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                                                                                            partie 2



Que les cas de prédécesseurs illustres 
[28] qui sont entrés dans la carrière bien avant nous, ne soient pas forcément considérés comme une apologie ou un exemple à suivre, mais bien au contraire plutôt comme des cas à méditer. Cas d’école pour les élèves des Mines et autres grandes écoles, cas d’étude quant aux nombreux explorateurs urbains actuels (divers mémoires, thèses et autres ouvrages sont désormais consacrés au sujet tant en France qu’aux USA) qui eux « entrent dans la carrière » alors que certains aînés y sont encore.  

Tant que la fréquentation est respectueuse des lieux il n’y a rien à redire. Précisions toutefois que la très grande majorité des dégradations définitives et autres destructions irrémédiables (par remplissage de coulis d’injection par exemple) ont presque toujours été le fait d’entreprises bétonnières sous couvert d’une administration pas spécialement plus respectueuse. Que ces entités en prennent conscience un jour, est un souhait dont on espère qu’il ne restera pas à l’état de vœu pieux.

Ce n’est pas, bien évidemment, le nombre qui est intrinsèquement nuisible, c’est la valeur de la personne qui peut l’être (ce n’est pas de la « foule » comme un tout indissociable qui fréquente le Parc Montsouris ou le métro parisien que viennent les dégradations, mais des quelques individus peu respectueux qui s’y mêlent) ... à cela s’ajoutant la moralité de la société qui a perdu nombre de ses valeurs de référence, dont sa valeur autoréférante : toute morale !

En effet sous la capitale, depuis quelques temps, lors de travaux réalisés par des entreprises ou des institutions amenées à circuler dans ce milieu souterrain parisien, on constate l’apparition de flèches à la bombe de peinture (photos DR). 

                   Dans ce milieu souterrain parisien, on constate l’apparition de flèches à la bombe de peinture

Comme si les plans existants et disponibles partout (http://www.explographies.com)) pour se déplacer ne suffisaient pas ! D’ailleurs des autorités officielles utilisent aussi parfois ces plans, quand cela les « arrange ». Le cheminement des entreprises est donc matérialisé par un balisage à la peinture, sur les magnifiques parois en pierre calcaire des galeries qui datent du XVIIIe siècle. Cela est d’autant plus inexplicable que ces entreprises sont accompagnées par du personnel de l’IGC pour leur premier passage sous Paris, et que c’est ce service – le premier du genre dans le monde – qui est à l’origine de la cartographie souterraine parisienne, régulièrement mise à jour, et qu’il dispose lui-même de ces plans en tant que de besoin. S’il faut impérativement laisser des marques à la peinture, pourquoi ces marquages ne sont-ils pas réalisés sur le sol comme en surface ? Ils perdureraient le temps du chantier. Que dirions-nous si lors de travaux de voiries les entreprises intervenantes bombaient les façades des immeubles haussmanniens ou autres pour matérialiser leur chantier ? C’est bien sur les trottoirs que les bombes de peinture sont utilisées dans ce cas ! Pendant encore combien de temps l’autorité municipale et les services compétents, laisseront-ils se perpétuer ce crime imprescriptible vis-à-vis du patrimoine de l’Humanité que représentent les anciennes carrières souterraines de la Ville de Paris, se répéter impunément ce vandalisme institutionnel ? Mais pourquoi cela ne serait-il que du domaine de l’utopie ?

Et que l’on n’argumente pas en disant que l’actuelle Inspection générale des carrières est un service technique  loin des contingences archéologiques. Il semble bien qu’il y ait une personne diplômée d’archéologie (un DEA), mais qui bizarrement n’aurait jamais mis ne serait-ce qu’un pied sous Paris (encore moins les deux) depuis son recrutement ; en tout cas personne ne l’y a jamais vue.

Comme le dit l’introduction à Sous Paris ça grouille dans « L’Écho des Savanes », n°14 (nouvelle série) de 1984 : « Tous les samedis soir des centaines de jeunes descendent sous les pavés. L’aventure, le mystère, un jeu magique, un continent perdu et vierge où les sensations basculent et où les fantasmes se déchaînent ». Partons-y à la recherche de l’ombre de Bob Morane et Bill Ballantine. Mais comme le dit Scott Carey (Grant Willams) dans le film science-fictionnesque The incredible shrinking man : « But now, stretching underneath before me, I found a deeper gulf ; it was only a box and a space between, but to me it was the Grand Canyon and the
Mammoth cave combined : deep, dark, mysterious and dangerous ! » Les carrières de Paris, nos carrières souterraines sont définitivement à la mesure de Mammouth Cave : « Il y avait bien là, je l’avoue, de quoi me détourner des découvertes que je voulais faire, et comme je n’avais pas d’ailleurs beaucoup de temps à consacrer à ces amusements, je résolus de laisser à d’autres plus heureux et plus hardis l’honneur de découvrir le terme de ces souterrains extraordinaires, où l’on a constaté jusqu’ici : deux cents vingt-six avenues, cinquante-sept dômes, onze lacs, sept rivières, huit cataractes, trente-deux puits ou plutôt trente-deux abîmes dont quelques-uns sont d’une profondeur et d’un diamètre extraordinaires. […] Quel que fatigant qu’ait été mon séjour dans les grottes, je crois pouvoir affirmer qu’aucun spectacle, même celui des chutes du Niagara, ne m’a autant frappé, au milieu des merveilles naturelles si fréquentes aux Etats-Unis, que ce long voyage dans les entrailles de la terre, où il me semblait voir à chaque pas s’ouvrir devant moi un nouveau monde [29]. »

Rappelons néanmoins que depuis le 2 novembre 1955 un arrêté interdit toute pénétration et circulation dans les anciennes carrières souterraines de la Ville de Paris sans autorisation, et qu’en conséquence tout contrevenant est susceptible d’être verbalisé et d’avoir à s’affranchir du montant d’une contravention pour avoir outrepassé la loi.

[28]
Henri Poincaré, l’un des plus grands scientifiques français que la terre de France n’a jamais porté, Louis de Launay, organisateur des expositions souterraines lors de l’Exposition Universelle de 1900, Henry Le Chatelier, célèbre chimiste à l’origine de certaines lois sur les gaz, etc.

L’origine de cette (en)quête sur « les catacombes de Paris » dans l’univers Vern(es)ien [30]

L’une des raisons de cette recherche, est bien évidemment d’avoir été (mais on revient toujours sur les lieux de ses crimes) un lecteur fasciné par la précision documentaire de Henri Vernes et les aventures de Bob Morane. À cette occasion, il me revient à la mémoire [31] que j’ai même acheté la première lampe stylo vendue dans le commerce [32], et donc bien avant l’apparition du merchandising publicitaire nous abreuvant d’objets dérivés à partir de personnages à succès, phénomène qui a gagné même l’incorruptible commandant, qui doit en passer de dépit le peigne de ses doigts écartés dans sa chevelure noire. Mais l’élément déclencheur incontestable, fut d’apprendre qu’il y avait deux épisodes de la série télévisuelle des années 60’s dont des passages avaient été tournés dans d’anciennes carrières souterraines d’extraction de calcaire (les 26 épisodes de la série TV furent diffusés initialement de mars à décembre 1965 à la télévision française (selon une source INA ; merci Béa  !).

Le premier des deux décors était facile à identifier et localiser puisque des images du tournage agrémentent le livre « Bob Morane & Henri Vernes » de Jacques Dieu paru en 1990 chez Glénat. Dans cette étude, on apprend que le tournage du « Temple des Crocodiles » eut lieu dans les carrières des Baux de Provence, pour cet épisode diffusé le 27 juin 1965. Nous apprenions par la même occasion que dans un autre épisode ce sont les « catacombes de Paris »

[29] « Visite aux grottes de Mammouth dans le Kentucky (États-Unis) », par M. Poussielgue, récit paru en 1863 dans Le Tour du Monde, pages 23-29.
[30] Vernesien et non pas Vernien afin qu’il n’y ait pas de confusion avec Jules Verne, pour lequel on pourrait faire une étude similaire, Les sous-sols dans l’univers vernien, univers dans lequel les « catacombes de Paris » sont présentes ne serait-ce que dans Paris au XXe siècle.
[31] « Il arrive pourtant qu’elles reviennent, quelques années plus tard, intactes et minuscules, par hasard ou parce qu’on les a cherchées, un soir, entre amis : c’était une chose qu’on avait apprise […], un geste, ou quelque chose d’encore plus mince, d’inessentiel, de tout à fait banal, miraculeusement arraché à son insignifiance, retrouvé pour un instant, suscitant pendant quelques secondes une impalpable petite nostalgie », quatrième de couverture de « Je me souviens » de Georges Perec.
[32] Cette fameuse « petite lampe stylo que Morane avait toujours sur lui, agrafée à la poche intérieur de sa veste » selon Les Masques de soie. Cette lampe stylo aura toujours pour nous la saveur d’une « Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules… ».

qui servirent de décor. Ici catacombes est mis entre guillemet par prudence, comme si nous parlions des anciennes carrières souterraines de la Ville de Paris, puisque ce terme est généralement employé abusivement pour désigner l’ensemble des galeries de carrières qui serpentent sous la capitale. La probabilité que le décor utilisé soit les Catacombes avec une majuscule, i.e. l’ossuaire général de la Ville créé en 1786 dans une partie de ces carrières, est presque une certitude à 100% ; mais soyons prudent jusqu’à preuve du contraire, on ne sait jamais ! En effet, si à l’époque il était quasiment exclu de tourner sous Paris en dehors des Catacombes, et c’est pratiquement encore toujours le cas aujourd’hui, la désignation par le public et les médias de catacombes de Paris pour évoquer un décor souterrain dans les anciennes carrières de Paris ou en proche banlieue est courante. Nous ne prendrons que les deux exemples les plus emblématiques entourant les dates de diffusion de Bob Morane : Le Trou (de Jacques Becker et José Giovanni) filmé à partir du 21 juillet 1959 dans les anciennes carrières souterraines du fort d’Ivry-sur-Seine, et les Gaspards (de Pierre Tchernia et René Goscinny) dont le tournage débuta en juillet 1973. Il suffit pour cela de se reporter aux critiques publiées lors de la sortie du second de ces « films de souterrains » qui font références. Télérama du 9 février 1974 va par exemple même jusqu’à titrer : « Les Gaspards. Cent gags dans les catacombes », ou L’Humanité parler des « catacombes, les “trous” de ce “gruyère” que sont les étages inférieurs de Paris ».
                                                                                                                            
                       Le Trou ( de Jacques Becker et José Giovanni )                    les Gaspards  ( de Pierre Tchernia et René Goscinny )

Maintenant, au vu des nouveaux moyens techniques actuels et de la miniaturisation qu’a entraînée le développement du numérique (même pour les nouvelles caméras HD), ce genre de tournage serait parfaitement réalisable dans les galeries d’anciennes carrières sous Paris, même pour des fictions de cinéma inimaginables à l’époque, mais que l’on pourrait envisager de tourner aujourd’hui… même dans l’ossuaire municipal. Par exemple, il a été réalisé pendant un jour normal d’ouverture au public un tournage érotique, au cours duquel l’actrice s’est entièrement déshabillée, les visiteurs n’ayant rien vu, ne parlons pas des « gardiens » ! Ceci sans parler d’un autre tournage ayant eu lieu un jour chômé, et donc avec l’aval de la « conservation » du site qui avait signé pour de simples photos artistiques. Pour se convaincre de la multiplicité des « réalisations » vidéo, il suffit de jeter un œil sur Dailymotion ™ ou YouTube ™ sites sur lesquels il est possible de visionner du très mauvais (images floues pour ne pas dire absentes, scénario improbable voire inexistant), mais aussi quelques court-métrages et docu-fictions parfaitement aboutis, même l’un auquel l’ancien conservateur des Catacombes a donné sa caution puisqu’il y est interviewé. Jusqu’à présent, les films de cinéma qui éprouvent le besoin d’un décor souterrain artificiel (pour mettre sur pellicule un imaginaire catacombesque parisien ou non) se tournent soit en banlieue (à Nucourt par exemple http://www.domainedenucourt.com, cas du blockbuster français « OSS 117 » avec Jean Dujardin, soit dans des décors reconstitués en studio dans les pays de l’Est, cas de « Catacombs » avec Pink). Donc ce n’est pas parce que c’est formellement interdit qu’un tournage, en off bien entendu, est impossible… mais je ne vous ai rien dit ! Il ne faut pas oublier que le premier film marquant de Luc Besson, « Le dernier combat » fut entièrement tourné clandestinement dans des usines désaffectées [33] et que ce film obtint non seulement plusieurs prix, mais il lança aussi les carrières que l’on connaît de Jean Réno et de Luc Besson, jusqu’à la création de sa société EuropaCorps ™ et la construction de la Cité du Cinéma dans l’ancienne centrale électrique désaffectée de Saint-Denis, bouclant ainsi une boucle d’énergie !

[33] Luc Besson : « Aventure et découverte d’un film : l’histoire du Dernier Combat », chez Pierre Bordas et fils.
Voici des
images du tournage du Temple des Crocodiles, dans une carrière des Baux-de-Provence (celle-ci provient de la collection particulière et privée de l’un des nombreux fans de Bob Morane).

                                                                             
                                  Images du tournage du Temple des Crocodiles, dans une carrière des Baux-de-Provence

Le cas de l’épisode dans les carrières des Baux-de-Provence [34] étant réglé plus vite qu’il n’en faudrait à Bob Morane pour mettre à bas deux ennemis, restait à trouver l’épisode ayant intégré les catacombes de Paris, ou bien comme on l’espère et le pense les Catacombes de Paris (= l’ossuaire des Catacombes) s’il n’y a pas tromperie sur la marchandise [35].
Après quelques échanges épistolaires virtuels avec différents spécialistes de Bob Morane (tant icitte au Québec, qu’en France ou en Belgique), il s’avéra que la partie n’était pas gagnée d’avance : personne n’avait repéré l’épisode en question. Il me fut alors conseillé de relire « Formule X33 » (n°214 chez Marabout junior [36] © 1962).
La fin souterraine frustrante de « Formule X33 », dévoilée au grand jour
Si effectivement la fin de l’histoire de ce roman se déroule dans les sous-sols du Trocadéro, ce n’est malheureusement pas dans les anciennes carrières souterraines, qui représentent donc dans cet arrondissement à peine un développé de 7 km. Pourtant, s’il était passé par les galeries des « catacombes du 16ème arrondissement
 [37] », il aurait suffit à l’Espion Invisible d’ouvrir une porte oubliée dans une cave du Palais de Chaillot pour accéder aux réserves du Musée de l’Homme où est tapi Morane. Il n’aurait donc pas eu à soulever un tampon, d’un poids relativement similaire à ceux des égouts  http://ktabreizh.lhermine.com/tracts/pesageplaques.pdf), mais Henri Vernes seul maître à bord (et heureusement !) en a décidé autrement.
Les trappes en fer étaient utilisées pour les regards sur chaussée, mais furent remplacées par des trappes en fonte lors du report des regards sous trottoir. Celles qui sont maintenant utilisées sont en fonte et bitume et pèsent 360 kg au total … mais seulement 135 kg pour le tampon « mobile ». Extrait de « Assainissement des Villes, et Égouts de Paris », par A. Daverton (ingénieur TP de la Ville de Paris / Service des égouts) © Paris Dunod 1922.

  Les trappes en fer étaient utilisées pour les regards sur chaussée, et  remplacées par des trappes en fonte 


C’est donc dans un autre réseau souterrain que va se dénouer l’intrigue, le réseau des égouts développant actuellement un linéaire de 2430 km, soit dix fois les 250 km de galeries de carrières souterraines, selon ce que l’on peut déduire des données officielles. Un seul réseau de carrières au monde peut s’enorgueillir de damner le pion aux égouts parisiens, les catacombes d’Odessa [38]. Mais reconnaissons que le secteur retenu pour le dénouement de l’aventure de Bob Morane est plutôt du genre « dessus du panier » de l’assainissement parisien, puisque ce ne sont rien de moins que les égouts du 16e arrondissement (un quartier chic) au niveau du palais de Chaillot (un bâtiment prestigieux) : à arrondissement chic, égouts chocs. Et l’on n’en sortira pas ; enfin si, Bob en sortira, mais son parcours infra-parisien dans le réseau d’assainissement ne quittera pas les limites de cet arrondissement (voir le plan de détail ci-après). Il aurait donc pu tout aussi bien se déplacer dans le réseau de galeries des anciennes carrières situé encore une dizaine de mètres au dessous.

[34] Un autre tournage eut lieu dans la carrière du Val d’Enfer aux Baux-de-Provence à la fin des années 50’s (http://www.cathedrale-images.com/fr/accueil.htm) : « Le Testament d’Orphée », film testament de Jean Cocteau, tourné en 1959 … comme le fut également « Le Trou » tourné par Jacques Becker dans les sous-sols de la région parisienne. Anecdotiquement, donnons le nom de cette carrière décor du « Testament de Cocteau » : le Val-d’enfer. L’enfer, nous n’en sortirons pas alors que nous n’y sommes pas encore entré … dans celui de Denfert !
[35] On verra à la suite de la révélation finale, que nous n’en étions finalement pas si loin … mais pas complètement !
[36] Notons que cette collection Marabout junior permit de publier un certain nombre d’écrits relatant les aventures de spéléologues, dont entre autres celles de Norbert Casteret. L’illustration des couvertures de cette collection est pratiquement toujours de Pierre Joubert, qui illustra également « Pas de chewing-gum pour Pataugas », une des enquêtes de Chat Tigre, écrite par le binôme signant Mik Fondal, et parue en 1957 dans la collection Signe de Piste. Cette aventure scoute se déroule aussi en partie dans les Catacombes et carrières de Paris.
[37] En 1899, Louis de Launay (un esprit cartésien s’il en est car polytechnicien et ingénieur des Mines) et le célèbre spéléologue Édouard Alfred Martel visitèrent ce site, qu’il était déjà usuel de dénommer « les catacombes du Trocadéro », et dans lequel ils allaient organiser les deux expositions souterraines de 1900 (d’après le « Répertoire chronologique de la vie de Martel » publié dans « La plume et les gouffres » édité en 1997). De Launay parle quant à lui des « vastes catacombes du Trocadéro » Ce terme erroné est donc bien d’un usage courant, même pour des carrières non connectées à l’ossuaire de la place Denfert-Rochereau, et ici l’obstacle naturel et irrémédiable situé entre les deux n’est rien d’autre que la rivière de Seine !

                                                                                                       
         Plan de localisation des anciennes carrières souterraines                 Ligne métropolitain n°12 entre Lamarck et Abbesses


Plan de localisation des anciennes carrières souterraines (collection particulière). Il n’y a effectivement pas de galeries parcourables sous tout Paris, tout ceci étant plus qu’intimement lié à la géologie de la capitale. On peut oublier les anciennes carrières à plâtre des buttes géologiques témoins que l’on trouvait au niveau de Montmartre, Ménilmontant et les Buttes-Chaumont. Ces carrières ont effectivement été foudroyées (= détruites par explosion) à la fin de leur exploitation, donc plus rien n’est accessible ; excepté la superbe grotte du parc des Buttes-Chaumont qui a été aménagée au niveau d’une ancienne bouche de cavage d’une carrière de gypse et romantisée par adjonction de stalactites de ciment. En revanche, pour les adeptes des transports en commun parisiens et souterrains, il vous est possible d’imaginer lors de votre périple sur (dans) la ligne du métropolitain n°12 entre Lamarck et Abbesses, que vous traversez réellement d’anciennes carrières souterraines. (Illustration provenant de « Paris capitale souterraine ») En dehors des carriers et des amateurs de fossiles marchant dans les pas de Cuvier, les seules personnes ayant fréquenté ces cavages de gypse sont des gouapeurs, tire-laines et autres malandrins (voir à ce sujet « Les Mystères du nouveau Paris » de Fortuné de Boisgobey paru chez E. Dentu en 1876).
Comme dit précédemment, les seuls arrondissements concernés par des galeries parcourables à pied sont principalement les 5e, 6e, 14e, 15e (constituant le Grand Réseau Sud ou GRS), le 13e… et donc le 16e, qui eut son heure de gloire il y a un peu plus de cent ans. Dans le réseau principal de ces carrières du 16ème arrondissement (il en existe en effet un petit tout autour de la place du Costa Rica), plusieurs particularités étaient intéressantes :

1°) Une galerie dans laquelle il était possible de voir des inscriptions manuscrites datées de 1788 et 1789. Ces traces écrites signifiaient que la mise en sécurité du site avait été réalisée par les ouvriers d’ateliers de Charité [39], remplissant les vides des anciennes carrières souterraines par des bourrages maintenus en place par des hagues (des murs en pierre sèche) chaînées par des « piliers à bras ». Durant l’été 2007, la galerie de servitude édifiée pour surveiller l’évolution du secteur a été irrémédiablement remplie de béton pour des raisons que nous n’osons imaginer, et aucune couverture photographique n’a été ni effectuée au préalable par les autorités, ni autorisée. Ce genre d’attitude (la destruction volontaire d’un patrimoine historique fondement de l’humanité) pourrait être similaire au saccage des bouddhas géants en Afghanistan (vallée de Bamiyan en 1998), à la différence près que dans ce précédent cas, la destruction avait été commandée par des raisons religieuses, tandis qu’ici on ne peut même pas parler d’intégrisme intellectuel, ce qualificatif faisant référence à une quelconque intelligence, si infime soit elle. De plus, il existe de très nombreuses photographies des feues statues afghanes, ce qui est on le conçoit une piètre consolation, tandis que pour les exceptionnels vestiges souterrains du XVIIIe
siècle qui étaient miraculeusement parvenus jusqu’à notre ère de l’image (numérique ou non), il n’en existe que quelques très rares
photos prises clandestinement par des cataphiles, mais aucun inventaire exhaustif, aucune étude sérieuse ! Ce comportement est non seulement irrespectueux vis-à-vis de notre patrimoine national, mais aussi purement et tout simplement criminel car détruisant des chef-d’œuvres architecturaux et historiques irremplaçables. Quand de tels faits seront-ils considérés à leur juste « valeur » et deviendront-ils imprescriptibles, de manière à ce que leurs auteurs soient jugés et punis par une loi dûment rédigée ?
         photos prises clandestinement par des cataphiles, mais aucun inventaire exhaustif, aucune étude sérieuse 

[38] Voir « Les Catacombes d’Odessa », par Valentin Kataev (aux éditions en Langues étrangères * Moscou 1945-1951), ainsi que « Regard sur les cavités artificielles d’Ukraine », par Jacques Chabert, in Grottes et Gouffres n°149 (paru en septembre 1998), p.4-13.
[39] Ces ateliers dits aussi de Subsistance ou de Secours, ont occupé jusqu’à 12 000 personnes en 1789. Parmi les travaux réalisés par les ateliers de Charité, les plus courants consistaient à empierrer les chemins, creuser des canaux, niveler des voies de communication, assainir des rues cloaqueuses, combler des carrières, etc., des travaux physiques demandant uniquement une main d’œuvre abondante

2°) Un deuxième particularisme est la présence de vestiges liés à l’Exposition Universelle de 1900, qui ne sont pas connus des nombreux spécialistes de ces exhibitions internationales en général, ni de cette manifestation en particulier. Si plusieurs livres, et même modernité oblige maintenant quelques sites Internet ™, tentent d’établir la liste des constructions, inventions, bâtiments ou objets qu’il nous reste de ces manifestations grandioses, certains éléments toujours visibles parfois même in situ ne sont jamais signalés. Concernant notre Exposition de 1900, par exemple les deux hôtels qui entourent le viaduc du métro ligne 6, au niveau de son arrivée à la station Passy après avoir traversé la Seine, ne sont pas évoqués car ils n’ont pas été édifiés directement sur l’un des deux sites de cette exposition. Ce sont effectivement des constructions annexes, mais bien indispensables au fonctionnement et à la réussite de « l’Expo » puisque ce furent alors des hôtels (à l’intérieur aujourd’hui converti en logements) qui avaient été édifiés. Une autre infrastructure (au double sens du mot) est encore parfaitement présente bien que moins visible. Tout le monde semble l’ignorer, à part quelques journalistes qui en glissèrent un mot lors d’un fait divers qui fit la une de tous les médias l’été 2004 ; ils avaient été certainement bien drivés par un informateur qualifié parfois de « source proche de l’enquête », mais qui y fit attention ? même pas les journalistes en question. Ils traitèrent abondamment du lieu dans lequel venait d’être « découvert » un « pseudo-cinéma underground » le mardi 31 août 2004. Il avait été aménagé clandestinement dans les anciennes carrières sous le palais de Chaillot, précisément au niveau de l’ancienne Exposition Minière Souterraine, une des deux extensions souterraines de l’Exposition de 1900, et la seule parvenue jusqu’à nous. La grande majorité des journalistes mondiaux [40] étant en général plus avide de sensationnel (qui possède il est vrai un lectorat potentiel infiniment plus important) que d’informations historiques, s’il fut possible de lire ou d’entendre parfois « un cinéma underground a été découvert dans les sous-sols du Trocadéro au niveau des vestiges de l’exposition universelle de 1900 », quel lecteur ou auditeur nota ce détail évoquant l’intérêt historique de ce lieu unique ?

3°) De manière plus subtile (car principalement sous forme de plaques gravées), il existe aussi dans ce réseau de galeries du 16ème arrondissement, des traces de la pompe à feu de Chaillot, construite à partir de 1777, et qui ne fut démolie qu’en 1902 ; et pour laquelle en revanche on possède des photos quant aux bâtiments qui avaient pourtant à peine franchi le seuil du XXe siècle… mais ceci est une autre histoire.

                                                   1905                                             1948
         Cartographie montrant la superposition des galeries utilisées par les extensions souterraines de l’Exposition de 1900

Cartographie montrant la superposition des galeries utilisées par les extensions souterraines de l’Exposition de 1900 ( http://lemog.fr ) sur un plan de surface : l’Exposition Minière Souterraine et le Monde souterrain. Elle provient, avec ajout des entrées et sorties, de l’« Atlas du Paris Souterrain ». Collection personnelle de François Peyrat, plan annoté par Franck Albaret quant aux accès.
 [40] C’est le nouvel effet « papillon » développé et maintenant exacerbé par la sphère Internet ™, haut débit oblige : un lépidoptère s’enrhume sous Paris, et c’est la terre entière qui éternue (les moindres virus, même les plus anecdotiques et anodins, se propagent maintenant à une vitesse de la grippe aviaire au galop !)

Le réseau du 16ème (arrondissement) à la charnière des XIXe / XXe (siècles)

Le réseau de galeries de carrières de la rive droite fut donc utilisé en 1900 pour y installer deux annexes souterraines à l’Exposition Universelle du tournant du siècle :

1) Le Monde Souterrain. Outre la reconstitution sous la forme de dioramas de la formation de la Terre (un lac français de l’époque carbonifère, un récif de coraux et une plage sur une côte de France à l’époque jurassique, Paris à l’époque du gypse, etc.), on pouvait y voir tout un échantillonnage représentatif des curiosités souterraines récemment révélées à la face du Monde à l’époque ; ceci par le truchement de décors que l’on n’oserait plus tenter de nos jours [41] : un chantier de mine phénicien dans le sud de l’Espagne, une mine de plomb du Harz au XVIème siècle, le tombeau d’Agamemnon à Mycènes (découvert en 1876 par Heinrich Schliemann), le Mastaba de Ti (découvert par Auguste Mariette en 1865, dans la nécropole de Saqqarah, près de Memphis en Égypte), une chambre sépulcrale étrusque des Volumnies (près de Pérouse, en Ombrie), la chapelle de Saint-Corneille (dans les Catacombes de Rome), la grotte d’Azur de Capri (près de Naples), les grottes des Ermites de la Mer Morte à Mar-Saba, des Pagodes souterraines de l’Annam, le gouffre de Padirac (avec lac souterrain, rivière et cascade lumineuse). Un inventaire digne des décors exotiques des aventures de Bob Morane, mais dont il ne nous reste plus que des illustrations dans les périodiques qui en firent un compte rendu, ainsi que quelques photos ; la construction dans les années 30’s, du nouveau Trocadéro qui a intégré un théâtre souterrain, a en effet entraîné le décapage de la carrière qui se trouvait à cet endroit.

2) L’Exposition Minière Souterraine. Celle-ci présentait grandeur nature différents paysages miniers souterrains, ainsi que les outils les plus modernes permettant d’exploiter les richesses du sous-sol français au sens large [42], et Transvaalien (état alors en guerre contre l’ennemi intime de la France : la perfide Albion). 

                                                                                                             
                  Entrée au niveau du débouché de l’ancien accès de l’Exposition Minière Souterraine,  sous le palais de Chaillot.

Trois photos prises par HCl  http://www.comperes.org/ au niveau du débouché de l’ancien accès de l’Exposition Minière Souterraine, à environ 15 mètres sous le palais de Chaillot.
Pour se faire plus qu’une bonne idée de la qualité de ce qui était présenté sous Paris en 1900, il ne reste qu’à s’expatrier dans le Limbourg néerlandais pour visiter la carrière de Jezuïetenberg à Maastricht
(http://www.jezuietenberg.nl/ , ainsi que la mine de charbon reconstituée dans une carrière de calcaire à Valkenburg (http://www.steenkolenmijn.nl/)
À l’occasion de l’Exposition de 1900, “La Nature” évoqua, selon l’abus de langage usuel, les « catacombes du Trocadéro » dans un de ses divers articles consacrés à cette Exposition Universelle. Bien évidemment de « simples » galeries de carrière, mais que Bob Morane aurait pu connaître pour différentes raisons, et que Henri Vernes aurait pu éventuellement utiliser dans un roman en les faisant emprunter par le commandant. En effet, ces deux extensions souterraines de l’Exposition de 1900 sont dues à Louis de Launay, polytechnicien de la promotion 1879, ingénieur des Mines (sorti en 1884 de cette école qu’il avait choisie comme école d’application http://www.annales.org/archives/x/launay.html). Comme tous ses condisciples, il avait découvert les galeries de carrières circulant sous Paris lors de ses séances de topographies souterraines inclues dans son cursus à l’École des Mines. Bob Morane, qui lui aussi a fait des études d’ingénieur à Polytechnique, aurait pu donc découvrir les carrières pendant sa scolarité soit de par les relations entre les Mines et les X, soit tout simplement parce qu’à son époque cette Grande École était encore sur la montagne Sainte-Geneviève, et que l’un des passe-temps favoris des élèves étaient de découvrir Paris par ses dessous (voir à ce sujet : « Histoire de l’École polytechnique », par Jean-Pierre Callot, édité en 1982). De plus comme Bob est nyctalope, cela aurait été l’idéal pour lui !

[41] Du moins à Paris, car dans la région de Maastricht / Valkenburg (dans le Limbourg, Pays-Bas), de très nombreuses carrières souterraines sont offertes à la curiosité du public, et dans certaines, de telles représentations sont visibles. Le summum étant 1) la carrière de Jezuïetenberg (à Maastricht), qui présente de telles reconstitutions archéologiques sculptées sous terre à partir de la fin du XIXe siècle (Alhambra, tête de Sphinx, taureaux ailés babyloniens, etc.), ainsi que 2) la reconstitution d’une mine de charbon avec installation des appareillages en état de fonctionnement dans la carrière dite Daelhemergroeve (à Valkenburg), depuis 1917 sur une initiative privée. Ces deux exemples étant l’exact pendant de ce qui existait sous le Trocadéro … et dont la fréquentation ne faiblit pas !
[42] Un « Empire où jamais le soleil ne se couche », l’un des terrains de jeu favoris de Bob et Bill.


Des « rats de caves » [43] au rats d’égout, en passant par les « rats de Montsouris »

À la fin de « Formule X33 » donc, dans l’espoir de revoir ses amis Bill Ballantine et le professeur Aristide Clairembart
 [44]ous deux enlevés, Bob est attiré au restaurant Vietnamien Van Dyong, rue de l’Estrapade. Dès son entrée, il remarque que si les quatre individus attablés sont bien asiatiques, ils sont précisément d’origine chinoise ; rien n’échappe à l’œil expert du Commandant. Il est alors entraîné à l’extérieur par un individu de prénom Li (rien d’étonnant à cela, « tous les chinois se prénommant Li »). Après le traquenard qui avait attiré Bill et le professeur Clairembart dans un piège afin de les capturer, c’est au tour du commandant Morane de subir le même sort. Mais arrivant à s’évader et faisant même arrêter Li et tous ses complices, Bob Morane va alors s’ingénier à tendre une souricière pour essayer de prendre l’Espion Invisible. Sachant qu’à l’image des Rats de Montsouris chers à Léo Malet, la nuit est favorable au développement des activités illicites [45] Bob passe alors trois nuits dans les « énormes caves où s’entassaient une partie des réserves du Musée de l’Homme. Car, si les salles du Palais de Chaillot offraient au public d’inestimables trésors d’ethnographie, ce n’était là qu’une partie des richesses entreposées dans le vaste bâtiment. Comme toutes ces richesses ne pouvaient, faute de place, et aussi parce qu’il fallait faire un choix, être exposées, on avait entreposé le surplus dans de spacieuses réserves offrant aux savants leurs inépuisables réserves [46].

[43] Le rat de cave étant une bougie très très fine élaborée sous la forme d’un serpentin tirbouchonnant, mais il est aussi des « rats de caves » comme il est des « rats d’hôtels ».
[44] « Le professeur Clairembart n’a rien à voir avec Tournesol. […] Aristide Clairembart m’a été inspiré par le professeur Onésime Paturel » (personnage de Arnould Galopin dans « Un aviateur de quinze ans », publié aux éditions Albin Michel en 1926) », nous dévoile Henri Vernes dans « 33 ans de Bob Morane ». Arnould Galopin est aussi l’auteur de « Le petit détective », paru en feuilleton en 1934 (le n° 1 fut en vente le 7 avril) par les éditions Albin Michel : « C’est l’histoire émouvante, passionnante, d’un audacieux de Paris qui se trouve mêlé, un peu malgré lui, aux plus tragiques aventures... » et qui va nous entraîner dès les premières livraisons dans le 14ème arrondissement et ses carrières souterraines.

[45]
« – Vous avez entendu parler des Rats de Montsouris ? demanda mon hôte.
     – C’est mon copain Marc Covet, dis-je, le journaliste du Crépuscule, qui les a baptisés ainsi, dans son canard. Il s’agit de cambrioleurs qui opèrent surtout dans ce quartier, n’est-ce pas ? Avenue du Parc-Montsouris, rue de la Tombe-Issoire…
     – Je ne m’intéresse pas à ces babioles, dit-il. Trop banales. Ce que vient de nous raconter Jakowski, oui. Ou des trucs dans le genre des spéléologues du dimanche, ces gars qui ont plutôt surpris un flic, il y a quelques temps, place Victor-Basch, lorsqu’ils ont soulevé devant lui une plaque d’égout et qu’ils ont jailli de terre avec lanternes, cordes, pioches, etc. C’était aux premières heures de la matinée. Le flic n’en revenait pas. Ils ont dit qu’ils s’étaient laissé enfermer dans les catacombes pour pouvoir explorer à l’aise des galeries interdites. Des petits marrants, quoi !

[46] Sans parler du stockage des moulages d’objets exposés au Musée du Louvre, réserve plusieurs fois pillée dans les années 80’s, à partir des galeries de carrières y débouchant, fait divers évoqué dans des articles de presse à l’époque.

Les caves où se trouvait Morane ne faisaient à proprement parler pas partie de ces réserves. C’était plutôt une sorte de prodigieux bric-à-brac où s’entassaient les pièces de rebut, ou d’un intérêt relatif. C’était là aussi qu’étaient relégués les objets à l’authenticité douteuse, dont certains, rapportés des lointains pays par des savants trop crédules, sentaient le faussaire à plein nez.

Mais que faisait Morane parmi ces statues aztèques de la Sainte-Farce, ces momies de terre cuite et de prix, ces masques “rituels” africains sculptés à l’intention des touristes, ces vases, ces urnes, ces pots peut-être anciens mais pas assez rares pour avoir l’honneur des salles d’exposition ou des réserves précieuses ? » Il attendait donc l’Espion Invisible … au milieu « d’un amoncellement de faux totems pseudo-indiens et de tikis supposés polynésiens. »

           Collection privée constituée de « poteries nezca décorées de têtes humaines ou de dieux monstrueux

 Une magnifique et inestimable collection privée similaire, constituée de « poteries nezca décorées de têtes humaines ou de dieux monstrueux, vases Chavin, Tiahuanaco, Recuay et vases anthropomorphes Mochica, urnes funéraires de cacique Quimbaya » (inventaire digne d’une découverte de Bob Morane) avait trouvé refuge il n’y a encore pas si longtemps, dans un sous-sol de banlieue autrefois accessible à partir des carrières souterraines. © DR.

« Soudain, Bob tressaillit. Un léger bruit, venant du fond de la cave, s’était fait entendre.

Morane prêta longuement l’oreille, mais le bruit ne se reproduisit pas. “Quelque rat”, songea-t-il [47].

[…] Il tenait maintenant les yeux fixés sur un léger tapis de poussière, qui paraissait un effet du hasard mais avait en réalité été semé intentionnellement à la hauteur de l’étagère, et que, pour atteindre celle-ci, il fallait immanquablement franchir.

Les pas se rapprochaient de plus en plus et, soudain, Morane vit des traces de pieds se marquer dans la poussière, indistinctement certes mais sans qu’il put cependant y avoir le moindre doute. »

  

Restes encore visible des murs de fraude sous Paris ( le pendant des barrières d’octroi du dessus) © Julian Pepinster.

Sous Paris, au XVIIIe siècle, lorsque l’on s’aperçut que des fraudeurs à l’Octroi s’affranchissaient de cette taxe à payer en passant par les carrières sous Paris, des portes (plus vraisemblablement des grilles) furent installées dans les galeries passant sous le mur de l’enceinte fiscale. Le Comité de Salut public dans son « Rapport sur les issues et communications existantes dans les carrières sous Paris » déclare le 8 Prairial An III (27 mai 1795) : « Du moment où le comité nous fit connaître ses intentions, des ordres ont été donnés de travailler jour et nuit à intercepter ces communications par deux murs de chacun 4 pieds et par un bourrage en terre de 9 pieds d’épaisseur entre deux. Au pied de ces murs et sur quelques toises d’étendue, il sera répandu de la poudre de chaux tamisée de manière que personne ne pourra en approcher sans laisser de traces ». Ce muraillement souterrain fut aussi surveillé par des rondes, qui furent exclusivement nocturnes de 1789 à 1791.

« J’ai tout le temps, major, cria encore Bob. Vous devrez bien finir par vous avouer vaincu…

Aucune réponse. Toujours un silence total. Alors un soupçon effleura Bob. Il eut tout à coup la sensation d’être seul dans le sous-sol, que le major avait réussi à fuir par quelque issue secrète, ou tout au moins inconnue. Bientôt, cela devient pour lui une certitude. En effet, tantôt, l’Espion Invisible était venu également du fond de la cave. Donc, c’était de ce côté qu’il y avait pénétré et, s’il en était ainsi, rien ne l’empêchait d’en sortir de la même façon. » Ce qui ne faisait que confirmer ce que Bob lui avait dit peu de temps auparavant : « Le temps d’étudier les lieux, de trouver une voie d’accès et de retraite, et vous passâtes à l’action … »

Bob atteint alors un étroit espace libre « où béait une ouverture ronde qui, d’habitude, était fermée par une plaque de fer maintenant tirée de côté.

[47] Cela aurait très bien pu être son propre cœur, que l’on entend parfois lorsque l’on est isolé, seul, « loin de la fureur et du bruit » de la surface, comme aurait dit feu Gaspard de Monfermeil / Philippe Noiret dans Les Gaspards. « En vain, prêtant une oreille attentive, je cherche à saisir quelques sons pour me diriger à travers un abîme de silence, je n’entends que le battement de mon cœur dans le repos absolu de ces lieux. Je voulus retourner un arrière, mais il n’était plus temps : je pris une fausse route, et au lieu de sortir du dédale, je m’y enfonçai. De nouvelles avenues, qui s’ouvrent et se croisent de toutes parts, augmentent à chaque instant mes perplexités. Plus je m’efforce de trouver un chemin, plus je m’égare ; tantôt je m’avance avec lenteur, tantôt je passe avec vitesse : alors, par un effet des échos, qui répétaient le bruit de mes pas, je crois entendre marcher précipitamment derrière moi », nous dit Eudore dans son discours à Démodocus (Chateaubriand « Les Martyrs » livre V) cité par Paul Fassy (Les Catacombes, étude historique, paru chez Dentu 1861).

    Les  Masques de soie ( par Henri Vernes / dessin Gérard Forton) paru en 1996 chez Claude Lefrancq )

Extrait des Masques de soie ( par Henri Vernes / dessin Gérard Forton) paru en 1996 chez Claude Lefrancq ; planche 22  parution initiale en 1969, puis le 28/04/1993 chez Fleuve Noir)… ou comment ouvrir un tampon de l’extérieur si l’on est particulièrement costaud ! )

Toujours aussi précautionneusement, Bob glissa la tête au-dessus du trou, qui était l’ouverture d’un puits étroit dans lequel descendait une échelle métallique [48].

                                                                                              
                               Puits à échelle                                            Puits à échelons                                          Puits à crampons

À gauche, voici à quoi ressemble un véritable   Puits à échelle  , tandis qu’à droite c’est un puits à échelons qui a été photographié. Entre les deux se trouve un puits à crampons (les barreaux, en forme de U, sont fichés dans la paroi). © Jean-Luc Largier.

La différence est si subtile que tout le monde parle de puits à échelons, abrégé en PSH (pour Puits de Service non pas … à Héchelons   =I ;-)  mais bien à Échelle, un « H » étant tout simplement une échelle à un seul barreau. Cette abréviation a été judicieusement imaginée par Daniel Munier, entre autre l’auteur d’un fameux plan selon la « Cité des cataphiles », et le ré-éditeur du « Paris souterrain » de Émile Gérards ; c’est le DM des éditions DMI).

La distinction entre les différents PSH est tellement subtile que même l’ouvrage de référence « Assainissement des Villes, et Égouts de Paris », par  A .DAVERTON (qui était ingénieur des Travaux Publics de la Ville de Paris / Service des égouts en 1922) ne semble pas d’accord dans son chapitre XXIV sur les « Ouvrages accessoires des égouts ». Mais si on regarde bien le schéma de la crosse, on comprend pourquoi il est fortement conseillé aux égoutiers de descendre casqués… surtout lorsqu’ils remontent un PSH !

Probablement une voie d’accès aux conduits d’évacuation d’eau, songea Morane. Décidément, nos adversaires sont organisés et ils ne laissent rien au hasard …”

[…] Morane se laissa glisser dans le puits et, sans lâcher le pistolet à peinture, se mit à dévaler l’échelle, pour atterrir sur une étroite corniche le long de laquelle coulaient des eaux sales. Le conduit lui-même avait une section de deux mètres cinquante sur deux mètres cinquante environ et, si sa voûte était basse, il y avait néanmoins moyen d’y progresser en se courbant. Tous les vingt mètres, une ampoule électrique, enfermée dans une petite cage de fil de fer, diffusait une pauvre clarté.

 

Voici un exemple d’ampoule « enfermée dans une petite cage de fil de fer » tel qu’on en rencontre beaucoup dans les sites souterrains artificiels (carrières, abris, égouts). Ici dans l’escalier d’accès à un abri de Défense Passive, situé en carrière sous une université parisienne. © Julian Pepinster.

[…] Et la chasse furieuse et étrange se poursuivit sur une distance de cent cinquante mètres environ, jusqu’à ce qu’une nouvelle galerie, plus étroite que la première, s’ouvrît sur la droite. Elle aussi servait à l’évacuation des eaux, qui coulait sous d’épais grillages de fonte formant plancher [49].

Morane sut que l’Espion Invisible avait emprunté cette seconde galerie quand il entendit le tintamarre produit par les grillages, mal en équilibre, cognant sur leurs supports à chaque foulée du fugitif. À son tour, Bob s’engouffra dans l’étroit passage qui, contrairement à la première galerie, n’était pas éclairé. Une obscurité totale y régnait. »

« Grâce à la luminescence [rouge et brillante comme le feu] dégagée par son ennemi, il devinait, derrière ce dernier, la surface d’une muraille dans laquelle étaient scellés des barreaux de métal [50] :le major était parvenu au bas du puits de sortie par lequel il comptait s’échapper. »

Recevant un coup bien maltapropos de son adversaire « abasourdi, privé momentanément de toute force, de toute volonté […] comme dans un rêve, Bob entendait, au dessus de lui, l’espion fugitif gravir les échelons qui devaient le ramener à la surface, à la liberté peut-être. »

[49] La probabilité que ce soit plus des crampons qu’une échelle est grande, mais généralement peu de personnes savent faire la différence (voir la tentative d’explication par photos).


Un final tout en contraste : des eaux nauséabondes aux ors du Trocadéro

Toujours est-il que reprenant ses esprits, il émergea à l’air libre au niveau des « terrasses ornées de massifs, qui descendent en gradins des bâtiments du Trocadéro vers le quai de New York et la Seine ».

Profitons-en pour signaler une imprudence du commandant Morane. On peut en effet remarquer que, quels que soient les sous-sols des villes où il circule (Paris, Bruxelles, London), Bob Morane ouvre les tampons par-dessous de la même manière : avec les deux mains, donc sans se tenir à quoi que ce soit. Si ce n’était pas notre Bob Morane, il y a bien longtemps qu’il aurait chu (Feu Man) [51] ! On peut voir ci-après deux illustrations où Bob Morane fait la même erreur en ouvrant un tampon par en dessous, et risque la chute à tout moment.

                              L’œil de l’Iguanodon  ( dessins Coria) paru en 2000 au Lombard ; planche 39 )

  " L’œil de l’Iguanodon " ( dessins Coria ) paru en 2000 au Lombard ; planche 39 : ouverture de l’intérieur, au risque du « décapsuleur » (terme usité par la « police des trous » qui se surnomment aussi des cataflics http://www.prefecture-police-paris.interieur.gouv.fr/carrieres/Metiers/catacombes_70.htm quand le processus est exécuté depuis la surface)… surtout s’il ne se tient à rien. L’illustration est ici contraire à la description qu’en donne Henri Vernes dans le corps du texte du roman, où notre héros pousse de ses épaules :

Cinq, six mètres d’escalade interrompue par une surface métallique bouchant le puits. « Une plaque de fonte », jugea Morane. Il savait qu’au-delà c’était l’air libre. « Pourvu que je réussisse à la faire bouger », pensa-t-il encore.

Il se hissa d’un nouvel échelon, de façon que, les jambes pliées, il puisse s’arc-bouter. La nuque ployée, il colla les épaules à la plaque, poussa…

Tout d’abord rien ne se passa. L’obstacle résistait. Nouvel effort. Cette fois, la plaque bougea, se souleva légèrement et un souffle d’air frais frappa Morane au visage. Encore une poussée et la plaque se dégagea de son alvéole. Bob poussa de côté. Le grincement de la fonte raclant les pavés. Un croissant de nuit se révéla, puis un disque de la même nuit. L’air s’était soudain purifié.

[49] Aujourd’hui ce genre de « grillages de fonte formant plancher » est parfaitement visible dans le parcours des égouts ouvert à la curiosité du public, au niveau du pont de l’Alma (côté rive gauche de la Seine), face au n°93 du quai d’Orsay. C’est uniquement un parcours piéton qui est proposé dans cette portion de véritables égouts ; autrefois la visite s’effectuait en barque, puis à bord des wagonnets d’un petit train.
[50] Donc ici il n’y a pas d’ambiguïté, c’est bien un puits à crampons et non à échelle !
[51] « Ming c’est un personnage à la fois inspiré de Fu Man Chu et surtout Jérôme Cardan, un héros de roman (Le Magicien Noir de RTM Scott) paru jadis dans la collection “Le Masque”. Ming est inspiré par des tas de héros de la paralittérature : Fantômas notamment. Les méchants représentent une matière indispensable. Sans Méchants, plus d’aventures, plus de romans » dans « 33 ans de Bob Morane ». Mais tout le monde n’est pas de cet avis, dont George Van Hamme qui en parle et argumente dans « À la poursuite de Tiger Jack », article paru dans le numéro 4 des « Dossiers de Phénix » (p.92-105) : si il y a peu de chance selon lui que Fu Man Chu de Sax Rohmer ait inspiré l’Ombre Jaune, Ta(ta)nia Orloff y trouverait ses racines !

Effectivement, c’est en poussant avec les épaules (et non avec les bras, fatale et mortelle erreur car dans ce cas l’on ne se tient plus à rien), les mains fermement crochetées sur les barreaux, et en utilisant toute la puissance du double piston de ses muscles de jambes, que l’on peut décoller un tampon de la loge rainurée du cadre le recevant ; cette méthode ne nécessitant pas d’être particulièrement body-buildé ! Il existe une autre méthode plus téméraire et davantage « aventureuse »  http://www.titan.free.fr/ .
Ainsi, dans « Le pouce crochu » de Fortuné du Boisgobey, roman paru en 1884, le jeune héros va devoir sortir des souterrains de Paris par ses propres moyens :
 « Levant la tête, il vit non seulement le jour, le plein jour, mais encore des barres de fer qui faisaient saillie dans le mur du tuyau [un puits vertical, une espèce de tuyau de cheminée],
de véritables échelons, comme on en met dans les puits d’égout pour faciliter aux égoutiers la montée et la descente.

La plus basse de ces barres était bien à un mètre au-dessus de Georget, mais il était souple comme une anguille et leste comme un chevreuil. Il prit son élan, saisit le premier échelon, s’enleva à la force du poignet pour attraper le suivant et continua ainsi jusqu’à ce que ses pieds eussent trouvé un point d’appui.

[…] Il grimpait toujours et il calculait que cette pénible ascension devait toucher à son terme.

Tout à coup, sa tête heurta un obstacle. L’orifice du puits était fermé par une grille en fer.

[…] Il poussa de toutes ses forces avec sa tête, et même en se courbant, avec ses épaules. Il lui sembla que la grille cédait un peu. »

                                      La Revanche de l’Ombre Jaune , dessinée par Coria

Extrait de « La Revanche de l’Ombre Jaune », dessinée par Coria pour Le Lombard, où là effectivement Morane sort des carrières souterraines de Paris. Mais s’il lui arrive de circuler sous Bruxelles, cela lui fait immanquablement penser à Paris. On peut lire ou voir à ce sujet « Snake » où Bob dit :
« On affirme que le sous-sol de Paris est creusé de trous, comme un fromage de gruyère 
[52]. On pourrait dire la même chose de Bruxelles. Tout d’abord, un réseau compliqué d’égouts avec, comme à Paris, une rivière voûtée qui traverse la ville. Ensuite, tout un dédale de rues souterraines, d’anciennes galeries de ronde, de catacombes, de cryptes, de carrières, de passages secrets. À cela, il faut ajouter la jonction souterraine du chemin de fer traversant la ville du nord au sud, les galeries du métro. Depuis le haut Moyen Âge jusqu’aux temps modernes, le sol de la capitale belge, comme celui de Paris, a été ainsi creusé, taraudé, changé en labyrinthe. » ; description qu’il utilisera à plusieurs reprises (et pratiquement au mot près), comme par exemple dans l’Œil de l’Iguanodon , une autre aventure bruxelloise.

Toujours est-il que Bob Morane put ainsi émerger des égouts de Paris, après un parcours très limité, comme on peut le constater sur ce plan du réseau des égouts montrant le palais de Chaillot (bâtiment en arc de cercle au niveau des jardins du Trocadéro) et le quai de New-York.

[52] Toujours cette traditionnelle image d’Épinal pour évoquer les sous-sols parisiens, et pourtant éminemment fausse : le gruyère est un fromage sans trou ! C’est l’emmental qui est alvéolé. Nul ne semble pouvoir échapper à son destin.

                                Plan des égouts en 1889 ; collection personnelle de Denis Prouvost .

 



                                                                                                                                                                                 Partie 3