grotesques, figés en
des attitudes invraisemblables et occupés à des tâches énigmatiques.
A quelles interprétations
cette étrange iconographie peut-elle donner lieu ? Quelles controverses
peut-elle bien susciter ? Là encore, elle est enrichie d'innombrables
indications chiffrées, plus mystérieuses et plus énigmatiques les unes que
les autres. Un peu en retrait, une stèle en pierre figure un autre groupe
d'humains, curieusement blottis les uns contre les autres. Leurs yeux exorbités
reflétent véritablement un sentiment de panique. Ils semblent craindre une
bande de lézards disposés en cordon, qui paraissent les garder ou tout au
moins les surveiller et qui contemplent, manifestement avec une certaine
contrainte, ces scènes hallucinantes.
Winter, le cœur
battant, sujet à une exaltation sans précédent, paraît de plus en plus
intrigué. A l'aide de sa torche, il examine avec la plus grande attention ces
sculptures d'une finesse exagérée ciselées dans la pierre, qui ont assurément
donné lieu à un travail de patience, long et minutieux, patiné par les siècles.
Soudainement,
devant eux, sur un socle, se dresse une silhouette d'une taille impressionnante,
dépassant les trois mètres, à corps humain recouvert d'écailles et à tête
serpentoïde couronnée. Son regard est glacial et dominateur. Elle tient un
sceptre décoré du globe terrestre et le chiffre huit en position horizontale
dans ses mains palmées. La créature pose l'un de ses pieds membraneux sur la tête
d'un personnage aux traits humains revêtu d'une combinaison de cosmonaute, qui
paraît se prosterner devant elle.
- Encore ce roi
serpent !... murmure Winter, en ravalant sa salive à plusieurs reprises.
- Mais ... Ce
truc est en métal !... s'étonne Ballantine en l'effleurant du bout des doigts.
- Vous avez ma
foi raison. C'est bien du métal !... constate à son tour Winter, stupéfait,
en caressant à son tour le magnifique ouvrage, dont la froideur de l'alliage le
fait un instant frissonner... Cette chose doit pourtant se trouver à cet
endroit depuis des millénaires ! ... Comment cette substance métallique
a-t-elle pu résister aussi longtemps ! C'est incroyable ! Elle est dans un état
de conservation stupéfiant et ne porte aucune marque de corrosion !
- Je crois que
rien en ces lieux ne sort de l'ordinaire professeur ... Cette effigie a été
fondue dans un métal obtenu à partir d'un alliage certainement inconnu sur la
planète. Il ne peut en être autrement. Un métal bien particulier d'ailleurs.
Car voyez … Les écailles du corps de cette chose paraissent curieusement
chargées d'un certain magnétisme frémissant au toucher.
- Ce qui
m'intrigue, c'est le fait que nous retrouvions partout ce roi serpent ! Sa tête
est couronnée et ce qu'il tient est à n'en pas douter un sceptre sur lequel
figure ... hum ... voyons ... oui, c'est la Terre. Ce qu'il a dans l'autre main,
rappelant le chiffre huit, représente certainement le symbole de l'infini.
Comme c'est étrange. L'artiste qui est à la base de cette réalisation a
certainement voulu fixer définitivement un événement important... gage Winter
d'une voix chevrotante... Mais que voulait-il donc signifier ?
- A moins que ce
ne soit une mise en garde adressée à l'humanité !... nuance Ballantine sur un
ton rempli de perplexité, en se passant une main ouverte dans sa courte
chevelure.
- Que voulez-vous
insinuer ?... suspecte aussitôt Winter, les sourcils en accents circonflexes,
plutôt déconcerté par cette supposition aussi imprévisible qu'inquiétante.
- Je l’ignore
encore professeur... s’interroge notre ami, l'air songeur, tout en caressant
du bout des doigts le corps monstrueux qui donne l'impression de vouloir quitter
son socle d'un instant à l'autre pour bondir sur les intrus... Néanmoins, je
me demande si toutes ces sculptures sont bien dédiées à la gloire du Serpent
comme vous le supposez. Ou si ... hésite-t-il, la moue réfléchie…
- Allez-y ! Précisez
ce à quoi vous pensez !
- Eh bien,
voyez-vous même professeur … Cette scène, par exemple, est on ne peut plus
significative … Elle représente des humains gardés par des créatures
reptiliennes. Leur attitude me paraît loin d'être équivoque. C'est clair. Ce
tableau reflète l'épouvante de ces gens vis à vis de ces créatures du
diable. Quant à ce roi serpent, il est évident qu'il semble imposer son
autorité et sa volonté à un personnage de nature humaine, curieusement revêtu
d'une combinaison de cosmonaute. On ne saurait s'y tromper, ce dernier paraît
se prosterner ou, selon moi, être asservi par cette horrible créature.
Bien que le
raisonnement de son ami ait quelque chose d'hallucinant, Winter semble tout à
coup admettre l'atroce mais incroyable réalité de la scène qu'ils ont sous
les yeux.
- Vous avez peut-être
raison, mais où voulez-vous en venir ?... insiste-t-il d'une voix éraillée,
visiblement troublé, voire carrément inquiet, appréhendant assurément la
justification des derniers propos de son ami.
- Je me demande,
à tort ou à raison bien évidemment, si les humains qui sont représentés ici
ne seraient pas tout simplement des vaincus subissant la loi du vainqueur... résume
Ballantine en se tournant vers son ami, qui a frissonné une nouvelle fois,
avant de détourner son regard de la statue de métal.
- Pour quelles
raisons donner une telle importance à des reptiles !... banalise alors ce
dernier d'un geste de la main, cherchant assurément à minimiser la chose.
- Je crois que
nous avons une fois encore affaire à un nouveau mystère professeur. Un mystère
qui ne me dit rien qui vaille... conclut Ballantine, sourcils froncés.
CHAPITRE III
Il est un peu
plus de 20 h 15. Les deux amis se sont retirés sous leur tente, tandis que
Diego s’affaire à la préparation d’un repas froid sous le refuge de
servitude, ses compères disputant une partie de cartes animée et criarde sous
l'auvent protecteur. Le martèlement de la pluie sur les feuilles produit un
bruit monotone, ne dérangeant pas pour autant nos deux lascars occupés à
faire le point sur leurs dernières découvertes.
Ballantine vient
de passer timidement le bout du nez par l'échancrure de leur guitoune. Il
constate avec satisfaction que le ciel est redevenu clair et limpide. L'averse a
cessé, sans toutefois rafraîchir l'atmosphère pourtant déjà chargée et étouffante,
mais la rendant plus lourde encore. Il se décide à faire quelques pas à l'extérieur,
rejoint presque aussitôt par le professeur qui étouffe un bâillement en enfonçant
la flamme craquante d'une allumette dans le fourneau de la courte pipe en écume
qu'il vient de préparer.
La pluie tiède a
fait exhaler à la terre des parfums poivrés et les Mexicains se sont réunis
autour du feu de camp qu'ils ont allumé, afin d'éloigner d'éventuels
carnassiers. Ils poursuivent leur partie de cartes, sans plus se préoccuper de
leurs employeurs temporaires.
- Vous avez
entendu ?... marmonne-t-il le regard figé.
- Chut professeur
!... souffle Ballantine en tendant l'oreille, avec un geste évasif de la main
assorti d'un imperceptible froncement de sourcils.
Un silence
presque tangible s'installe un instant entre les deux hommes, aussitôt perturbé
par les rires bruyants des Mexicains, toujours occupés à disputer leur partie
de cartes endiablée.
- Il m'a semblé
entendre quelque chose... insiste néanmoins Winter, dans un murmure quasi
inaudible.
Sur un nouveau
signe de son ami qui s'éloigne silencieusement du camp en direction de la forêt
toute proche, ce dernier a cette fois cessé tout commentaire.
Ballantine vient
de marquer un temps d’arrêt à la lisière de la jungle, une flamme d'inquiétude
dans le regard, tandis que Winter s'approche timidement à son tour.
Le silence leur
paraît soudain plus lourd, plus oppressant...
- Mais que !
- Chut
professeur... l'interrompt une nouvelle fois Ballantine, en lui retournant un
regard sévère.
Un léger
bruissement de feuillage, presque imperceptible, n'a cependant pas échappé à
l'ouïe fine de celui-ci.
- Nous ne sommes
pas seuls... glisse-t-il au creux de l'oreille de son ami.
Ce disant, il lui
pose doucement la main sur l'épaule en exerçant une légère pression. Bien
que la végétation dense ne laisse filtrer que peu de lumière, il lui désigne,
d'un mouvement du menton, l'objet de sa prévenance, la chose qui vient d'arrêter
son regard ...
Une profonde
lueur verdâtre se faufile furtivement entre les arbres, une forme imprécise et
ahurissante. Elle a traversé leur champ de vision en un éclair, avant de se
fondre dans la nuit.
Winter semble
transformé en une véritable statue de marbre, figé, paralysé, la main gauche
sur le fût de son brûle-gueule, dans une position qui prêterait à sourire en
d'autres circonstances. Tous les sens en alerte, Ballantine a l'œil rivé vers
l'endroit où s'est dirigée l'étrange apparition, guettant à présent le
moindre signe de danger.
La sensation
d'une mystérieuse présence se fait de plus en plus sentir. Ils éprouvent en même
temps la désagréable impression d'être observés par cette présence indécelable,
mais néanmoins bien réelle. L'air semble tout à coup terriblement pesant et
comme un fait exprès, des insectes agaçants voltigent en bourdonnant à leurs
oreilles, contrariant leur concentration.
Ils ont de
nouveau sursauté ...
Un grondement
bizarre vient de retentir à quelques pas seulement de l'endroit où ils se
trouvent, leur donnant à chacun le sentiment qu'un fauve se tient à l'affût,
tapi près du campement.
Un pli de
contrariété a barré le front dégarni du professeur et Ballantine a senti une
angoisse étrange étreindre son cœur comme un étau.
Nul ne pouvait
soupçonner le drame qui guettait les explorateurs de cette ténébreuse
aventure, isolés au sein de cette terre mystérieuse des Mayas-Quichés. Ils étaient
certainement loin d'imaginer qu'ils allaient faire la plus extraordinaire, la
plus fabuleuse des découvertes, celle qui allait changer le cours de leur
existence.
Le danger, ils en
sont subitement conscients, est incontestablement présent. Aussi Winter
n’a-t-il pas tardé à réagir … Il s’est prudemment reculé en invitant
son ami à l'imiter d'un signe de la main.
- Restons près
des autres. Il y a des fauves qui rôdent aux alentours... halète-t-il.
Pour toute réponse,
Ballantine a amorcé un geste de contrariété. Il n'obtempère pas pour autant.
Il s'est néanmoins emparé d'une solide branche qu'il brandit comme une massue
et signifie à son ami de refluer vers le campement comme celui-ci en avait
l'intention. Puis, d’un pas feutré, il se dirige résolument vers les
premiers fourrés ...
Il en est à
moins de quelques mètres, lorsqu'un souffle rauque lui fait cesser tout
mouvement. Le cœur battant, il s’est retourné vers le professeur, qui ne s'était
guère éloigné que de quelques mètres. Ce dernier a aussitôt remarqué son hésitation
ainsi que son brusque changement d’attitude. Une angoise insurmontable semble
l’assaillir à son tour. Mais ils viennent de sursauter … Un rugissement
sourd se propage soudainement dans la jungle, répété et roulé par l'écho,
dont l'origine semble toute proche.
Quelque chose est
bien là ... Quelque chose de monstrueux, tapi dans l’invisible ... Et qui
attend ...
Un réflexe
approprié, ou plutôt l'instinct de conservation, pousse rapidement Ballantine
à prendre l'unique décision qui puisse s'imposer dans ce genre de situation :
La fuite. Aussi met-il aussitôt un terme à sa curiosité en tournant
rapidement les talons, pour rallier rapidement son ami, qu'un long frisson
parcourt déjà de la tête aux pieds.
Les Mexicains ont
eux aussi perçu le cri rauque. Ils ont promptement interrompu leur partie de
cartes et deux d'entre eux se sont déjà emparés de leurs machettes. Tous se
portent aussitôt au devant des deux imprudents, qui ne tardent d'ailleurs pas
à les rejoindre.
Winter, le teint
livide, a bredouillé quelque chose, qui très probablement équivalait à une
tentative de remerciement.
- Nous l'avons
... échappé ... belle ... ajoute-t-il d'une voix haletante et saccadée, plus
émotionné qu'essoufflé par cette brusque épreuve forcée et inattendue.
- Une bande de
pumas ou de jaguars doit être à l'affût quelque part aux alentours du
campement... hasarde Ballantine, en se passant nerveusement une main ouverte
dans les cheveux.
- No Sénor, no,
ça pas être cri pouma ! Pas être cri jaguar no plus Sénor. Ca pas être bon
dou tout... souffle Miguel, l'un des Mexicains, en se signant à plusieurs
reprises, l'œil dilaté par une frayeur naissante.
- Mais qui
veux-tu que ce soit ? Le diable en personne peut-être !… raille Ballantine
avec un rire sans joie ; un de ceux qui sonnent faux, tout en haussant les épaules.
La boutade paraît
laisser le dénommé Miguel impassible, car il se presse de répéter
inlassablement et avec une certaine insistance les mêmes mots ... Ca pas bon,
pas bon dou tout ! ... Malo ! Malo ! (mauvais)
Winter et
Ballantine ont échangé des regards désabusés et tous se sont mis sous la
protection du feu de camp qui crépite dans l'obscurité naissante et que l'un
des Mexicains s’est pressé de recharger en jetant à plusieurs reprises des
branches mortes au centre du foyer. C'est à cet instant précis que Ballantine
ressentit une impression étrange, indéfinissable, mais parfaitement
insupportable. Tous semblant partager la même angoisse.
- Ne nous inquiétons
pas outre mesure Dany. Les Guatémaltèques ont toujours considéré le Peten
comme un territoire mystérieux, légendaire et même vaguement terrifiant.
D'ici demain, nos compagnons auront retrouvé le moral... tente
d'argumenterWinter sur un ton se voulant rassurant, devant l'expression contrariée
de son ami.
Ce dernier semble
néanmoins faire fi de la remarque adressée par le professeur. Il est allé
prendre ses jumelles et inspecte à présent minutieusement les abords de la
jungle. Il est conscient qu'un mystérieux danger les guette, tapi là-bas,
quelque part aux alentours, attendant le moment propice pour se manifester et
les surprendre. Mais l'obscurité qui envahit peu à peu la jungle, met
rapidement un terme à son observation.
Le repas du soir
s'est toutefois déroulé dans une ambiance détendue, les chicleros ayant noyé
leur angoisse à l'aide d'une bouteille de tequila, bien que l'incident n'ait
pas pour autant permis de tranquilliser Winter et Ballantine. Ce dernier a pris
la décision de veiller sur le campement jusqu'aux premières lueurs de l'aube,
ne pouvant se fier ou même compter sur le concours des Mexicains. La moitié
d’entre eux, victime des traîtrises de Bacchus (*), sont d'ailleurs déjà
partie faire un tour du côté des vignes du Seigneur, leurs ronflements
raisonnant à travers la forêt en faisant foi. Le professeur a bien insisté
pour lui tenir compagnie, mais le déroulement des derniers événements a
passablement diminué ses facultés, tout en portant atteinte à ce qui lui
reste de vitalité.
Il règne
toujours une atmosphère d'étuve malsaine. Ballantine ne se sent pas à
l’aise. Il veille sur le sommeil de ses compagnons d’un œil inquiet, assis
à même le sol près du feu de camp, qu'il recharge avant que le besoin ne s'en
fasse sentir. Sa carabine "22 long rifle" automatique est installée
sur ses genoux, au cas où, et les pinceaux de sa torche électrique fouillent
de temps à autre les alentours avec insistance. Mais la mystérieuse présence,
objet de leur inquiétude, paraît ne plus vouloir se manifester. Seul le crépitement
du bois livré aux flammes résonne dans la nuit.
Vers les quatre
heures du matin, Juan, quelque peu remis de sa "cuite" mais ne
paraissant toutefois plus se trouver sous l'emprise des vapeurs d'alcool, s'est
proposé pour le remplacer. Bon gré, mal gré, notre ami qui luttait déjà
depuis un long moment pour ne pas s'assoupir, a tout de même consenti à
rejoindre Winter qui dort du sommeil du juste sous la tente.
(* Bacchus : dieu
grec de la vigne, du vin et du délire extatique)
CHAPITRE IV
Ce sont les cris
tonitruants d'une bande de perruches aux multiples couleurs, qui ont éveillé
Ballantine. Il s'étire aussitôt comme une chatte, les yeux encore gonflés de
sommeil. Sans quitter sa couche, il secoue le professeur qui râle un court
instant, avant de se décider à entrouvrir timidement une paupière.
Sitôt sur pied,
il écarte la moustiquaire et tend le bras vers la malle métallique qui lui
sert de table de chevet, pour consulter rapidement sa montre qui lui indique
qu'il est déjà huit heures un quart. Sa réaction est alors instantanée ...
Il s’est détendu
comme un ressort pour bondir à l'extérieur, où le Tropique lui souffle
brutalement au visage son haleine brûlante. Tout en se grattant le cuir chevelu
et en étouffant un dernier bâillement, il constate avec surprise la présence
d'un tapir au milieu du camp, ce monstre doté d'une trompe, mi-sanglier, mi-éléphant,
que les Indiens du Guatemala chassent avec une sarbacane. Le timide mammifère,
qui paraît trouver à son goût l'herbe tendre de la clairière, n'accorde même
pas un regard au bipède surgi de sa maison de toile. Il continue de brouter en
toute impassibilité, complètement indifférent à la présence de cet intrus,
qu'il considère assurément sans aucun intérêt particulier.
Ballantine lui
rend toutefois son désintéressement en détournant rapidement leregard,
constatant avec contrariété que Juan n'est pas à son poste ! Pourquoi ne les
a-t-il pas réveillés ? Il sait pourtant bien qu'ils ne sont pas ici pour faire
la grâce matinée ! Que le moment n'est pas à paresser au lit ! Puis, les
curieux événements impondérables qui se sont produits la veille l'assaillent
aussitôt … Son regard s’est porté en direction du mur vert de la forêt,
à l’instant où Winter fait à son tour son apparition. Bâillant comme une
carpe, quitte à s'en décrocher la mâchoire, ce dernier semble néanmoins
surpris de ne pas humer, comme d’habitude, l'agréable parfum de son breuvage
matinal préféré, le thé.
Avec un
froncement de sourcils, Ballantine s’est emparé rapidement de ses vêtements,
cherchant vainement des yeux la présence de Juan. Il fait aussitôt part de son
inquiétude au professeur. Ce sentiment est à son comble et fait même place à
de l'appréhension, lorsqu'il découvre la carabine abandonnée près de
l'endroit où crépitait la veille au soir le feu de camp, visiblement éteint
depuis longtemps par défaut de combustibles, à en juger par l'amoncellement de
cendres froides en un résidu grisâtre déjà solidifié.
- Cet animal a un
de ces toupets !... sourit Winter en apercevant le tapir qui, cette fois, a pris
la fuite en direction de la forêt, galopant aveuglément droit devant lui,
provoquant à son tour l'envol précipité d'un quetzal, cet oiseau d'une rare
beauté, emblème du Guatemala.
- L'un d'entre
vous sait-il où est Juan ?... questionne aussitôt Ballantine, les poings sur
les hanches, planté devant les trois lascars, d'une voix marquée par une légitime
appréhension.
Les trois compères
semblent avoir reçu le ciel sur la tête. Ils sortent sans aucun doute d'un
sommeil lourd et ont visiblement la gueule de bois. L'un d'eux hésite un court
instant, promène un regard ahuri autour de lui, rejette en arrière la mèche
qui lui barre le front …
- Juan ? ... Qué
Juan ? ... Ah Juan !… bredouille-t-il d’une voix pâteuse, quasi
inintelligible, les yeux hagards. Puis, le regard errant une nouvelle fois au
hasard, il dévisage ses acolytes qui, avec un mouvement d’ensemble des plus
significatifs, se sont contentés de hausser les épaules. L'un d'eux esquissant
même une moue évasive.
Ballantine a ébauché
un geste trahissant son impatience, croisant les bras en prenant un air déterminé.
- Alors quoi !
Sacré bon sang, ne me dites pas qu'aucun d'entre vous ne sait où est passé
Juan !... s'écrie-t-il cette fois d'une voix sévère et contrariée, une
flamme d'inquiétude de plus en plus vive brillant dans ses prunelles.
Devant l'air hébété
des trois comparses, il a haussé les épaules, dépité, préférant ne pas
insister avant de se rendre à l'angoissante réalité … Le dénommé Juan a
bel et bien disparu. Conscient de l'incident de la veille au soir, il est
impensable qu'il se soit aventuré seul dans la forêt, délaissant même son
arme au mépris du danger. Un malaise indescriptible s'empare alors de tout son
être. Cette jungle devient soudain pour eux l'enfer même de la solitude et de
l'angoisse. Le professeur ne trouve même plus une parole réconfortante en
cette circonstance alarmante, son visage ne reflétant qu’une expression
tendue et grave